Au cours des années 1960-70, Yves Rocard venait fréquemment à Lorgues pour suivre son équipe en charge de la détection des explosions nucléaires. A partir de témoignages de lorguais, nous avons pu montrer comment le Professeur Yves Rocard semble avoir inspiré Hergé pour créer ses personnages de savants dans ses albums Tintin et Milou, et, plus particulièrement, le Professeur Tryphon Tournesol (1).
Mais Hergé a-t-il rencontré Yves Rocard? De nouveaux témoignages vont nous montrer que cette rencontre est plus que probable et surtout qu’elle a permis à Hergé non seulement de bien camper le personnage du Professeur Tournesol mais aussi de découvrir de nouvelles idées pour nous emmener vers un monde imaginaire avec une anticipation improbable.
Notre enquête sur Hergé et les Professeurs Rocard et Tournesol continue.
Le Professeur Yves Rocard à Lorgues ; de nouveaux témoignages.
- Début 2013, en promenade à proximité des Maneous, nous rencontrons Mr Gerard Salagnac (voir Annexe 1), habitant le chemin des Monges. Quand il apprend que nous habitons Les Maneous, il arbore un large sourire et nous informe qu’il a longtemps travaillé aux Maneous, au sein de l’équipe du Professeur Rocard à partir des années 1970 et c’est comme cela qu’il a choisi de s’installer à proximité. Nous aurons l’occasion de nous rencontrer à plusieurs reprises. Il nous racontera les différentes étapes de l’installation de la station de détection à partir de 1961. Il évoquera succinctement l’accident qui tua deux ouvriers dans la galerie creusée pour l’installation du sismographe en 1962, puis les travaux d’installation d’un relais hertzien au Collet du Mouton. Mais il restait surtout impressionné par la personnalité d’Yves Rocard et nous racontait

« Je revois Yves Rocard, qui a l’époque était passionné par la sourcellerie. Je le vois en train de planter un gros clou dans un arbre puis, reprenant ses baguettes, passer lentement devant l’arbre pour vérifier si ce clou influençait le champ magnétique local et provoquait le déplacement de ses baguettes.
Il avait toujours avec lui des cahiers dans lesquels, de son écriture serrée, il faisait de savants calculs mathématiques, je l’entends encore dire avec de l’humour mais surtout beaucoup d’assurance : « De tout phénomène physique, il suffit d’en faire une mise en équations correcte, je noircis beaucoup de papier avant d’aboutir au résultat…. » »
- Au début des années 2000, je constate que le hameau des Maneous est une copropriété …sans en être vraiment une, et, que certains propriétaires contestent, sans en avoir la preuve, l’accès à certains chemins. Pour tenter de lever toute polémique, je pars à la recherche des anciens contrats d’achat des différentes parcelles.
C’est ainsi que je retrouve un acte notarié daté du 10 Juin 1961 ainsi libellé :

C’est donc une mystérieuse société civile immobilière aux consonances polynésiennes « MANADOMAINE » composée uniquement de deux associés qui a acheté un domaine de plus de 50 hectares particulièrement isolé en 1961.
Mais pourquoi Mr Yves ROCARD, professeur de physique à Paris dans une école prestigieuse achèterait à travers ce qui ressemble à une société écran un domaine rural de cette nature ?
Mais qui est cette Mme Marie Louise CLOCHE veuve Rudaux ?
Radio Mana et Mana Domaine ou… l’histoire de la bombe atomique française.

Francis Perrin, Louis Neel
Revenons au début de l’année 1954, en Indochine, l’Armée française vient de perdre la bataille de Dien Bien Phu. C’est Mendes France qui négocie la paix à Genève. En quittant la table des négociations, il fera la confidence suivante à son entourage « Ah si j’avais eu la bombe, je n’aurais pas eu toutes ces couleuvres à avaler… ». Il prend alors une décision capitale: la France aura la bombe atomique et il confie au Commissariat à l’Énergie Atomique(CEA) le soin de passer à l’action. Le CEA est alors dirigé par un haut-commissaire à l’Énergie Atomique : Francis Perrin (fils du physicien Jean Perrin) et un administrateur général Pierre Guillaumat . Yves Rocard qui en 1952 avait été en concurrence avec F Perrin pour diriger le CEA est alors un membre influent du comité directeur.
Cette même année, les États Unis relancent leurs essais nucléaires en testant la bombe thermonucléaire sur les îles Bikini Eniwetok dans le Pacifique.
Yves Rocard montre à Pierre Guillaumat, l’importance de fournir au gouvernement français des informations sur les effets électromagnétiques des essais nucléaires américains, russes et anglais et son souhait de les mesurer au plus près des sites d’essais. Il obtient l’accord d’installer une station de détection à Tahiti dans la plus grande discrétion et à condition que le nom de CEA n’apparaisse pas dans les documents d’achat. Laissant de côté le respect de toutes les procédures administratives et pressé d’agir, Yves Rocard crée une société dont il sera le seul associé. Cette société écran sera dénommée Radio Mana et la première installation sera située à Tahiti – d’où son nom (2) –.
C’est cette même société qui assurera dans les années suivantes l’achat en toute discrétion de toutes les stations de détection qui constitueront le réseau actuel du LDG (Laboratoire de Détection et Géophysique)géré par la DAM (Direction des Applications Militaires) ainsi que le terrain de Bruyères-le-Châtel dans la région parisienne sur lequel le plus grand centre de recherche du CEA pour la bombe atomique sera construit.
Grace à Radio Mana, le grand public et la presse ne découvriront l’existence et l’objectif de ces installations qu’après les premiers essais français de la bombe nucléaire dans le Sahara à Reggane le 13 février 1960.
C’est ce même procédé qui conduira Yves Rocard à acheter, dans un endroit isolé et en toute discrétion, en 1961 à Lorgues le terrain de la Cabrière et des Maneous pour créer une nouvelle station de détection des essais nucléaires dans le sud de la France. Toutefois, souhaitant associer son amie Marie Louise Cloche à cet achat, il créera une nouvelle société écran dont le nom rappelle parfaitement Radio Mana : la société Mana Domaine.
Lucien Rudaux, époux de Marie Louise Cloche, l’astronome méconnu…

En 1961, Yves Rocard vit donc avec la veuve de Lucien Rudaux : Marie Louise Cloche. Cette dernière avait épousé en 1933 un certain Lucien Rudaux, fondateur du laboratoire astronomique de Donville-les- Bains (Manche), qui était plus âgé qu’elle de 32 ans.
Mais qui était donc ce Lucien Rudaux ?
Il va se révéler digne de figurer au panthéon des savants admirés par Hergé.

