L’ « Egyptomanie », une passion française

La fin de l’année 2022 a été marquée par le retour au cœur de l’actualité de « l’égyptomanie ». En effet, le mois de novembre 2022 coïncide avec les 100 ans de la découverte du tombeau de Toutankhamon et de sa momie, en Égypte.

 Le Var a de son coté manifesté sa passion pour l’égyptomanie à travers l’exposition « Momies, les chemins de l’éternité » à l’Hôtel Départemental des Expositions à Draguignan. Cette exposition a rencontré un réel succès en recevant plus de 37000 visiteurs.

En France, pour le « commun des mortels » l’engouement pour Toutankhamon et pour l’Egypte pharaonique va éclater en 1967 à l’occasion de l’exposition au Petit Palais de Paris, intitulée « Toutankhamon et son temps ».

1967, l’exposition Toutankhamon et l’égyptomanie.

1922 Découverte tombe de Toutankhamon et ses merveilles
1922 Découverte de la tombe de Toutankhamon et ses merveilles

En Égypte, il y a 100 ans, fin novembre 1922 , Howard Carter trouve dans la Vallée des Rois au pied de la tombe de Ramsès VI, au dessus d’une marche taillée dans le roc, une porte murée, scellée du sceau royal. Il fait une brèche dans la porte et quand son mécène, Lord Carnarvon,  placé derrière lui, murmure « Y a-t-il quelque chose ? », Carter répond « Il y a des merveilles… » Ils viennent de découvrir la sépulture de Toutankhamon qui, avec ses objets sublimes et ses masses d’or, va faire rentrer ce  pharaon mystérieux dans la lumière et l’éternité.

Une promotion exceptionnelle.

Notre histoire commence fin décembre 1966. L’incontournable journal télévisé de l’ORTF diffuse, à l’heure de grande écoute, un reportage montrant l’atterrissage, d’un gros avion militaire au Bourget, le déchargement de gros colis provenant d’Égypte. Installée au fond de la soute, une petite dame, Christiane Desroches Noblecourt, se présente comme égyptologue et organisatrice d’une exposition.

 Elle annonce que ces colis contiennent les principales pièces du trésor de Toutankhamon qui seront exposées au Petit Palais à Paris à partir de février 1967. Elle ajoute : « Les jeunes n’ont qu’une vague idée de ce trésor qu’ils n’ont pu découvrir que  par les illustrations, par les livres et quelques rares visites du musée du Caire, mais savoir qu’il est arrivé et que, dans un mois, ils pourront le voir  exposé au grand public à Paris, constitue un évènement assez émouvant et historique, parce que ce sont les reliques d’un roi désormais considéré comme un des plus glorieux de l’Égypte grâce à la découverte de son tombeau. Il s’agit du seul tombeau qui ait été découvert contenant tout son mobilier funéraire conservé intact depuis 3500 ans »

A la question du journaliste : « Et la malédiction attachée à ce Pharaon ? », elle répond avec malice : « la malédiction, quelle malédiction ?, il n’y en a pas, ce serait plutôt une bénédiction. Toutankhamon  devrait nous remercier au centuple, je crois qu’il la fait depuis longtemps, car, de tous les rois, c’est celui dont on parle le plus »

Le reportage se termine par la présentation de quelques photos du trésor dont le masque en or du pharaon…qui quitte l’Égypte pour la première fois.

Une inauguration éloquente.

L’exposition est inaugurée le 16 février au Petit Palais à Paris en présence de Christiane Desroches-Noblecourt, du ministre français de la culture, André Malraux, et du vice-premier ministre égyptien chargé de la culture, Sarwat Okacha.

1967 Inauguration exposition Toutankhamon par C. Desroches-Noblecourt, André Malraux, Sarwat Okacha
1967 Inauguration exposition Toutankhamon par C. Desroches-Noblecourt, André Malraux, Sarwat Okacha

En introduction, le représentant de l’Égypte salue le retour de relations  amicales entre la France et l’Égypte (1), André Malraux prend ensuite la parole dans un discours chargé d’éloquence et délivre une analyse de l’égyptologie particulièrement pertinente : « Cette exposition nous montre l’incroyable leçon que l’Égypte aura pu donner sur la vie. On a écrit, depuis Champollion, que c’était le pays de la mort. Mais, cet art qui est si souvent funéraire n’est jamais proprement funèbre, autrement dit, l’Égypte n’a jamais connu le squelette. Ce que l’Égypte allait chercher dans la mort, c’était précisément la suppression de la mort, le fait de concevoir la vie comme une éternité.  

