1991 , l’Union Soviétique est dissoute, la Communauté Européenne vient en aide à la Russie et à ses voisins: un témoignage.

Aujourd’hui, en 2022, le pouvoir russe, sur fond de guerre en Ukraine, a une lecture bien particulière des évènements d’août 1991 qui confirmèrent la fin de la guerre froide entre le bloc occidental et le bloc soviétique et annoncèrent un rapprochement entre les deux blocs. Pour le pouvoir politique russe, il n’est plus question de la fin de l’affrontement entre deux blocs idéologiques, dont l’un se serait effondré, mais du lent travail de sape d’un Occident arrogant.

Pendant les années 1990 qui ont suivi la fin de la guerre froide, le pouvoir russe aurait subit une « humiliation » infligée par l’Ouest avide de revanche. La Russie aurait  vécu une ruine économique amplifiée par des réformes libérales dictées de l’étranger et par des hommes d’affaires avides de piller la Russie.

Délégué en Russie en 1997, j’ai fait partie de ces « hommes d’affaires »…. Il me semble important de rétablir la vérité en décrivant dans quelles conditions et avec quels objectifs nous nous sommes rendus en Russie pendant cette période. Nous ne cacherons ni les difficultés à comprendre puis à faire évoluer le mode de fonctionnement de cet « autre monde », ni les comportements mafieux de certains russes prompt à s’emparer des richesses de leur pays  que l’on regroupe aujourd’hui sous le nom d’ « oligarques ».

1980-1991, la fin de l’Union Soviétique.

En 1980, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) constitue une mosaïque de pays regroupés autour de la Russie. Cet ensemble constitue un bloc  dirigé autoritairement par un parti unique: le Parti communiste de l’Union soviétique.

URSS en 1990 avant dislocation

Ce bloc  de l’Est dit socialiste, dominé par l’URSS, fait face depuis  1917 au bloc de l’Ouest dit capitaliste, dominé par les États Unis.

Ce bloc de l’Est subit une crise politique  à laquelle s’ajoute  une crise économique. Dans les républiques du Caucase, s’enflamment successivement la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, et enfin la Tchétchénie, qui réclame son indépendance. “Avec ces conflits qui se multiplient aux marges de l’URSS, se multiplient aussi les réflexions sur la pertinence des frontières. Toutes ces nations ont été créées pour correspondre à des modèles préétablis. Or l’URSS étant une nation multi-ethnique, cette situation a fatalement engendré des conflits difficilement gérables.”

En mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev est élu à la tête du Parti soviétique, il est bien conscient de ce bouillonnement interne, et de l’impasse dans laquelle se trouve le socialisme soviétique. Il se lance dans la restructuration du pays.

Gorbatchev conduit l’URSS vers un nouveau monde…

Sans vouloir  abandonner le projet de communisme, il essaie de réformer le  système soviétique dont la lourdeur bureaucratique fait obstacle à la reconstruction économique (perestroïka) et en même temps de libéraliser le régime en permettant la transparence (glasnost), c’est-à-dire une certaine liberté d’expression et d’information.  Gorbatchev permet enfin aux citoyens de reprendre leur rôle au sein de la société. “C’est un moment extrêmement fort dans l’histoire du pays, mais qui amène à une remise en cause complète du récit soviétique. Et là, tout craque.”

Le 26 avril 1986, survient la crise environnementale du siècle: la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl. L’accident montre toutes les faiblesses scientifiques et sécuritaires du système soviétique. “Le drame de Tchernobyl, un symbole de la puissance soviétique, remet en question sa maîtrise du territoire et de la nature. Il provoque donc une crise structurelle.”

Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la reconstitution de l’Allemagne fédérale, les régimes socialistes s’effondrent les uns après les autres en Europe de l’Est.

M Gorbatchev et B Eltsine à la Douma

En août 1991, des communistes conservateurs opposés à la réforme d’une Union soviétique en crise tentent un putsch contre le président Mikhaïl Gorbatchev, avec l’aide de l’armée. La résistance menée par le président de la Fédération de Russie Boris Eltsine met en échec cette tentative de putsch.

Le 8 décembre 1991, les présidents de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie constatent à Minsk que « l’Union soviétique en tant que sujet de droit international et géopolitique n’existe plus ».