Fils d’un peintre, illustrateur Edmond Rudaux, Lucien Rudaux nait en 1874. C’est un touche à tout autodidacte, féru d’astronomie, qui devient membre de la Société Astronomique de France (SAF) dès ses 18 ans. Apprécié par Camille Flammarion, ses illustrations figureront bientôt dans des livres aussi connus que « L’Astronomie Populaire ». En 1894, à 20 ans, Lucien Rudaux installe un observatoire à Donville-les-Bains, dans la maison familiale. En s’efforçant en permanence d’améliorer son observatoire, il passera toute sa vie à contempler le ciel et à essayer d’en élucider les mystères. Avec un vrai souci pédagogique, il effectuera des descriptions précises de la Voie lactée accompagnées de photographies dès 1893 et de dessins d’une incroyable qualité. En 1892, il écrira un premier article sur « La tache solaire du 15 juillet » et, toujours soucieux de populariser les connaissances astronomiques, il ne cessera plus d’écrire et de multiplier les conférences.
Passionné par les étoiles filantes, il se fera connaître en proposant en 1899 avec son collègue EM Touchet dans un article dénommé « L’étude des étoiles filantes » un modèle de Bulletin d’Observations et une carte permettant aux astronomes d’homogénéiser la présentation de leurs mesures et de mieux pouvoir les comparer. En 1904, il découvrira une comète, la comète 1904a.
En 1937, paraît son chef-d’œuvre « Sur les autres mondes », enrichi de plus de quatre cents illustrations. Il y présente des reconstitutions de paysages des planètes de notre système solaire issues de ses observations.

A Paris, en 1937, Jean Perrin, prix Nobel de physique, fonde le Palais de la Découverte à l’occasion de l’Exposition universelle, et fait appel à Lucien Rudaux pour animer la section astronomique. Ce dernier construit un globe lunaire, reconstitue des paysages extraterrestres en trois dimensions et peint plusieurs fresques dans les salles de l’univers stellaire. L Rudaux restera fidèle au Palais de la Découverte jusqu’à la fin de sa vie. Conférencier, il sera également démonstrateur à la section astronomique. Parmi ses nombreux livres retenons « La Lune et son histoire » paru en 1947. Malheureusement, il meurt en 1947 et n’aura pas le temps de finir son dernier livre, « L’Astronomie, les astres, l’univers », qui sera achevé en 1948 par l’astronome Gérard de Vaucouleurs. Ce livre sera considéré pendant longtemps comme un ouvrage de référence.
En marque de reconnaissance de ses travaux et en hommage à sa mémoire, son nom a été attribué à un cratère de Mars ainsi qu’à l’astéroïde 3574 (1988).
Lucien Rudaux et Yves Rocard amis et passionnés par… le soleil ?

En 1931, Lucien Rudaux animateur de la Société astronomique de France assiste à une conférence animée par Yves Rocard à la Sorbonne sur « La diffusion de la lumière par l’atmosphère terrestre » qu’il résume ainsi: « Yves Rocard a donné avec beaucoup de clarté les équations de l’absorption et de la diffusion dans l’atmosphère au voisinage du sol et les conséquences que l’on en tire sur la visibilité de jour comme de nuit ». Lucien Rudaux reprendra ces résultats lorsqu’il écrira en 1946 son livre sur la Lune pour décrire avec une parfaite exactitude le sol lunaire : « En étudiant la polarisation de la lumière solaire réfléchie par la Lune, on trouve que la surface de cet astre ne se comporte pas comme de la lave mais comme si elle était recouverte de fins matériaux pulvérulents assimilables à des cendres volcaniques »
Si Yves Rocard dans ses mémoires reste discret sur ses relations avec Lucien Rudaux, il semble bien qu’ils se rencontraient régulièrement en particulier à l’observatoire de Donville. Pendant la seconde guerre mondiale, devenu spécialiste des radars, Yves Rocard utilisera les travaux de L. Rudaux pour montrer qu’il existe un rayonnement radio propre du Soleil, des bruits radioélectriques en quantités suffisantes pour être captés par les récepteurs radios utilisés comme radars.
Enfin, c’est lui qui, après la mort brutale de Lucien Rudaux en 1947, aidera sa veuve Marie Louise Cloche en finalisant la diffusion du livre « La Lune et son histoire » et ira chercher l’astronome Gérard de Vaucouleurs pour achever son dernier livre « L’Astronomie, les astres, l’univers »avant de le faire diffuser.
Marie Louise Cloche d’abord sa secrétaire puis son assistante deviendra bientôt la compagne d’Yves Rocard.
Un autre scientifique va nous permettre de relier ces différents personnages au monde des étoiles et surtout à Hergé : il s’agit d’Alexandre Ananoff.
Alexandre Ananoff, l’astronaute méconnu…
Alexandre Ananoff né en Géorgie en 1910 se réfugie avec sa famille en France en 1921.

