Mon père François Jules Désiré LENGLET est né en 1906 à Bertry, un petit village du Nord de la France situé au cœur du Cambrésis. En recherchant nos ancêtres les plus lointains, nous sommes remontés jusqu’en 1769 à Clary, à quelques kilomètres de Bertry, où est né Jean Joseph LENGLET dit »Jean Baptiste » .S’il est facile de comprendre la signification de notre nom de famille: LENGLET, on peut néanmoins se demander dans quelles circonstances ce patronyme a été attribué à un de nos ancêtres.
Nous vous proposons une plongée dans les archives et dans l’histoire de France pour tenter de retrouver ces circonstances.

Origine des noms de famille
Jusqu’au XIème siècle, toute personne ne portait que son nom de baptême (son prénom) et si il fallait la distinguer d’un voisin portant le même prénom, on lui donnait un surnom. Il suffit de penser aux rois francs comme Charles Martel, Pépin le Bref, Louis le Pieux, Charles le Chauve, sans oublier Charles le Grand (Charlemagne), qui avaient donc tous un surnom. L’usage du surnom est, de toute façon, une constante des relations humaines, et aujourd’hui encore on continue, dans les villages et les établissements scolaires, à donner des sobriquets à ses professeurs ou à ses copains.
Au XIIème siècle, avec l’explosion démographique la simple attribution d’un surnom aux individus ne suffit plus pour éviter les confusions. Plusieurs régions vont très vite imposer que les enfants légitimes portent comme nom de famille, le nom de leur père: ce sera le patronyme.
Il faudra attendre 1539 pour que François Ier édicte l’ordonnance de Villers-Cotterêts pour imposer la langue française et rendre obligatoire la tenue des registres paroissiaux dans son Royaume pour les naissances, les mariages et les décès. C’est ce qui sera bien mis en œuvre, toutefois l’orthographe des noms restera longtemps bien aléatoire. Il est donc bien difficile de retrouver dans les archives les traces de nos ancêtres avant le XVI ème siècle.
Les « LENGLET »: étymologie du nom et répartition géographique.

Lenglet et sa mère Marie Mélanie Langrand
Bien entendu, le patronyme Lenglet signifie tout simplement « celui qui vient d’Angleterre », c’était si simple que mon père François Lenglet professeur au Lycée de Douai n’avait pas de surnom ni de sobriquet.
En 2019, la mise en commun des données généalogiques sur Internet avec des sites comme Geneanet, permet d’enquêter plus facilement sur nos ancêtres éloignés.
– Le premier Lenglet répertorié sur Geneanet est Toussaint Lenglet né à Inchy en 1580 et décédé à Troisvilles en 1620. Il est donc né au cœur du Cambrésis dans un de ces villages où on retrouve nos parents et nos ancêtres dans un rayon de 10 kilomètres.
Ce Toussaint Lenglet était bien ancré dans le monde rural ; il était laboureur comme son fils Adrien le sera .
– La répartition géographique des Lenglet : En 1900, on répertorie en France, 100 000 Lenglet toutes générations confondues, dont 82 000 dans le Nord de la France.


Le plus surprenant, c’est de noter qu’ils sont les plus nombreux dans les villages ruraux du Cambrésis.
Les données détaillées de 2019 montrent bien l’origine des Lenglet dans les villages de Inchy, Bertry, Clary, Walincourt…. et leur absence historique presque totale dans les villes comme Cambrai, Douai, Le Cateau…
Histoire du Cambrésis du XIème au XIVème siècle .
C’est donc en nous plongeant dans l’histoire du Cambrésis et, surtout celle du monde rural qui l’entoure, au début du second millénaire que nous devons rechercher l’origine du patronyme Lenglet.