L’Égypte antique aura joué cette partie incroyable en face du destin qu’ayant presque exclusivement représenté des morts, elle aura été l’actrice la plus puissante  de la vie que l’on n’ait jamais connue.

Ce vieux pays qui le premier inventa l’éternité est aujourd’hui un pays jeune et plein d’énergie »

L’exposition « Toutankhamon et son temps » : un succès inégalé.

Dès le 17 février 1967, c’est la cohue au Petit Palais, à Paris. La foule vient admirer les plus belles pièces du tombeau du pharaon. L’exposition accueillera  1, 25 millions de visiteurs, un record qui ne sera battu que cinquante deux ans plus tard…à l’occasion de l’exposition « Toutankhamon, le Trésor du Pharaon » à La Villette, en 2019.

1967 Queue à l’entrée de l’Exposition Toutankhamon

En 1967, j’ai eu l’opportunité  de visiter cette exposition avec ma fiancée et je garderai quelques remarquables souvenirs. Tout d’abord, cette queue de plus d’une heure pour accéder à l’exposition. Puis, une fois rentrés, les visiteurs se retrouvaient dans une bousculade pour accéder à chaque pièce du trésor. Chaque trésor était placé derrière des  vitrines occupant une bonne partie de la surface des salles et forçait les visiteurs à s’assembler autour d’elles: je passerai mon temps à essayer de libérer de l’espace  pour ma fiancée, et, de lire les textes des présentations placés trop bas en dessous de chaque œuvre.

En fait, le petit nombre des objets à exposer avait incité Mme Desroches-Noblecourt, à choisir ; une succession de petites salles et d’étroits couloirs pour créer une atmosphère mystérieuse ; un éclairage limité pour restituer le confinement d’une tombe.

Le parcours de l’exposition était remarquable avec un véritable cheminement très pédagogique:… allant de  la découverte historique du tombeau du jeune roi à l’apothéose de son masque d’or massif dont les yeux, par-dessus les regards éblouis, semblent sonder l’éternité.

La découverte du tombeau

 La première salle, restitue  la vision que Howard Carter eut lui-même, lorsqu’il découvrit le tombeau enfoui depuis des millénaires, dans les sables de la Vallée des Rois, grâce à une série de photos prises au moment de la découverte du tombeau.

L’Égypte à la naissance de Toutankhamon ; l’hérésie amarnienne

La seconde salle permet d’accéder au cœur de l’une des pages les plus importantes de l’histoire de l’Égypte pharaonique, celle qui précède l’arrivée de Toutankhamon soit vers -1360 avant Jésus Christ et qui porte le récit d’une hérésie, l’hérésie amarnienne animée par l’ancêtre de Toutankhamon : Akhenaton. Cette religion ne reconnait que l’existence d’un seul dieu : le dieu Aton, dieu du soleil. Toutankhamon, né sous cette hérésie, sera poussé par son entourage au retour aux sources de la foi et au rétablissement des rites dus au dieu Amon, d’où son changement de nom de Toutankhaton en Toutankhamon.

La jeunesse de Toutankhamon 

Détail: Toutankhamon, son épouse Ankhsenamon sous la protection du roi soleil Aton
Fauteuil du roi enfant

Puis c’est la prime jeunesse de l’enfant-roi qui défile sous nos yeux : voici la palette émouvante de la princesse Meritaton. Elle servait à écrire et dessiner et offre six encres aux couleurs vives encore, blanc, vert, jaune, brun, rouge et noir puis le fauteuil de la fille et épouse royale : Toutankhamon  fut marié à l’âge de neuf ans avec sa nièce, et à la fois sa belle-sœur. – l’antique Égypte pratiquait couramment l’inceste –, en bois rougeâtre aux dorures étonnamment conservées. Le dossier de ce fauteuil nous montre le pharaon et son épouse inondés par les rayons de soleil du dieu soleil Aton.