Ils décident de fonder une Communauté d’États indépendants (CEI) ouverte à tous les États de l’ancienne URSS.

Gorbatchev met un point final au rêve soviétique le 25 décembre 1991, en annonçant sa démission en direct à la télévision russe.

1992-2000  La CEI, la Russie et les relations avec la communauté européenne.

   -La création de la CEI : Fin  décembre 1991 à Alma Ata, la création de la Communauté des États indépendants (CEI) est confirmée. Huit républiques rejoignent les trois précédentes, la CEI regroupe désormais onze républiques.

À l’origine, la CEI est destinée à régler les problèmes posés par la gestion de l’héritage de l’URSS (nationalités, territoires, héritage de l’appareil étatique de l’URSS, etc.). En fait, c’est la République fédérale de Russie qui s’empare de l’héritage de l’Union soviétique: elle assure le commandement unique des armes nucléaires stratégiques, obtient la place de membre permanent  au Conseil de sécurité de l’ONU, les réserves d’or et de diamants et l’essentiel des ressources pétrolières.

Cette CEI qui cherche à établir des accords de libre échange des hommes et des marchandises va, de fait, se montrer bien instable. A titre d’exemple, parmi les 173 accords et traités demandant une ratification par les parlements nationaux signés jusqu’en 2001, seuls huit seront effectivement  mis en vigueur sur l’ensemble du territoire de la CEI.

   -L’assistance de la Communauté européenne: le programme TACIS.

Dès décembre 1990, les États membres de la  Communauté  européenne  sont   convenus d’aider les autorités de l’ex-Union soviétique à réformer et à redresser leur économie et à en accélérer l’intégration dans  l’économie mondiale. Ils lancent un programme d’assistance intitulé programme TACIS (Assistance technique en faveur de la Communauté  des   États  indépendants). L’objectif  du  programme consiste à aider chaque État à  développer une économie de marché au fonctionnement efficace, reposant sur la  propriété et  l’initiative  privées,  et à encourager  l’instauration  de  sociétés démocratiques pluralistes.

La gestion du programme TACIS est confiée au siège central de la Commission à Bruxelles, relayée par des délégations de la Commission européenne dans les pays concernés.

 Dans une approche sectorielle et transversale, le soutien technique et financier sert surtout aux restructurations des entreprises et des ressources humaines ainsi qu’à assurer la sécurité nucléaire (l’accident de Tchernobyl n’est pas loin).

1997, rapprochement entre CEI et Communauté Européenne : mon témoignage

En aout 1997, je m’installe à Moscou en tant que responsable des activités moyenne tension du groupe français, le Groupe Schneider. Je suis chargé de coordonner et renforcer la présence du  groupe dans le domaine des stations électriques. Ces stations assurent la qualité et la sécurité des livraisons de l’électricité dans les villes et les grands sites industriels.

Décembre 1997, un premier constat : la découverte d’un autre monde

 Au bout de quelques mois de séjour, la direction du groupe Schneider me convoque pour un premier bilan.

Voici ce que j’écrivais le 15 décembre 1997 :

Le pays, un « autre monde » :

« La situation est inversée par rapport à toutes les expériences passées ; le pays est dans une stratégie de survie, il n’y a pas d’argent, l’activité industrielle est en baisse …et ceci jusqu’à quand ?

Dans notre domaine, le pays est suréquipé avec des produits caducs, la plupart des industries sont à l’arrêt et les outils industriels dépassés.

La langue russe est incontournable et difficile à apprendre. Les russes ne parlent pas l’anglais.

Mes collaborateurs russes sont plutôt méfiants, peu bavards sur leur expérience, leur métier »

L’état existe-il ?

« L’état ne semble pas maîtriser la situation: par exemple les taxes sont très faibles et l’état a bien du mal à les recouvrir…Pour les entreprises, le dépôt de bilan n’existe pas, même si elles ont peu d’activité  »

Les Entreprises n’ont rien à voir avec le modèle occidental

 « un mode de fonctionnement qui reste à découvrir : qui fait quoi ? »

Les équipes Schneider: « beaucoup trop d’intervenants qui se coordonnent peu dans une région grande comme un continent. »

Deux points clefs :

« L’assistance TACIS apportée par la communauté européenne si elle nous donne accès  à certains clients, semble éloignée de l’opérationnel.