—La vie de nos ancêtres: Au XIème, nos ancêtres vivent encore sous un régime féodal. Pour le décrire, il suffit de revenir sur l’origine du nom du village de Troisvilles où naquit ma mère Gisèle Toussaint en 1912 : il est le résultat du regroupement de trois « villas » : la Sotière, le Fayt et l’Euvillers.
Dans le prolongement de la tradition romaine, chaque villa est en fait un domaine agricole qui appartient à un seul seigneur membre du clergé ou de la noblesse. Le seigneur fait exploiter ses champs et pâturages par des paysans contraints à des corvées et servitudes. En échange, chaque paysan dispose d’une petite ferme ou plutôt « manse » de quelques hectares sur laquelle il fait vivre sa famille en quasi autarcie. Autour du logis, on trouve un « courtil », jardin fertilisé par les déchets de ménage et les allées et venues des animaux. Il est difficile de chiffrer le nombre de paysans qui vivent pauvrement et restent sous la menace permanente de la famine, due aux intempéries. La nourriture est à base de pain complétée par le lard et les légumineuses et comme boisson la cervoise fabriquée avec de l’orge ou de l’avoine. Pour montrer la misère du monde paysan de l’époque, un historien écrit « De dix paysans, l’un est dans la misère, trois sont dans la gêne, quatre vivent modestement mais dans une certaine sécurité; deux seulement connaissent l`abondance. En marge de la société établie, grouille une masse énorme de mendiants démunis de tout, et à qui les abbayes distribuent quelques aumônes. »

Revenons à Troisvilles: le centre du village s’appelle Euvillers. Eu villers signifie en fait la « villa d’Otton »(1). Otton est le nom de l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique qui depuis le Xème siècle possède tout le Cambrésis. En particulier l’empereur Otton III donnera en 1003 à l’évêque Herluin du diocèse de Cambrai l’ordre de construire les remparts et un château destiné à assurer la protection de la population des environs et à lutter contre les bandes armées qui pillent la région. C’est ainsi que naîtra la ville de Le Cateau et que Troisvilles, à 5km du Cateau, sera mieux protégé des pilleurs.
Au XIVè siècle, cette société a progressé avec l’arrivée des charrues et des chevaux qui améliorent les rendements de l’agriculture, l’élevage des moutons et surtout l’invention en 1309 par un certain Baptiste Cambray d’une toile de lin fine: la « batiste » qui fera la réputation du Cambrésis dans le monde du textile.
–l’histoire douloureuse du Cambrésis au XIVè siècle:

Le Cambrésis va se retrouver au milieu de tous les conflits du Moyen Age et en particulier la terrible guerre de cent ans . Comme le montre cette carte, Cambrai est situé au bord de l’Escaut au cœur du Hainaut à la limite entre au nord le Saint Empire Romain Germanique et au sud le Royaume de France . A l’ouest, sur la rive gauche de l’Escaut, se trouve le Comté de Flandre qui fait partie des « fiefs mouvants de la couronne de France »
Une autre frontière va se révéler capitale :la limite entre la langue romane (français) et la langue germanique (flamand).
Enfin, il ne faut pas oublier le poids de l’église: à l’époque, la société est chrétienne et le temporel se confond avec le spirituel. Ainsi l’Évêque de Cambrai est à la fois comte et pasteur. Il est tout puissant dans son immense diocèse qui va de Valenciennes, Le Cateau jusqu’à Gand.
Un vieux contentieux, à la fois politique, linguistique et économique oppose le suzerain français soutenu par les nobles et riches, les fleurs de lis, aux rudes Flamands des villes et des campagnes, hostiles d’instinct aux Français, les griffes du lion des Flandres.
Ce contentieux à l’origine de la bataille de Bouvines en 1214 qui a opposé le roi Philippe Auguste à l’Empereur du Saint Empire se complique un siècle plus tard.