Il fréquente la bibliothèque de la Société Astronomique de France (SAF) dès 1927 et se passionne pour les voyages interplanétaires. Il est vite persuadé que « seul le moteur à réaction permettra à l’homme de s’échapper de la Terre, de vivre dans l’espace et de se déplacer et de se diriger à son gré vers la planète choisie ». Il anime de nombreuses conférences dès 1929 pour promouvoir cette jeune science : le monde des fusées, qui portera bientôt le nom d’astronautique.
Il s’efforcera de pousser les scientifiques français à se lancer dans la conception des fusées longue portée comme étaient en train de le faire les Allemands avec les fusées V-2 et de créer une section astronautique au sein de la Société Astronomique de France (SAF). Il se heurtera à l’incrédulité voire les sarcasmes de ses collègues, ainsi l’astronome Pierre Rousseau écrit : « Cet effarant monument algébrique que l’on décore du nom d’Astronautique, cette sarabande d’équations et d’intégrales …constitue en 1939 une simple plaisanterie. C’est abuser de la crédulité du public que de lui faire croire que le jour est proche où chacun de nous pourra retenir sa place dans l’astronef pour aller passer le week-end dans la Lune ».

Le 6 Aout 1945, explose la bombe atomique. Après le radar et la fusée V-2, l’énergie nucléaire vient de faire son apparition. Et le monde de l’astronautique imagine alors qu’il sera bientôt possible de propulser les fusées longue portée grâce à l’énergie nucléaire. Alexandre Ananoff appelle de ses vœux la création d’un organisme unique pour réaliser ces fusées longue portée associé au CEA pour la conception du moteur nucléaire. S’il obtient le soutien de quelques scientifiques comme Henri Mineur, directeur de l’Institut d’astrophysique et Lew Kowarski, le monde de l’Astronomie lui oppose un nouveau refus : « La quasi-totalité des recherches en Astronautique et au vol à haute altitude intéressant la Défense Nationale, il n’est pas possible de leur donner une publicité quelconque… »
En 1950, il publiera un livre remarquable sur le sujet : « L’Astronautique », organisera le 1er congrès International d’Astronautique à Paris en septembre de la même année (le 70ème se réunit en octobre 2019 à Washington) avant de se spécialiser dans…. la peinture du XVIIIème siècle…
L’exposition universelle de 1937 et le Palais de la Découverte : Lucien Rudaux et Alexandre Ananoff imaginent le premier voyage sur la Lune.
Nous avons vu que, en 1937, Lucien Rudaux avait fortement contribué à la mise en place et à l’animation de la section astronomique pour l’exposition universelle organisée à Paris.

Alexandre Ananoff fut invité également par Jean Perrin à y participer et animera la section astronautique. Il se retrouvera ainsi au côté de Lucien Rudaux.
Voici comment Alexandre Ananoff lui-même décrit leurs contributions respectives :
« L’exposition sur l’Astronautique au Palais de la découverte date de 1937…

Une des attractions fut une pièce exigüe où on entassait les curieux désireux de faire un voyage dans la Lune. On fermait le tout, on éteignait les lumières et après une longue trépidation du plancher, un choc était censé vous faire prendre contact avec le sol lunaire.
Un hublot se démasquait et l’on assistait alors au déroulement d’un magnifique paysage lunaire dessiné par Lucien Rudaux long de huit mètres et large de trois, tournant lentement autour de deux tambours…
Pour le retour, la même manœuvre était imposée après la fermeture des hublots…
Ensuite, la maquette de la fusée postale de Loebell et un grand nombre de timbres-fusées préludaient à nos ambitions astronautiques. Ayant participé à la réalisation de cette section, j’ai fait durant trois mois une centaine de conférences. Chacune de ces conférences durait environ une heure, dont la moitié était consacrée à l’Astronautique »
De mai à octobre 1937, le Palais de la Découverte, recevra près de deux millions de visiteurs.
Connaissant la curiosité d’Hergé pour les nouveautés et la science, il est difficile d’imaginer qu’il ne fit pas cette année là dans le Palais de la Découverte…un voyage imaginaire dans la Lune …ainsi que la connaissance de Lucien Rudaux et d’Alexandre Ananoff.
Hergé découvre l’Astronomie, l’Astronautique et rêve d’aller sur la Lune .
Dans une interview à la fin de sa vie, Hergé raconte que c’est bien à Paris, qu’il eut l’idée d’écrire ses albums sur les étoiles et la Lune « en écoutant dans un café un père et son fils discuter sur l’existence ou non de la vie sur la Lune » disait-il.
Il nous apprend que c’est en 1937 qu’il commença à écrire son album «L’Étoile Mystérieuse », album dont la rédaction sera perturbée par la guerre pour être finalement publié sous l’occupation nazi en 1943.
Il ajoutera enfin que pour décrire la fusée qui emmènera Tintin et ses amis sur la lune il rencontra à plusieurs reprises un certain Alexandre Ananoff.
Ces témoignages d’Hergé vont nous permettre d’imaginer et de reconstituer son parcours, les rencontres et les principales sources qui ont permis la rédaction de certains albums.
Album L’Étoile Mystérieuse. (première édition 1943)
Un fait : le 12 février 1936, un astéroïde frôlant la Terre a été observé pour la première fois. Il a été découvert par Eugène Delporte directeur de l’Observatoire Royal de Belgique situé à Uccle. Cet astéroïde (Tintin parle plutôt d’aérolithe) sera bientôt baptisé Adonis.