Le client GAZPROM, premier fournisseur de gaz, est  une clef de succès à privilégier.»

1997-1998 : la base de départ puis l’analyse et l’action dans un monde plutôt chaotique.

Le pays est dans une stratégie de survie…. Avant mon arrivée, mes collègues du groupe ont signés des accords de collaboration avec 4 sociétés.

 Pour visiter  chacune de ces sociétés, je devrai me rendre à Samara, Minsk, Krasnodar et Kaliningrad soit à chaque voyage, de 1 000 à 1 300 km au départ de Moscou, oui, nous sommes bien sur un continent.

Chaque visite va me conduire au même constat: les usines semblent pratiquement à l’arrêt, les produits et les outillages sont dépassés et fatigués si on les compare à ce que l’on trouve en Europe Occidentale.   

Le fonctionnement des entreprises ne semble pas correspondre au modèle occidental

Chaque société est consciente du retard pris dans la conception de ses équipements et souhaite importer tout ou partie de nos produits dans ses propres équipements. Nos partenaires rappellent d’abord un préalable: le produit importé doit être qualifié par la Fédération de Russie et répondre aux normes GOST R mais quand on pose la question : Comment aborder le processus de qualification ? C’est le grand silence toujours suivi  de la même phrase : « Il suffit de s’adresser à l’Institut…. »

Quand on aborde la stratégie commerciale, l’approche clientèle, les cibles de clientèle, c’est un nouvel étonnement: si nos correspondants savent rappeler l’historique, les commandes passées, ils sont en difficulté pour cibler leurs futurs clients et la conclusion  est plutôt surprenante: « Nous répondons aux demandes des Instituts».

Quand on étudie la phase montage en clientèle  nous avons toujours la même réponse : « C’est une autre société qui assure le montage»

Je retiendrai de ces premières visites deux questions :

– les sociétés que je viens de rencontrer ont des missions bien limitées. Ne ressemblent-elles pas plutôt à nos simples ateliers de fabrication ? Les produits étant conçus et testés par d’autres ?

– quel est le rôle et le pouvoir de ces Instituts qui semblent omniprésents ?, alors qu’en occident, il n’existe pas d’Institut intervenant de façon opérationnelle dans la gestion et la réalisation des commandes.

En rentrant concrètement dans l’obtention et la réalisation de projets, je vais pouvoir répondre à ces questions.

La priorité : GAZPROM et ses gazoducs.

Parmi les projets de collaboration signés par mes prédécesseurs, je vais rapidement donner la priorité au projet situé à Kaliningrad: la société, KGA soit Kaliningrad Gaz Aftomatika est une filiale de Gazprom spécialisée dans la fabrication des équipements électriques destinés à équiper les stations de compression de gaz réparties le long des gazoducs qui, partant de Sibérie, assurent la distribution du gaz vers la Russie et les pays d’Europe occidentale. Le projet a pour objectif de faire fabriquer nos cellules moyenne tension équipées de disjoncteurs de technologie SF6 en remplacement des anciennes cellules utilisant des disjoncteurs à huile, technologie dangereuse et obsolète.

Pourquoi cette priorité ?

GAZPROM contrôle  la quasi-totalité  de la production de gaz russe, la société est le plus grand monopole du monde.  Les réserves prouvées de la Russie sont de loin les premières du monde avec près de 40 % du gaz mondial. Gazprom a produit 22 % du gaz mondial en 1994, et maîtrise en outre un réseau de gazoducs qui alimente en particulier l’Europe de l’Ouest.

Gazprom c’est aussi « L’État dans l’État » ; en effet, dans l’environnement direct du Président Boris Eltsine, on retrouve les « barons de l’énergie » à commencer  par le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, ex-patron de Gazprom qui n’hésite pas à confondre ses propres intérêts avec ceux de Gazprom: il est devenu actionnaire de Gazprom au moment de la privatisation de son groupe en 1994 et profite de sa position pour privilégier son ancienne entreprise et donc son portefeuille , à tel point qu’on le surnomme avec ironie le discret « gazparatchik »

La remise en état du réseau de gazoducs.

La sauvegarde de l’économie russe passe par la croissance des exportations de gaz.