Le règne du Pharaon

Statuette miniature de Toutankhamon
Bijoux de Toutankhamon: un faucon

Le visiteur peut passer alors dans la salle de la Royauté, tendue de bleu, le bleu de la nuit égyptienne et à l’éclairage d’outre-tombe, mais à laquelle l’éclat des ors donne comme une lueur surnaturelle. Puis, dans des vitrines murales, des boucles d’oreilles, des colliers à pendentifs ou pectoraux éclaboussent de lumière, tandis qu’une sorte d’enseigne à l’effigie du roi-enfant, présente une admirable statuette miniature de Toutankhamon, œuvre d’une extraordinaire finesse de conception et d’expression

Le décès et l’hymne à l’immortalité 

Statue du ka de Toutânkhamon
Véhicule funéraire porté par deux vaches

Après la nuit étoilée, règne la lumière argentée de l’astre lunaire. Le véhicule funéraire de Toutankhamon occupe le centre de la salle, porté par deux vaches aux longues cornes. Mais c’est une admirable statue qui retient, plus que tout, les regards : elle est le «négatif», le Ka du roi que l’on enterre et qui prend son départ pour l’éternité. Haute de 1 m. 92, elle est en bois rouge bitumé et doré sur plâtre.

Un couloir, et dans une pénombre plus soutenue encore, apparaît le masque funéraire, qui est un hymne à l’immortalité. Ce masque d’or pur vient confirmer l’image que l’on a de l’art égyptien avec ses visages intemporels, asexués ou, plutôt, bisexués. Devant une telle splendeur et un tel raffinement, on ne peut que tenter d’imaginer la munificence dont était capable cette civilisation pour ses grands pharaons comme Ramsès II, Séthi Ier ou Amenhotep III…

Cartouche du Pharaon Toutankhamon
Masque funéraire de Toutankhamon

Puis, on passe à l’antichambre rouge de l’embaumeur, qui va rendre son corps indestructible, recueillant ses viscères dans un petit sarcophage en or .

Au terme de la nuit funéraire, lorsqu’apparaît le soleil rougissant le ciel, le visiteur est mené dans la salle de couleur cornaline. Toutankhamon y repose dans le marécage, symbole du lieu d’origine du monde, où pousse le papyrus et volent les canards.

 En fin d’itinéraire, c’est la résurrection : la statue de Toutankhamon, en quartzite jaune qui fut polychromée, se dresse du haut de ses trois mètres.

De l’Egyptomanie à la « Tutmania ».

C’est en 1798 que les rêves et l’ambition d’un jeune général français font naître en France la folie égyptienne, appelée « égyptomanie » . C’est le général Bonaparte, plus tard Napoléon, qui va mener la campagne d’Égypte contre les anglais.(2)

1798 Le général Bonaparte découvre les momies

Malgré une défaite militaire, cette campagne participera au mythe Bonaparte car, 160 savants  accompagnent le futur Empereur. Ils vont transformer cette campagne en une véritable réussite. En effet, ils vont étudier l’histoire de ce pays qui le fascine tant. Ils publieront la Description de l’Égypte et feront connaître au grand public, grâce à la précision de leurs croquis, les trésors et la beauté d’un monde disparu.(3)

 L’égyptomanie connaîtra plusieurs vagues, soutenues par les travaux de grands archéologues: la transcription des hiéroglyphes par Champollion en 1822, l’érection de l’obélisque de Louxor, place de la Concorde à Paris en 1836, l’ouverture du canal de Suez en 1869.

1923 Maria José de Belgique, future Reine d’Italie
1808 Sphinx Place du Châtelet

L’égyptomanie touchera toutes les formes de création, de l’Opéra Aïda créé pour le percement du canal de Suez, jusqu’aux peintures de style pompier avec notamment Jean-Léon Gérôme, en passant par le mobilier, les cheminées mais aussi les arts décoratifs.

La découverte de la tombe de Toutankhamon, par Howard Carter en 1922 est à l’origine d’une totale hystérie, la « Tutmania » exploitée par l’industrie cinématographique et par le commerce de luxe aussi bien en Europe qu’en Amérique, à partir du moment où la reine Élisabeth de Belgique, Lloyd George, Cécile Sorel et le maharadjah de Poona se rendent en pèlerinage sur le site du tombeau du pharaon, poursuivis par la presse. Les chemins de fer égyptiens inaugurent le « Toutankhamon Spécial  » reliant Le Caire à Louksor, à l’usage du flot de touristes.