Une hypothèse : l’écrivain belge Hergé, au courant de cet évènement rare, n’a pas manqué l’exposition universelle de Paris en 1937 dédiée aux « Arts et Techniques appliqués à la Vie moderne » où il rencontre Lucien Rudaux. Il a d’ailleurs de bonnes raisons de connaître Lucien Rudaux car ce dernier était réputé dans les Pyrénées pour ses nombreuses observations du ciel effectuées à l’Observatoire du Pic du Midi à l’époque où le futur « Hergé »passait ses vacances dans la région avec un groupe de scouts. Ils ont naturellement évoqué cette histoire d’astéroïde frôlant notre planète. Lucien Rudaux n’a pas manqué de parler de ses propres découvertes ni d’inviter Hergé à visiter son Observatoire Astronomique de Donville les Bains pour lui montrer sa collection de poussières magnétiques ferrugineuses et nickélifères attribuées à des résidus d’étoiles filantes qu’il collectait depuis longtemps.
C’est ainsi que commence l’intrigue de L’Étoile Mystérieuse : Tintin pénètre dans un observatoire dont le directeur, le Professeur Calys ne semble être autre que Lucien Rudaux en personne qui visiblement passe ses journées dans son observatoire à suivre à travers son télescope un bolide qui va entrer en collision avec la Terre et …provoquer la fin du monde.


Autre personnage intéressant : le collaborateur du Professeur Calys que ce dernier traite de « galopin ». Il est plongé dans ses cahiers et dans des calculs compliqués et traitera Tintin d’un « Mossieur ! » offensé quand ce dernier mettra en doute ses calculs . Ce comportement ressemble à s’y méprendre à celui du Professeur Rocard que décrivait notre voisin Mr Salagnac et qui disait : « De tout phénomène physique, il suffit d’en faire une mise en équations correcte…» Il lui ressemble aussi physiquement.
Comme aurait pu le faire le Professeur Rocard, le « galopin » va ensuite nous donner une belle leçon scientifique sur l’utilisation du spectroscope et découvrir sur l’astéroïde la présence d’un nouveau métal : le « calistène »


Après la chute d’un morceau de l’astéroïde dans l’arctique qui n’a heureusement provoqué qu’un tremblement de terre, Hergé s’inspire du scénario du roman de Jules Verne « La Chasse aux Météores » : deux expéditions par bateau concurrentes tentent de retrouver l’astéroïde et surtout de s’approprier le fameux calistène . L’une d’elles est organisée par le Professeur Calys et Tintin. Parmi les membres de l’expédition on retrouve un « Professeur Björgenskjöld, auteur de remarquables travaux sur les protubérances solaires » que certains comparent au Professeur Piccard mais à l’époque ce dernier est surtout connu pour ses voyages dans la stratosphère alors que c’est bien le Professeur Rocard qui est spécialiste des protubérances solaires… Hergé a l’art de brouiller les cartes.
Arrivé sur l’astéroïde, Tintin va se retrouver très vite bien minuscule face à un immense champignon qui s’évapore rapidement puis ce sera face à un pommier géant, un papillon et une araignée. Serait ce la présence de ce fameux calistène qui permettrait cette croissance démesurée?
En fait, Hergé vient de nouveau de se plonger dans le monde de Lucien Rudaux. En effet ce dernier a écrit en 1933 un article accompagné de photos intitulé « De l’Immense au Minuscule ». Il s’agit pour lui de mieux comprendre la Terre et son fonctionnement en se faisant tout petit au ras du sol. Il écrit « Prenons la peine –c’est une minime fatigue !-de nous baisser vers le sol, et de le passer attentivement en revue…»Voici un exemple: il place un minuscule bonhomme auprès d’une goutte d’eau tombée sur le sol et l’invite à regarder à travers la goutte d’eau. Il écrit :
« Quel merveilleux spectacle que celui de ces gros ballons translucides dans lesquels se joue la lumière, où il verrait se dessiner, retournée l’image du ciel entier, et qui se comportent finalement comme des globes élastiques, voués bientôt à disparaître mystérieusement par évaporation »
Album Objectif Lune (1953)

Dans cet album, le monde de la bombe atomique pénètre le monde de l’astronautique et un savant touche à tout, le Professeur Tournesol devient le personnage central des albums consacrés à la Lune. Introduit dans « Le trésor de Rackam le Rouge » dès 1944, le Professeur Tournesol va permettre désormais à Hergé dans chaque album d’aider son lecteur à comprendre le plus simplement possible le monde de la science.
Au début de l’album Objectif Lune, on retrouve donc le Professeur Tournesol qui invite ses amis Tintin et le capitaine Haddock à visiter le « Centre de Recherches atomiques de Sbrodg » où il dirige la section astronautique. Il affirme qu’il s’agit de faire des recherches mais « pas question de faire la bombe atomique, les recherches sont exclusivement orientées dans un but humanitaire… » et plus loin « je suis en train de terminer les plans d’une fusée à propulsion atomique à bord de laquelle je compte m’embarquer pour aller SUR LA LUNE »
Lors de la visite, l’adjoint du Professeur Tournesol explique face à une immense machine en forme de cube « C’est ici que l’on transforme l’uranium naturel en plutonium…c’est ce plutonium qui servira à propulser la fusée du professeur Tournesol»

A l’époque où Hergé écrit son album, le Professeur Yves Rocard est membre de la direction du CEA dont le « Centre de recherche et d’innovation » est en cours de construction à Saclay. Le débat du moment au sein du CEA est celui de la puissance de la future pile atomique destinée à enrichir l’uranium. La position de Rocard sur ce sujet est très claire, il écrit: « Pourquoi ne ferait on pas, tout bêtement, de grosses piles de 100 000 kilowatts, au moins on aurait du plutonium à toutes fins utiles (sous entendu … pour faire la bombe atomique) » il ajoute « Je défendis avec opiniâtreté et conviction le fait qu’il fallait commencer tout de suite à construire de grosses piles productrices … »
Concernant l’énergie atomique, Y. Rocard avait écrit peu après l’explosion de la bombe d’ Hiroshima : « un jour, on sera suffisamment habile pour mettre en jeu des réactions de fusion, on récupérera des sources d’énergie presque infinies et peut être contrôlables »

C’est dans cette hypothèse que l’on retrouve dans l’album le Professeur Tournesol en train d’expliquer à ses visiteurs le fonctionnement de son moteur nucléaire :
« Imaginez une bombe atomique dont l’explosion au lieu d’être instantanée serait étendue sur plusieurs jours». Quant au jet radioactif s’échappant des tuyères de son moteur nucléaire et constituant un danger mortel, il l’évite… en plaçant des moteurs classiques auxiliaires pour le départ et l’arrivée …éludant complètement le problème des éléments radioactifs rejetés dans l’espace interplanétaire par son moteur au plutonium.

