A Troisvilles, la légende du pendu dépendu…

Nous sommes dans les années 1950, nous passons les grandes vacances scolaires dans la maison familiale à Troisvilles, dans le Cambrésis. Ces vacances, pour le gamin que je suis, sont un vrai bol de liberté, je passe mes journées dehors, avec mes cousins, à la ferme, dans les champs ou sur nos vélos. A l’époque, toutes les rues du village sont entièrement pavées.

1952 Troisvilles rue du Villers Paul et François LENGLET sur leur vélo

Un jour, je raconte à mon père que nous faisons souvent la course avec les copains sur un petit chemin pavé, situé au delà de la Sotière qui conduit vers Inchy : ce chemin est tranquille, étroit et les pavés sont énormes. Mon père fait aussitôt la grimace et me dit :

« Attention, au bout de ce chemin, il y a la route qui va de Cambrai au Cateau et, je t’interdis de la traverser » et puis, visiblement pour faire peur à son fils, il ajoute:

«Sais tu que cet endroit a une drôle d’histoire? Sais tu que, suite à cette histoire, à l’époque  où les délinquants étaient condamnés à la pendaison, les magistrats de Cambrai furent conduits à rajouter à la fin de chaque condamnation la phrase : «il sera pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive » ? et il me raconta :

«Connais-tu l’histoire du  » Pendu » ?… Ce joyeux drille qui fut pendu haut et court, à l’endroit où s’élève l’estaminet, cabaret ou café – Le Pendu – et qui joua un tour… pendable au mayeur et au bourreau de Troisvilles, sur  le terrain dît « La Justice », territoire de Neuvilly, où se faisaient les exécutions capitales.

Il s’appelait Maitre Rembourt  (peut-être était-il-le censier de Rembourlieux ?). A une époque lointaine, il y a au moins deux siècles sinon trois (en  1632 d’après un communiqué de « L’Echo du peuple » paru en 1895), le pilier de cabaret, Maitre Rembourt, réputé pour ses farces et fredaines, avait  fait  un pari après avoir vidé force canons de bonne bière du pays, un soir de beuverie; avant le chant du coq, il aurait subtilisé quatre gages réputés imprenables au village voisin de Troisvilles (disons gages puisqu’il s’agissait d’une gageure) et qu’il aurait rendu le tout à ses propriétaires légitimes, le pari gagné.

C’étaient: la chèvre de la mère Ursule, qui couchait auprès du grabat  de sa vieille et pauvre maitresse;  le bâton à crochètes du garde champêtre; le bonnet de coton à rayures bleu et blanc qui protégeait la calvitie du mayeur, le jour et la nuit ;  et enfin, le plus difficile, la culotte de velours à boucle de cuivre doré de M. le Curé.

Voici comment ce diable de Maître Rembourt gagna son pari :

Vers 1920, Troisvilles, ses maisons en torchi, et, aux toits de chaume

Il mit le feu à des broussailles près de la cabane de la mère Ursule, bondit au clocher, sonna le tocsin et revint au lieu du sinistre en  clamant : « Au feu! Au feu ! » et, sauveteur dévoué, il fit sortir la mère Ursule et sa chèvre loin du sinistre qui menaçait la pauvre cabane, et emmena la chèvre…. en lieu sûr… et d’une.

Il faisait noir, cette nuit-là était sans lune ni étoile et propice à la maraude. Le garde champêtre abandonna contre un mur son précieux bâton à crochètes, terreur des gamins insubordonnés, pour diriger les pompiers et la chaîne des seaux d’eau. Le bâton fut vite subtilisé…et de deux.

Le garde champêtre à l’action

M. le Mayeur se hâta vers le lieu de l’incendie. Dans un chemin creux, une main  leste découvrit son crâne et emporta le célèbre bonnet de coton…. et de trois…

Quant au quatrième gage, la chance servit Maître Rembourt : M. le Curé courant au secours  de la mère Ursule avait laissé la porte du presbytère entr’ouverte et, pour courir plus vite, il n’avait  mis que sa soutane… la belle culotte à la boucle dorée fut facile à emporter…

Mais il y avait un témoin qui cria: « Au voleur »!