En effet, au cours de l’année 1338 qui marque le début de la Guerre de Cent Ans, Édouard III , roi d’Angleterre forme avec les Princes Allemands une ligue contre le roi de France Philippe de Valois. Il vient réclamer au roi de France, le royaume qu’il prétend lui appartenir.
En 1338, le roi Édouard III d’Angleterre, petit-fils, par sa mère, du roi de France, prétend succéder sur le trône de France au dernier Capétien, Charles IV ,au détriment de Philippe VI de Valois, cousin germain de ce dernier et désigné comme roi par la noblesse et le clergé et sacré à Reims le 29 mai 1328. Le roi d’Angleterre peut compter sur l’appui des villes flamandes et aussi sur le comté du Hainaut , pour qui la laine anglaise est la ressource essentielle car cette laine fait tourner l’ industrie textile naissante . Édouard III s’appuie aussi sur le comte Robert d’Artois qui a été banni et dépossédé par Philippe VI pour félonie.
Pour s’attirer les Flamands, Édouard III, interdit l’importation et même l’usage du drap étranger et aussi l’exportation de la laine anglaise, offrant protection et privilège à tout travailleur étranger qui viendrait s’établir en Angleterre. Aussitôt en Flandre et dans le Hainaut, les métiers cessent de battre et de nombreux ouvriers passent outre-manche. Heureusement, le monde des tisserands réagit face à la noblesse et son leader, Jacques van Artevelde , proclamé capitaine de la ville de Gand permet la signature d’un traité de commerce entre les Gantois et les Anglais : la circulation des laines et des draps reprend rapidement entre la Flandre et l’Angleterre.

L’évêque-comte de Cambrai bien protégé par ses fortifications refuse de participer à cette coalition. C’est ainsi qu’Édouard III et une armée de 40 000 hommes n’ose pas s’attaquer à la ville de Cambrai ,bien fortifiée et protégée, mais vient attaquer le sud-est du Cambrésis. Tous les villages dont Bertry, Troisvilles, Crèvecœur, Esnes, Clary, etc, subissent les exactions des soldats pilleurs. Ces ravages furent immenses et insoupçonnables dans tout le Cambrésis.
Quelques écrits témoignent de la violence de ces pillages :
– Le Roi Édouard III fait part de son contentement à l’Évêque de Canterbury :« Nos gens détruisent communément, en large, douze à quatorze lieues de pays, et tout le pays est moult vidé de blés, de bétail et d’autres biens… ››
– Jean Froissart(2) dans ses Chroniques décrit la vengeance de ces charognards qui n’ont pu entrer, après six semaines de siège, dans Cambrai: »Les Anglois enforchoient femme gisants d’infants, femmes mariées et bonnes filles, et aux josnes enfans copoient à l’ung ung pied, à l’autre les oreilles, aux autres le nez et à aulcuns crevoient les yeux et disoient : Ché pour che qu’il vous souvienne que le Roi d’Angleterre et les Anglais ont esté en Cambresis! ».