N’oublions pas que nous sommes au début des années 1950 qui coïncident avec la Guerre Froide : à l’Est, le monde communiste et, à l’Ouest, le monde capitaliste. Le Centre de recherches atomique de Sbrog est fortement convoité, ainsi lorsque un avion le survole sans autorisation, le Centre se protège et lui envoie immédiatement des tirs de DCA (Défense Contre l’Aviation). Malencontreusement, un des obus retombe et explose près du lit du Professeur Tournesol.
Il semble que l’on retrouve ici la transposition d’un épisode vécu par le Professeur Rocard lorsque, pendant la seconde guerre mondiale, résidant à Londres, son appartement est bombardé par l’aviation allemande. Voici comment il décrira cet épisode bien après dans ses mémoires :

« Les sirènes, à Londres, étaient rares et lointaines. Avec ma surdité, je les entendais à peine. Je dormais comme un loir, elles ne me réveillaient pas. C’est ainsi qu’une nuit, mon agréable demeure de Cromwell Road fut écrasée par une bombe. Je dormais tranquillement au premier étage. Curieusement, je ne fus pas réveillé par le bruit mais par de petits morceaux de plâtre qui me tombaient sur le visage. Cette petite pluie de débris cessa rapidement, et en ouvrant les yeux je m’aperçus qu’un pan de mur de ma chambre avait disparu, faisant place à un coin de ciel. La DCA faisait rage et cette fois, je l’entendais. Le coin de mur qui manquait semblait indiquer qu’un obus de DCA était tombé là. Je me demandai alors ce qu’il était advenu tout autour. Je tentai d’allumer ma lampe de chevet: pas de lumière. Je me levai pour aller voir dans les pièces voisines: impossible de mettre mes pieds sur un plancher; la ruelle de mon lit était pleine d’énormes blocs de maçonnerie… »

Pour créer le Centre de Recherches atomiques de Sbrodg, Hergé s’est visiblement inspiré du Laboratoire de Oak Ridge ouvert par les Américains en 1943 et équipé de machines gigantesques. Parmi ces machines, on trouve un laboratoire haute tension destiné à simuler la foudre. On peut bien se demander à quoi un tel équipement peut servir pour fabriquer la bombe atomique ? C’est cette même question que se posent les Dupondt en se retrouvant par hasard dans cette immense salle.
Peut être s’agit-il tout simplement d’un clin d’œil d’Hergé pour évoquer sa visite de l’Exposition universelle de 1937 à Paris qui lui avait donné l’idée d’écrire ses albums consacrés à la lune .
Tous les visiteurs de cette exposition avaient gardé un souvenir impérissable de leur entrée dans le Palais de la Découverte : « Une immense machine électrostatique les accueillait à l’entrée, dans le hall. C’était un générateur de Van de Graaf constitué de deux colonnes de 19 m de haut surmontées de deux sphères. Deux conférenciers s’introduisaient à l’intérieur de chacune de ces sphères de 3 mètres de diamètre, chargées à 10.000 volts. Un éclair géant reliait alors les deux sphères et les deux conférenciers en sortaient intacts, l’illustration exceptionnelle du principe de la cage de Faraday ».

A la fin de l’album Objectif Lune, Hergé dispose de la fusée à réaction et à moteur atomique qui va lui permettre d’aller sur la Lune, c’est surtout Alexandre Ananoff et son livre L’Astronautique qui lui ont permis de dessiner cette fusée en restant au plus près des connaissances scientifiques de l’époque dans le domaine de la technologie spatiale.
Album On a marché sur la Lune (1953-1954)
Hergé doit affronter un nouveau défi : comment Tintin et ses amis vont arriver sur la Lune, y survivre et aussi comment décrire les paysages lunaires, là où l’homme n’a jamais mis les pieds ? Pour s’engouffrer dans cet univers, Hergé va se plonger dans la documentation scientifique de l’époque.

Les spécialistes de Tintin, citent les ouvrages de Pierre Rousseau « Notre amie la Lune », d’Auguste Piccard « Entre Ciel et Terre » et de Bernard Heuvelmans « L’homme parmi les étoiles ». Pour la description des paysages lunaires, ils citent « La Conquête de l’espace » de Willy Ley qui contient les fascinants dessins de Chesley Bonestell.
C’est ici que nous apportons la contradiction: Chesley Bonestell est avant tout un illustrateur, amateur de science fiction alors qu’Hergé cherche avant tout à se rapprocher de la réalité scientifique. En fait, Chesley Bonestell possède dans sa bibliothèque le chef d’œuvre de Lucien Rudaux « Sur les autres mondes» paru en 1937, puis, il a eu l’occasion de collaborer avec lui pour la revue américaine « American weekly ». En fait, Hergé s’inspire des paysages lunaires si proches de la réalité de Lucien Rudaux puis les embellit à la manière de C. Bonestell.