Pompiers et habitants, qui rentraient au logis étaient tout près et firent la course au voleur, qui fut pris… au dernier tournant d’une ruelle  avec ses trois derniers larcins, alors qu’il allait réclamer au cabaret la tournée générale promise au gagnant du pari.

Séance tenante, le Mayeur, haut justicier du lieu, porta la sentence, malgré  la requête miséricordieuse  du curé :

Vers 1920, Troisvilles, chemin de la Sotière vers Inchy et Le Pendu

 » C’en est de trop! Maître Rembourt est un fripon récidiviste. II sera pendu haut et court ». Et au lever du soleil, la potence fut dressée sur le chemin de Neuvílly, au lieu dit « La justice ». Maître Rembourt resta gai luron jusqu’au bout…

Le bourreau (camarade de beuverie du condamné) avait-il prévu le coup?…  Maître Rembourt, balancé dans les airs, n’avait pas l’air trop inquiet, mais le mayeur s’impatienta, et le bourreau, histoire de hâter la prétendue pendaison, grimpa  à la potence et s’accrocha à la corde qui, trop légère pour le double poids, cassa… et le bourreau et le pendu tombèrent au sol sains et saufs.

2022 Lieux dit « Le Pendu »

Le mayeur furieux, s’écria:  » Qu’on recommence! Rependez-le! »

 » Nenni, répliqua Maître Rembourt. Il n’a pas été dit que je serai rependu, mais seulement que je serai pendu.

Je l’ai été »

Justice est rendue …

Et le pendu dépendu, emmena la bande : mayeur ayant recouvré son bonnet, garde avec son bâton, bourreau contusionné par sa chute, réveiller un cabaretier.

Ce fait curieux eut plusieurs conséquences remarquables.

D’abord les magistrats du Cambrésis ajoutèrent par la suite dans le texte de leurs condamnations capitales ces mots : « Jusqu’à ce que mort s’en suive. »

Ensuite maître Rembourt renonça à ses mauvaises habitudes, indemnisa mère Ursule, fit la paix avec son mayeur et son curé et continua de vivre joyeux et célibataire, sous le sobriquet de Pendu, qu’il n’avait pas volé.

On donna son nom à la ferme qu’il exploitait, Rembourlieux, et son surnom, le Pendu, au cabaret voisin, où se trouvait la halte du chemin de fer à voie étroite, du Cambrésis.

François Lenglet / février 2023

Sources:

-journal « LaVoix du Nord » à la fin des années 1950 à la rubrique Neuvilly

-conte: « Contes à vous empêcher de dormir » de Amaury d’Artois

-Google map

3 commentaires sur “A Troisvilles, la légende du pendu dépendu…

  1. Bonjour François,
    Tout d’abord mille mercis pour votre blog qui est pour moi une source inestimable d’informations sur la vie de mes aïeux.
    Je suis en effet né à Caudry (je vis et travaille aujourd’hui à Lille) mais ma famille trouve ses origines dans les villages de Mauroy, Beaumont et Neuvilly à deux pas de Troisvilles. Je ne compte donc pas les mulquiniers, les tisseurs, les tullistes, les cultivateurs ou, pour introduire un peu de variété, les entrepreneurs de battage qui traversent mon histoire familiale.
    L’un de mes arrières grands-pères, comme ses frères et ses sœurs, ont payé un lourd tribut à la première guerre mondiale. Je m’intéresse particulièrement à l’un d’entre eux, Arthur Seignez, mutilé de la face (il souffrait semble-t-il, entre autres handicaps, de troubles de la phonation) dont je trouve une trace dans le recensement de 1946 du village de Troisvilles (il demeurait un peu à l’écart, rue du vieux moulin, près de la route de Bertry) . La mémoire familiale en a perdu le souvenir.
    Auriez-vous croisé ou entendu parlé de cette personne dans les années 50 ?
    Bien à vous.
    Sébastien

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    1. Je n’ai pas de souvenir spécifique de cet Arthur Seignez par contre j’ai bien gardé en mémoire les nombreux mutilés , blessés à la guerre 14 que l’on croisait dans le village dans les années 50. On les retrouvait en particulier à la caisse ou à l’accueil de la salle des fêtes

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