Cet épisode douloureux ne sera pas le dernier et la population souffrira encore pendant des décennies: citons la catastrophique bataille de Crécy de 1346 opposant de nouveau Édouard III d’Angleterre à Philippe VI de Valois. Cette bataille révèlera les lacunes de la cavalerie française et du coté anglais verra la première utilisation des bombardes.
Enfin une épidémie de « peste noire » va atteindre l’Europe en 1347 et tuer plus d’un tiers de la population… mais aussi la quasi-totalité des moutons, privant ainsi les tisserands du Cambrésis de laine.
Origine du patronyme LENGLET
Cette plongée dans l’histoire de France, nous permet de confirmer que nos ancêtres lointains proviennent du monde rural , de villages ruraux situés au cœur du Cambrésis et auxquels ils sont restés fidèles jusqu’au début du XXème siècle.
Quand à leur surnom, devenu le patronyme Lenglet, il semble être apparu au début de cet épisode douloureux de notre histoire que l’on appelle la guerre de cent ans. S’agit-il de:
– ces tisserands de la région de Cambrai qui se sont rendus en Angleterre vers 1339 pour pouvoir continuer à travailler la laine et qui à leur retour en France furent bientôt surnommés « l’anglais ».?
– Ou bien de ces victimes indirectes des exactions commises par les soldats anglais d’Édouard III qui, la même année ont massacré, violé les populations de la campagne du Cambrésis alors que les villes de Cambrai ou du Cateau restaient protégées derrière leurs remparts? La répartition géographique des Lenglet vient consolider cette seconde hypothèse.
Nous voici à la fin de notre enquête . Quand à l’orthographe, elle restera le fruit de la fantaisie de nos ancêtres.
François Lenglet Décembre 2019
Notes:
1-extraits du livre « Bertry dans le Cambrésis » de Dominique Solau: Pour le domaine d’Euvillers, l’abbé Boniface avance le mot EU du roman, langue composée de la corruption du latin et du celtique, qui signifie eau voire marais et villers ou villa voulant dire un corps de ferme, un site d’exploitation agricole. L’archiviste Leuridan démontre que Villers, diminutif de villa, désigne une simple habitation rurale. Au Xlè siècle, EU ne signifierait pas eau, mais s’orienterait à la forme primitive de Olvillers émanant du mot ot, ott, venant de Othon, avec l’étymologie villa soit l’exploitation agricole d’un dénommé Othon.
2– Jean Froissart (né en 1337 à Valenciennes /1440) est l’un des plus importants chroniqueurs de l’époque médiévale. Il fut l’historien officiel à la cour de Philippa de Hainaut, l’épouse d’Édouard III d’Angleterre.
Annexe:
L’orthographe du nom Lenglet s’éloigne de celle que nous pratiquons aujourd’hui. Il est possible de faire l’analyse de la répartition de tous ceux qui ont hérité d’un surnom les désignant comme « venant d’Angleterre » . L’orthographe du nom, essentiellement phonétique, a évolué au cours des siècles mais l’analyse de la répartition géographique en fonction de l’orthographe du nom montre clairement la cohérence de ce surnom avec les régions occupées par l’ Angleterre pendant la guerre de cent ans. A titre d’exemple le nom le plus fréquent: Langlois, couvre le Nord mais aussi la Normandie, la Bretagne et l’Ile de France.


Sources:
« Histoire du Nord » de Pierre Pierrard Hachette-1978
« Bertry dans le Cambrésis »de Dominique Solau- 2017
« Monographie de Troisvilles » de C Farez –1900
https://www.geneanet.org/fonds/individus/
http://cetaitautemps.e-monsite.com/ Dominique Lenglet
Bonjour François, merci pour cet excellent article bien documenté. On peut je crois ajouter le patronyme Linglet, pour lequel il n’est nul besoin d’explication pour qui connait l’accent du nord…
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Bonsoir monsieur le Professeur,
Le site Web, plus exactement la page, n’est pas le mien, mais illustre bien la suite !
Permettez-moi une suggestion peut-être hasardeuse car cela relève plus de l’intuition… à moins que vous ne préfériez conserver l’Anglais ?
Geneanet ne voit d’ailleurs que cette explication d’un anglais (de souche ou non) qui serait venu en France et y serait resté…
Personnellement je serrais séduit par une autre explication : LENG – LET : Leng ou Lang peut former un nom et Let ou Et ajouté en suffixe pour dire le » petit Leng » par exemple…
En langue germanique on dit que Lang signifie Long… deux mots à vrai dire bien proches.
Leng comme nom est situé en Alsace ! plus précisément en Haut-Rhin (68).
S’intéresser à cette page : Les noms de familles Alsaciens
https://fr.geneawiki.com/index.php/Les_noms_de_familles_Alsaciens
Enfin cette autre page pour étendre le brainstorming et qui sait ouvrir des portes…
https://www.filae.com/nom-de-famille/LENG.html
Bonne recherche !
G.
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Merci pour votre commentaire sur l’origine du nom Lenglet.
Votre explication est intéressante et plausible mais je n’y crois pas trop car l’origine de ma famille est essentiellement le Cambrésis (ancêtre le plus probable à Inchy vers 1500)
A noter que la revue française de Généalogie donne une autre explication sur ce patronyme : un lieux-dit signifiant « terre en angle »(ci-joint).
Si vous naviguez sur mon blog , vous trouverez d’autres articles sur l’histoire de ma famille et, plus surprenant, sur le père de Michel Rocard : Yves Rocard….
Merci pour votre contribution
Françoise & François LENGLET
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tel: 06 72 62 06 10
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