Ainsi, notre enquête nous amène à la lecture des livres écrits par Lucien Rudaux et plus particulièrement de la « La Lune et son histoire » paru en 1947. Ce livre est écrit pour le grand public désireux de s’instruire au sujet de « L’astre des nuits »; après avoir décrit les interactions entre la terre et la lune : marées, éclipses ; rappelé les limites physiques des observations par le seul télescope, Lucien Rudaux nous montre comment il parvient, malgré tout, par une approche scientifique rigoureuse à répondre à de nombreuses questions: La Lune est-elle une « mangeuse » de nuages ou une « faiseuse de pluie » ? Y a-t-il de l’eau sur notre satellite ? Celle-ci possède-t-elle une atmosphère? Quelles sont les explications plausibles de la formation des mers, des cirques, des cratères lunaires ? (voir annexe 1).
Il se révèle inimitable dans la description des paysages lunaires dont il donne de saisissants tableaux grâce à son talent d’artiste.
Lucien Rudaux scénariste d’ Hergé.
En fait le livre « La Lune et son histoire » construit pas à pas le scénario des albums d’ Hergé consacrés à la lune.
Quelques extraits vont nous permettre de montrer la rigueur avec laquelle Lucien Rudaux répond à la question « Le voyage vers la Lune est-il possible ? » et permet à Hergé de construire le scénario de ses albums.
Comment aller sur la Lune ?

« Actuellement, c’est à 384 403 km qu’est fixé l’éloignement du satellite de la terre… Pour parvenir jusqu’à la Lune, une seule solution semble devoir être offerte, le recours à une fusée qui est propulsée en vertu du principe de réaction…Un tel engin, au lieu d’avoir une brusque vitesse initiale considérable, démarre au contraire avec lenteur. Cette fusée gigantesque…en accélérant progressivement sa course… évitera l’échauffement intolérable dû à la résistance offerte par le milieu atmosphérique…, après être sortie de celui-ci, elle pourra prendre enfin sans inconvénient la vitesse utile pour atteindre le but…. L’accélération progressive est aussi d’une importance capitale pour les voyageurs enfermés dans ce véhicule, du point de vue de l’écrasement »
Mais pourquoi une fusée à propulsion atomique ? Tout d’abord, souvenons nous que ce livre est écrit en 1946-47. Voici ce qu’écrit Lucien Rudaux :
« NOTA. Ces pages étaient composées lorsque la « bombe atomique » vint faire parler d’elle de la manière que l’on sait… Dans le domaine qui nous intéresse ici, la découverte de la libération de l’énergie nucléaire peut avoir une portée dont l’importance se conçoit d’emblée. Une telle source d’énergie est susceptible de fournir la force d’impulsion réclamée pour qu’un engin puisse quitter la Terre dans les conditions prévues théoriquement…. Ce qui était jusqu’alors une perspective aléatoire devient donc une possibilité. »


Comment survivre dans l’espace en l’absence de champ gravitationnel puis comment alunir ?
« Inquiétons-nous un peu des audacieux voyageurs: s’ils ont échappé au terrible contrecoup du départ … ils sont alors victimes d’un état de choses dangereux: l’absence de champ gravitant…, leurs organes fonctionnels se trouvent complètement soustraits à l’action de la pesanteur, la sensation d’une chute dans le vide…
Il est possible de…supprimer un tel inconvénient par une accélération constante de la course: grâce à cela, en effet, des hommes pourraient conserver une sensation de pesanteur normale.


Mais pour en arriver là on doit alors considérer que la vitesse finit par devenir prodigieuse, atteignant 61.700 mètres par seconde, au point où s’équilibrent les attractions terrestre et lunaire ; à partir de là, le véhicule devrait être freiné avec une force égale à son poids terrestre pour tomber vers la Lune. Et dans ces conditions, le voyage n’aurait duré au total que 3 heures 27 minutes seulement.


Une fois l’appareil lancé convenablement, diverses manœuvres devraient pouvoir être effectuées. Les unes auraient pour but de rectifier pour une raison quelconque, la direction de l’engin, les autres, de le retourner complètement ; cette dernière opération est même obligatoire pour freiner la chute sur le sol lunaire, grâce à un judicieux emploi à contre-sens de la force propulsive; Et malgré cela, la question de se poser enfin sans encombre sur cette terre vierge de tout pas humain reste encore très délicate.
Il nous faut aussi …signaler le risque d’un danger imprévisible…. Ce danger n’est autre que l’éventuelle rencontre d’un de ces innombrables corps errants dans l’espace, et dont l’arrivée sur la Terre détermine pour nous les magnifiques spectacles des Étoiles filantes et la chute des Météorites
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les conditions à remplir pour arriver à ce but tant désiré. La possibilité en est démontrée par l’analyse mathématique »


Comment se composent les paysages lunaires ?
Voici comment L Rudaux décrit le paysage lunaire :

« …La surface lunaire semble littéralement criblée de cratères volcaniques de toutes dimensions. En effet nous avons sous les yeux un prodigieux chaos principalement composé de formations circulaires, ici accumulées les unes contre les autres, là isolées et plus ou moins dispersées… il est préférable d’employer à leur égard l’appellation de « cirques» tout aussi significative des apparences, mais qui offre l’avantage de ne pas laisser porter un jugement définitif, quant aux causes ayant déterminé leur établissement …c’est à plus de 30.000 que se monte le chiffre de ces formations de tous calibres.
De nombreuses autres aspérités sont de simples montagnes…réunies en vastes massifs ou en chaînes imposantes…Ces différentes parties du sol contrastent nettement avec la teinte et l’uniformité apparente des régions grises correspondant à de vastes dépressions…


Ces paysages de plaine donnent… une impression de terrible désert dont rien ne viendrait rompre l’accablante monotonie…

Dans un ciel tout noir, les astres brillent alors d’un éclat incomparable. En l’absence de masse aérienne atténuant leur lumière, les dernières étoiles visibles à l’œil nu sont en bien plus grand nombre que sur Terre… Au milieu de toute cette poussière lumineuse, la Terre elle-même est une splendeur. D’abord en raison de l’énormité de son disque qui, en surface, est treize fois plus étendu que celui de la Lune pour nous.
Cependant, sur certains points, on verrait le sol brusquement coupé par d’immenses crevasses aux proportions inusitées pour nos regards…
Enfin la surface …ne se comporte pas comme de la lave, mais bien comme si elle était recouverte de fins matériaux pulvérulents assimilables à des cendres volcaniques »


Comment l’homme peut-il vivre sur la Lune ?