Hors  en 1997, Gazprom ne dispose pratiquement que  d’un seul réseau pour alimenter l’Europe occidentale, le réseau Yamal 1, qui partant de Sibérie traverse la Biélorussie, puis l’Ukraine avant d’arriver en Slovaquie.

Un nouveau gazoduc est en construction en Biélorussie: Yamal 2. Le Kremlin pourra ainsi doubler les exportations russes vers l’Europe et  rendra celles-ci invulnérables au « chantage » qu’exerce l’Ukraine. En effet, en 1997, l’Ukraine(1) constitue la  seule voie de transit de ce gaz et le pays en profite pour exercer un chantage permanent auprès de Gazprom en ne payant qu’au compte goutte le gaz qui transite par son territoire. C’est aussi pour cette raison que l’Ukraine ne fait pas partie de l’union douanière instaurée entre la Russie, la Biélorussie, le Kirghizstan et le Kazakhstan.

L’actualité confirme l’obligation d’une action urgente sur le gazoduc : le 30 Avril 1997,  un gazoduc de vingt ans d’âge et de plus de un mètre de diamètre explose  à une soixantaine de kilomètres au sud de Minsk, la capitale de la Biélorussie. Près de 80 mètres de tuyaux volent en éclats et une centaine d’hectares de forêt sont réduits en cendres. Ce genre d’accident, plus ou moins grave, plus ou moins spectaculaire, se produit régulièrement sur le territoire des anciennes Républiques soviétiques, à cause de la vétusté et du manque d’entretien des réseaux.

Le directeur technique de Gazprom , A Schwartz me confirmera lors de notre premier contact qu’il y a 1400 stations de compression, dont 70% sont à rénover et que leur moyenne d’âge est de 25 à 40 ans.    

Les premiers contrats et la gestion des contrats.  

Fin 1997, 3 contrats d’équipements de stations de compression sont mis en vigueur, il s’agit de la remise à niveau des stations du réseau Yamal située en Sibérie, leur nom en décrit bien la fonction : Mostransgaz, Tiumentransgaz, Volgotransgaz.

Tableau électrique pour stations de compression au sein de Kaliningrad Gaz Aftomatika

La fabrication en est confiée à KGA qui intégrera des produits venant de France dans son usine de Kaliningrad.

Pour répartir les missions de chacun et lancer la fabrication de ces contrats, nous devons réunir  les équipes de Schneider France, Schneider Russie, de Kaliningrad (KGA).

Lors de la première réunion, je vais découvrir un invité surprise: il s’agit du directeur de l’Institut Lenorgenergogaz, Mr Belaiev, lui-même accompagné de ses équipes et de son bureau d’études. Je vais découvrir que Belaiev a été invité par KGA mais surtout que son Institut est incontournable pour faire aboutir le projet.

Quand on abordera le problème de la qualification de nos produits aux normes Gost , il sera le seul à examiner les rapports d’essais et à valider la certification

Quand on étudiera les schémas électriques de l’installation, c’est son bureau d’études qui  interviendra et validera les schémas.

Enfin, c’est toujours l’Institut qui se chargera d’établir et de transmettre les instructions de montage sur site à une nouvelle société : la société Electromontage.

De toute évidence, KGA ne dispose d’aucun service de recherche développement et n’étant pas chargé du montage, n’a pratiquement pas de contact avec l’utilisateur.

Le rôle clef des Instituts.

Cette expérience et mes conversations avec Belaiev viennent de me permettre de comprendre que nous sommes face à un héritage de l’ex-URSS : les entreprises russes ne fonctionnent pas comme nos entreprises occidentales ce qui complique beaucoup les relations.

Si en occident, la recherche et le développement (R&D) sont intégrés à l’entreprise, l’organisation de la recherche en ex-URSS était marquée par une double séparation :

– les Instituts et les bureaux d’études conduisent la recherche dans des structures totalement distinctes des unités de production. Ils assuraient seuls la conception des produits puis la gestion des projets .

-les Instituts sont rattachés à des organisations centrales distinctes à l’image de  Lenorgenergogaz qui est en fait une filiale de Gazprom bien loin des organisations d’État de recherche développement comme en France, notre CNRS. Cette organisation de la recherche en Russie a donné naissance à une grande diversité de structures et multiplie le nombre d’intervenants dans la conception des produits et dans la gestion des projets.