L’exposition de 1967 consacrée à Toutankhamon à Paris, va relancer la « Tutmania » Les demandes commerciales explosent : une marque de chocolat, les studios Kodak, un célèbre joaillier, etc. Nombreux sont ceux qui veulent associer leur nom à celui de Toutankhamon. D’autres exploitent le filon sans autorisation : les sœurs Carita proposent une coupe pharaonique dans leur salon ; un petit malin enregistre un 45-tours de la prétendue musique des pharaons ; des bijoutiers copient les modèles exposés ; des fabricants de papiers peints s’inspirent de l’intérieur de la tombe.

L’Egyptomanie est et reste inscrite dans « l’Histoire » comme on peut le lire dans  la presse:

– Vincent Rondot, du Louvre, « l’égyptomanie n’a rien de nouveau : c’est une passion, un coup de foudre qui nous a été légué par les Grecs et les Romains, ainsi que la Bible, qui a fait du pharaon une figure ambiguë et maléfique ».

-Dominique Farout renchérit : « A chaque génération, une exposition vient ranimer et renouveler l’égyptomanie ».

Une plongée personnelle dans l’Egyptomanie.

En 1967, nous ignorions, ma fiancée et moi, que trente ans plus tard, nous allions retrouver le monde passionnant des pharaons. Une opportunité professionnelle nous conduira à nous installer pendant cinq ans dans la capitale de l’Egypte : Le  Caire. Nous aurons le plaisir de découvrir puis de partager le monde des pyramides et des pharaons. Mais nous en reparlerons.

  

1995 Françoise et Sophie LENGLET devant le Sphinx
1996 Valérie JOURDAN à Djoser
1995 François LENGLET

François Lenglet Décembre 2022

Sources principales:

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/03/15/en-1967-toutankhamon-premiere-exposition-pharaonique_5436601_4500055.html?random=365589811

https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/02/17/cette-fois-la-malediction-de-toutankhamon-n-a-pas-joue_2622443_1819218.html

https://www.mondedelabible.com/aton-amon-et-le-dieu-unique/Monde de la Bible 229, «Pharaons. L’héritage en questions»

Notice « Toutankhamon et son temps » Christine Desroches Noblecourt

https://www.richardjeanjacques.com/2021/08/egyptomanie-ou-egyptophilie-cette.html

Nota 1

En 1967, les relations entre la France et l’Egypte souffrent encore de la crise du Canal de Suez de 1956. Le canal de Suez relie directement la Méditerranée et la mer Rouge  Inauguré en 1869, le canal est financé par la Compagnie du canal de Suez appartenant à des intérêts français et britanniques.

Le 26 juillet 1956, le président égyptien Nasser s’empare du canal de Suez et le nationalise. Ce geste préoccupe les gouvernements occidentaux, car le canal sert à transporter du pétrole vers l’Europe. Si l’Égypte décidait de bloquer cette voie, cela nuirait gravement à l’économie britannique. Une action militaire enclenchée par la France, la Grande Bretagne et Israël sera heureusement interrompue suite à une intervention de l’ONU.

Nota 2

Pour l’anecdote, Napoléon, très superstitieux, portait sur lui un scarabée porte-bonheur rapporté de sa campagne d’Égypte. Lors de la bataille de Dresde, son cheval fut tué par un boulet de canon alors qu’il le montait. Napoléon fit alors tailler dans l’acier de ce boulet un scarabée, dont le revers porte la date de l’événement. À son retour, il offrit cette bague à sa maîtresse, Marie Walewska.

Nota 3

la « Description de l’Égypte «  fut rédigée par de nombreux savants et plus particulièrement Dominique Vivant Denon pour les illustrations , c’est la première encyclopédie consacrée exclusivement à l’Égypte : on y trouve des articles et des illustrations présentant l’Antiquité et l’Histoire de l’Égypte au début du XIXéme siècle ainsi que la description des batailles menées par Bonaparte

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