« … Ce monde est absolument privé des éléments, air, eau, propres à inspirer l’entretien de la vie telle que nous la concevons. Il faut ajouter aussi les fantastiques écarts de température dans un sens ou dans l’autre : le sol s’échauffe au plein Soleil jusqu’à plus de 100° C., tandis que la nuit venue, l’abaissement au-dessous du point de glace est presque aussi grand….
Sur la Lune, petit globe de masse inférieure à celle de la Terre, l’intensité de la pesanteur est beaucoup plus faible …. L’intensité de la pesanteur est sur la Lune six fois moindre que sur la Terre : un homme de cent kilos n’en pèserait là-bas qu’une quinzaine…il se verrait doué surtout de la faculté d’accomplir des sauts prodigieux



tank « centre d’opération »
Mais pour… pouvoir vivre dans ce milieu inhospitalier…il y a… nécessité absolue de s’enfermer dans une sorte de scaphandre, ou de carapace hermétiquement close, de manière à rester plongé tout entier dans un air fabriqué par un appareil « ad hoc » et maintenu aussi à pression normale…. Le mieux serait pour l’explorateur de revenir assez vite au véhicule l’ayant amené avec tout son matériel et ses approvisionnements, et qui lui servirait de centre d’opération: là seulement une fois enfermé hermétiquement, il retrouverait la possibilité d’agir à sa guise et de se sustenter».
A la recherche de l’eau !
Lucien Rudaux s’intéresse à la présence éventuelle de l’eau et comme il est aussi passionné de spéléologie, il envisage sa présence dans les crevasses et grottes qui semblent si impressionnantes sur la Lune :

«Sur la Lune …malgré tout, le fait persiste qu’actuellement l’élément liquide ne se laisse même pas entrevoir. Mais il serait téméraire d’affirmer qu’il n’a jamais existé…L’absence, de traces visibles de son travail prouve que tout au plus celui-ci n’a pu être qu’insignifiant…
Si l’on invoque le refroidissement, autrement dit la diminution de chaleur interne : pour la Lune, beaucoup moins grosse que la Terre, la marche de cet événement (la disparition de l’eau en surface) aurait été bien plus rapide. Alors la porosité probable du sol et les accidents qui l’ont bouleversé, la fissuration dont nous rencontrons de nombreux exemples de son importance, tout cela aurait finalement facilité, à grande vitesse si l’on peut dire, l’infiltration de l’eau dans les couches profondes d’où elle ne serait plus revenue, la chaleur interne étant devenue insuffisante pour la refouler ».
On retrouve également dans le scénario d’ Hergé un épisode d’exploration de grotte tel que décrit par Lucien Rudaux dans… « La Course aux Ténèbres » (Je sais tout) 05/1911 ! ….
«… Un puits doit être sondé pour savoir la quantité d’échelle de corde à y lancer et il doit l’être dans tout son pourtour afin d’en reconnaître les parois dont les obstacles en saillis s’opposent le moins à la descente…. »




Conclusion:
Cette enquête nous a montré qu’Hergé semble bien s’être inspiré des images et du texte du livre de Lucien Rudaux, « La Lune et son histoire » .

Et surtout, nous pouvons affirmer que ce dernier a toujours rêvé de se rendre sur la Lune, en témoigne d’abord ce voyage imaginaire qu’il a réalisé dans le cadre de l’exposition universelle de 1937 et enfin cette photo où il se met en scène avec un pied sur une météorite et derrière lui un de ses spectacles lunaires. Malheureusement, il n’aura pas l’occasion de découvrir les aventures lunaires de Tintin, ni… de l’accompagner sur la Lune : il meurt en 1947, quelques semaines après la première publication de « La Lune et son histoire » et rentre injustement un peu vite dans l’oubli.
Quand au Professeur Yves Rocard, il fut, nous n’en doutons pas, un des inspirateurs du Professeur Tournesol, directeur technique du projet d’Hergé de conquête de la Lune ! Considéré comme le père de la Physique française d’après guerre et, plutôt touche à tout, il n’oublia pas le domaine du soleil et des étoiles.