L’équipe de négociation à St Petersbourg -11 personnes

Ce type d’organisation explique également les retards technologiques pris par l’ex-URSS: toute la R&D étant conduite en dehors des sites de production, il n’y avait aucune place pour les effets d’expérience liés à la production (learning by doing) ou à l’utilisation des biens (learning by using).

Le producteur et l’utilisateur étaient des figures passives situées en dehors du processus d’innovation. C’est bien ce que j’avais constaté lors des premières visites chez nos partenaires.

L’assistance TACIS et ses difficultés.

Cette analyse va me permettre également de comprendre les difficultés de nos collègues impliqués à Moscou dans le programme d’assistance de la communauté européenne, le programme TACIS.

En 1995, GAZPROM a bénéficié d’un de ces contrats. C’est un consortium regroupant EdF, Gaz de France, des ingénieurs de Schneider et un cabinet conseil Sodeteg qui prend en charge ce contrat. L’objectif est d’assurer les formations des cadres de Gazprom aux  organisations et méthodes de l’économie occidentale. Malheureusement,  l’écart de compréhension du monde de l’entreprise entre nos deux mondes, va entrainer une grande incompréhension et la déception de nos partenaires russes.

Le directeur technique de Gazprom me dira un jour : « ces formations sont bien préparées, les outils de formation sont de qualité mais mon personnel ne sait pas ce qu’il en fera… après…. »  

Cette réflexion me conduira à rappeler au responsable de TACIS à Moscou : « Divulguer son savoir faire, c’est accepter de divulguer un « trésor », mais aussi prendre du temps pour le structurer et le formuler « c’est une expérience complexe qui nécessite que l’on s’occupe autant du donneur que du receveur »

Discussion autour du programme TACIS

Finalement, TACIS obtiendra ses premiers résultats après l’intégration des Instituts dans les programmes de formation et quand nous mettrons en place à Kaliningrad une fonction technico commerciale avec l’aide d’un ingénieur venu de France. Cette fonction rendra son autonomie à l’usine dans la compréhension du besoin client et dans la gestion des contrats sans passer par les Instituts.

1999, vers un renforcement des relations Schneider/Gazprom et, … une pointe d’ « oligarchie».

L’année 1998 a été pour l’économie Russe une catastrophe : fuite des capitaux, impossibilité de rembourser la dette, remise en cause de l’aide du FMI, forte dévaluation du rouble, absence de l’État avec la maladie de Boris Eltsine(2).

Cette situation ne va pas empêcher notre groupe Schneider de chercher à renforcer sa collaboration avec Gazprom. Face au manque d’argent coté Russe, nous allons proposer de participer au capital de la filiale de Gazprom KGA. En effet, il est évident que les projets de rénovation des gazoducs resteront incontournables et que, avec notre aide et notre technologie, l’entreprise KGA aura de l’activité et un bel avenir. Nous n’ignorons pas non plus que le géant Gazprom souhaitera rester majoritaire dans sa filiale et que nous ne pourrons être que des actionnaires minoritaires.

Cette proposition sera accueillie avec enthousiasme coté Russe en cette période d’instabilité financière mais va vite évoluer de façon surprenante…

Nous sommes fin 1999 et nos partenaires ont remarqué que je commence à me débrouiller en Russe. Un matin, je reçois un appel téléphonique du directeur de KGA qui me convoque au siège social de Gazprom pour une « réunion au sommet » et, surtout, il me précise qu’il faudra venir sans traducteur ???.

Moscou siège social de Gazprom inauguré en 1995

Je me retrouve seul en face de trois directeurs de Gazprom et de KGA, ils sont tous actionnaires à titre personnel de KGA. Après avoir rappelé que cette réunion devait rester strictement confidentielle, ils vont rapidement aborder le projet d’augmentation de capital financée par Schneider et vont me proposer de créer avec Schneider une nouvelle société dont ils souhaitent …optimiser la fiscalité…en plaçant le siège social au …Liechtenstein.

Je viens de tomber dans le piège de la nouvelle Russie, le monde de l’oligarchie des années 1990. En effet, que deviendra le capital financier de la société une fois placé au Liechtenstein ? Dans quelles poches tomberont les millions de francs apportés par Schneider ?