Il profita du désordre d’après guerre pour se procurer, dans des conditions rocambolesques, des anciens radars allemands qui permirent la construction du premier centre de la radioastronomie en France: le Centre de Radioastronomie de Nançay . Enfin, c’est sa passion pour la sourcellerie qui nous a permis à partir de quelques témoignages lorguais de nous mettre sur la piste des véritables sources d’ Hergé pour ses albums qui ont, dès 1953, emmené sur la Lune tant de lecteurs … de 7 à 77 ans et nous ont permis de retrouver l’atmosphère de la France à l’époque de la seconde guerre mondiale puis de la guerre froide ainsi que l’histoire de la bombe atomique et de la conquête de la lune.
François Lenglet Octobre 2019
Sources:
« Mémoires sans concessions » de Yves Rocard éditions Grasset- 1988// « Les Mémoires d’un astronome » de Alexandre Ananoff éd. Albert Blanchard// « Le signal du sourcier » du Professeur Yves Rocard. // »La Lune et son histoire » de Lucien Rudaux ,ed. La Découverte_1947 //« Tout Tintin, l’intégrale des aventures de tintin » éditions Castermann//« Un prof a changé ma vie », de Vincent Remy, Ed. La librairie Vuibert / Le Livre de poche
Internet :
Notes :
1-voir article Les 90 ans de Tintin et Milou, héros du XXème siècle. (2)
2-pour les Polynésiens, le terme « mana » est à la fois magique et religieux, il signifie « efficacité, réalisation, puissance »
Liste des personnes ayant connu Yves Rocard à Lorgues(1960-1992)
- Résidents à La Cabrière :Marcel Pioud(1962-1976), Novales, Carceles
- Exploitation des Maneous et de la Cabrière : Guigues dit le Grand métayer
- Assistants et élèves d’ Yves Rocard : Jean Delloue, Pierre Mechler ,Gérard Salagnac
- Ancien patron du LDG : Mr Loyer
Si une de ces personnes ou une personne de leur famille lit ce texte, elle peut apporter son témoignage à : francois.lenglet843@orange.fr
Annexe 1: Hypothèse sur la formation des cirques lunaires.
Dans son livre « La lune et son histoire », Lucien Rudaux étudie plusieurs hypothèses sur la formation du sol lunaire et essaie même de faire des expériences pour simuler la formation des cirques lunaires.
Il écrit : « Les cirques qui s’imposent dès l’abord aux regards attirent plus particulièrement l’attention… Leurs apparences au premier abord si régulières, ont motivé que l’on s’efforce de chercher une explication générale de leur mode de formation.
L’idée de simples cratères volcaniques a dû être abandonnée…Une autre théorie, émise par un ingénieur et astronome très distingué, G.Delmotte, invoque, sous la poussée des forces internes, l’exsudation d’un magma pâteux ayant trouvé des issues favorisant son expansion à la surface…. Que le relief se soit édifié par ce mécanisme général d’exsudation suppose des conditions superficielles propres à créer des voies d’accès, c’est-à-dire une fissuration susceptible de se développer assez largement…le magma fluide sous-jacent, sous de variables poussées internes surgira au-dessus de la surface en s’accumulant au besoin par émissions successives, pour constituer des éminences dont les formes et le groupement seront fonction de l’importance des issues et des dispositions variées de celles-ci.

L’expérience suivante a été réalisée: A travers des systèmes de cassures d’une surface solide, une matière pâteuse a été conduite à s’épancher plus ou moins facilement sous la poussée élastique de vapeur d’eau provoquée par un échauffement sous-jacent.
Les résultats obtenus font constater ceci: des fissures se comblent simplement, ou bien il en surgit des éminences; lorsqu’il s’agit d’un périmètre polygonal, l’empâtement émousse les angles, les entrecroisements paraissant plus volontiers les lieux d’élection de jets explosifs, et il se forme là comme de petits cratères. Ces mêmes petits centres éruptifs nous les voyons également dans certains cas s’aligner en chapelets au long d’un crevassement, etc… «
Aujourd’hui, la communauté scientifique, qui connait mieux la Lune, admet que les cirques ont pour origine l’impact à très grande vitesse de météorites.
On ne parle plus aujourd’hui de cirques mais de structure d’impact*
*à lire absolument : http://academie-de-touraine.com/Tome_22_files/135_203-219.pdf
Annexe 2: Témoignage de la famille d’Yves Rocard
Nous nous sommes permis d’envoyer cet article à la famille d’Yves Rocard. Voici leur témoignage:
« Nous avons été passionnés par la lecture de cet article: nous étions convaincus que c’est Auguste Picard (au moins pour le physique) qui avait inspiré le professeur Tournesol et vous nous apprenez que c’est aussi Yves Rocard ! Hergé brouillait les pistes.
Il est vrai que l’argument est qu’Yves Rocard ne s’est intéressé au pendule qu’après la publication des albums mais le reste nous était totalement inconnu.
Ainsi, l’épisode quand le professeur Tournesol se retrouve dans son lit au-dessus du vide est effectivement inspiré de l’histoire d’ Yves Rocard à Londres, racontée par lui-même et déformée par son fils Michel Rocard
Et nous découvrons également que Lucien Rudaux a beaucoup inspiré Hergé.
Nous avons bien connu Marie-Louise Rudaux, elle était fière de son mari Lucien et en parlait avec passion. Lucien Rudaux a aussi beaucoup travaillé avec A.E. Martel en spéléologie.
Enfin Lucien Rudaux est considéré surtout par les américains comme le pionnier du Space Art, Chesley Bonestell est arrivé après.
Un grand merci pour cet article qui nous a appris beaucoup de choses. »
Dernier indice :
Ce dernier message de la famille d’Yves Rocard nous livre un dernier indice:
« Pour continuer sur les liens entre Hergé et Yves Rocard. Ce dernier, ancien officier de Marine et passionné de vieux gréements, avait une maquette qui est incroyablement ressemblante à la Licorne de Tintin.
Est-ce un hasard ? nous ne le savons pas. Hergé l’a-t-il rencontré ? nous ne le savons pas. Ou bien Yves Rocard a acheté la maquette en souvenir d’avoir croisé Hergé ? Nous ne le savons pas non plus. »



Ce message est accompagné de photos montrant la maquette que possédait Yves Rocard et une photo de ce dernier devant cette maquette. C’est bien une copie de la maquette de La Licorne comme le montre le dessin d’Hergé extrait du Trésor de Rackham le Rouge.

En fait, en 1942, quand Hergé entreprend la rédaction de cet album, il confie à un spécialiste du modélisme: Gérard Ligier Belair le soin de réaliser une maquette d’un bateau de guerre du XVIIème siècle qui deviendra La Licorne.
Le marchand sera autorisé à vendre aux modélistes le plan et le matériel pour construire une maquette « officielle » de La Licorne….
Et n’oublions pas que le professeur Tournesol apparaît pour la première fois dans cet album…. Octobre 2019.