Je ne parlerai jamais de cette réunion chez Schneider…Et quelques jours plus tard, lors d’une nouvelle réunion avec nos partenaires, je ferai une analyse réaliste  de notre projet, de ses objectifs  et montrerai que les besoins réels de KGA n’étaient pas financiers.

Schneider était prêt à participer au capital de KGA en équipant ses ateliers avec une nouvelle machine à commande numérique, un atelier de peinture, une nouvelle chaudronnerie. C’était la seule façon d’accélérer l’intégration locale de  nos équipements … d’optimiser les coûts et d’assurer l’activité des ateliers.

J’aurai droit à « une soupe à la grimace » mais c’est finalement ce qui sera fait : Schneider n’apportera pas un centime mais équipera KGA de machines outils parfaitement adaptés à la fabrication de nos produits. 

Conclusion

En juin 2000, un an plus tard, la Russie a un nouveau président : un certain Poutine ex chef du KGB qui déjà jette un certain froid sur mes collègues russes.

Mission accomplie, je vais quitter la Russie en  restant confiant pour l’avenir de KGA.

2021 Kaliningrad siège social de KGA

En 2022, vingt cinq ans plus tard, Kaliningrad Gaz Aftomatika est toujours une filiale majeure de Gazprom, elle a contribué, n’en doutons pas, à l’équipement de multiples gazoducs  tels que Droujba, Blue Stream, North Stream comme le montre le schéma ci-joint et le groupe Schneider est toujours un de ses partenaires majeurs.

La Russie peut elle affirmer en 2022 qu’elle a vécu dans les années 1990 une ruine économique amplifiée par des réformes libérales dictées de l’étranger et par des hommes d’affaires avides de piller la Russie ?.

François Marie LENGLET le 27 Juillet 2022

Notes: 1: En 1997, les relations entre la Russie et l’Ukraine ont déjà des relations difficiles: outre les problèmes de gazoducs , l’Ukraine bénéficie d’un outil industriel plus performant que l’outil russe .

2: voir article  » Moscou, 31/12/1999, Eltsine démissionne, Poutine devient président de la Russie par intérim « 

Sources :

  • archives du journal « Le Monde » de 1990 à 2000.
  • Russie : que sont devenus les instituts ?par Marie-Laure Couderc et Gilles Le Blanc Cerna, Centre d’économie industrielle, Ecole des mines de Paris   Annales des Mines 02/1998
  • De l’accord de partenariat et de coopération aux « quatre espaces communs » / TACIS  par Jérome Clerget Les cahiers Irice 2014/2 n°12
  • LES PAYS DE LA CEI SUR LA VOIE DE LA TRANSITION, UN SUCCES EN DEMI-TEINTE POUR LE PROGRAMME TACIS, Adriana SZCZESNA,  Groupe d’études et de recherches Notre Europe Jacques Delors
  • Europe et Russie; la bataille des gazoducs par Mathias Reymond

2 commentaires sur “1991 , l’Union Soviétique est dissoute, la Communauté Européenne vient en aide à la Russie et à ses voisins: un témoignage.

  1. Quelle surprenante aventure moscovite, si bien décrite, avec les revirements politiques Russie – Ukraine.
    Je suis moi-même en relation-« association » avec une brillante femme russe originaire de Sibérie (et accessoirement artiste peintre).. Adolescente, en 1982, elle a accompagné ses 2 parents (ingénieurs en centrales nucléaires) pour vivre à Kiev, en Ukraine; ils travaillaient tous 2 à .. Tchernobyl au moment de l’accident.
    Nous échangeons par « touches » sur ces années difficiles; le contexte actuel est complexe, car mon association a collecté des dons pour être acheminés en Ukraine au profit des femmes et enfants; elle se positionne fermement mais avec réserve, car elle se sent avant tout russe. Olga est mon amie.
    Aujourd’hui, ce que tu nous transmets via Gazprom fait sens sur ce volet historique.
    Je suis attentive à suivre les prochains événements.
    Merci François Marie ,
    Bien amicalement,
    Ta nièce Isabelle Lenglet (Leclère @Bievres).

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    1. Au cours de mon séjour à Moscou, j’ai eu aussi l’opportunité de me rendre à Donetsk pour affaires. Tout le monde parlait russe, il n’y avait aucune animosité ,mais plutôt un peu de jalousie coté Russe car les Ukrainiens semblaient plus proche des occidentaux et en avance technologique.

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