Une famille au long du XXe siècle(5): Paul Valéry Toussaint, mort pour la France le 20 Septembre 1916.

Peu de souvenirs de Paul Valery Toussaint, mon grand père, sont parvenus jusqu’à nous : quelques photos toutes liées à l’armée puis à la première guerre mondiale, aucune avec ma grand-mère Marie Victoire Oblin ni avec ma mère Gisèle Marie Toussaint, aucun échange de courrier avec sa famille pendant la guerre: quand il était au front,  la famille résidait à Troisvilles et se retrouvait en zone occupée et les échanges étaient quasiment impossibles entre les deux zones. Il reste les rares souvenirs évoqués par ma mère et son dossier militaire qui permet de reconstituer son parcours pendant la guerre jusqu’à sa mort au combat le 20 septembre 1916.(1)

Les souvenirs de Gisèle Toussaint.

Paul Toussaint vers 1910

Ma mère Gisèle Toussaint est née à Troisvilles en août 1912, son père, boulanger au village part à la guerre le 2 août 1914 et elle ne le reverra plus. Du haut de ses deux ans, elle a gardé un unique souvenir de son père : « Je me revois dans les bras d’un homme aux épaules larges, souriant, aux cheveux et  sourcils  très foncés ainsi que les yeux noirs, en train de m’embrasser» Après avoir raconté cet unique souvenir, elle ajoutait :« d’ailleurs, dans le village quand j’étais petite, les voisins m’appelaient tous, dans le patois local , < Gisèle, la fauviette à noirte tiète> »ce qui veut dire <Gisèle, la fauvette à tête noire>. Cette expression soulignait le fait qu’elle était brune aux yeux noirs ce qui, au début du XXe siècle, à Troisvilles était encore une exception dans un monde où les blonds aux yeux bleus dominaient.

Gisèle et Marie Victoire Toussaint 1914

En fait, il s’agissait d’un sous entendu lié à l’histoire du village. Les voisins n’hésitaient pas à compléter par l’explication suivante :<Tin père avo dl’espagnol dain l’sang> <Ton père avait de l’Espagnol dans le sang>.

Fauvette à tête noire

En effet, à la suite de la bataille de Pavie, le traité de Madrid signé en 1526 soumis à la domination espagnole la Flandre, l’Artois, le Hainaut et le Cambrésis pendant 162 ans. A la suite de cette domination, certains espagnols s’établirent définitivement en France et particulièrement à Troisvilles, à l’image de la famille De la Torre y Butron, seigneur du Château du Fayt .

Paul Valery Toussaint boulanger  à Troisvilles

En se mariant, Paul Toussaint a un projet précis: devenir boulanger. En effet, il a beaucoup entendu  parler par sa grand-mère maternelle Elisa Caron de son grand père maternel François Latour  qui après avoir été tisseur s’était lancé à Troisvilles en 1854 avec succès dans la boulangerie, aidé en cela par sa femme épicière  et bonne commerçante. Il y a aussi dans ce projet un certain défit pour Paul Toussaint car l’expérience de son grand père s’était malheureusement interrompue prématurément : il était décédé en 1870 à 38 ans.

Le couple Toussaint-Oblin installe sa boulangerie dans la rue de la mairie à cent mètres en face de la mairie.C’est là que va naître ma mère Gisèle Marie Toussaint le 7 Aout 1912.Malheureusement le projet de boulangerie sera rapidement perturbé car la première guerre mondiale arrive à grands pas.

Livret militaire de Paul Toussaint

Toussaint Paul Livret militaire

Le livret militaire de Paul Toussaint confirme ces rares souvenirs.

Sa profession : boulanger avec à droite une annotation plutôt curieuse « sait cuire ».

Son signalement : cheveux et sourcils noirs, yeux marrons  confirment l’ascendance espagnole.

Son degré d’instruction générale : 3 indique qu’il sait lire, écrire et compter mais qu’il n’a pas le brevet élémentaire, lui, petit fils de l’instituteur communal de Troisvilles ? En fait, il a probablement quitté très tôt l’école pour devenir ouvrier tulliste et ramener…un peu d’argent à la maison.

La guerre de 1914/1918.

En juillet 1914, l’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche  en Bosnie sert de prétexte à l’Empire austro- hongrois pour exiger l’annexion de la petite Serbie. La Serbie soutenue par la Russie refuse l’ultimatum imposé. C’est ainsi que la Russie se retrouve face aux blocs austro-hongrois et son indéfectible  allié l’empire allemand. Conformément aux accords de l’alliance franco-russe, la France s’engage à son tour dans le conflit.

 Paul Toussaint est mobilisé.

Le 31 juillet, l’empire allemand se déclare en état de guerre et le 1ier Août, le gouvernement français lance l’ordre de mobilisation générale qui est affiché dans toutes les mairies de France. Les cloches de l’église comme le tambour du garde champêtre diffusent l’information dans tout le village.

Comme trois millions et demi de français,  Paul Toussaint part dès le 2 Août rejoindre son régiment. C’est en train qu’il rejoint non sans mal son régiment à Bar le Duc pour aller défendre les frontières Est de la France: les lignes de chemin de fer comme les routes sont encombrées par les soldats qui rejoignent leur caserne et les civils qui commencent à fuir les zones de combat. Il est affecté le 21 Aout au 294e régiment d’infanterie qui fait partie de la 56e division et la VIème  armée (Général Joffre).

 Aout 1914, la défense des frontières de l’est : Buzy.

Troupes françaises en marche vers l’est
Champ de Bataille de Buzy premières victimes

C’est à pied sous une chaleur accablante que le régiment se dirige vers Verdun puis à l’est vers Metz, parcourant  plus de 15 km par jour. Les premiers jours, les combattants français sont confiants : les rumeurs annoncent que la France n’est pas isolée, l’Angleterre et la Russie la soutiennent dans le cadre de la triple alliance alors que, chez les adversaires, dans le cadre de la triple entente, si l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie restent alliés, l’Italie se déclare neutre.Mais l’inquiétude va vite s’installer: les Allemands auraient envahi la Belgique.Dès le 22 aout, on entend les bruits d’une violente canonnade à 25 ou 30 km: les Allemands essaient de pénétrer en France en traversant la vallée de la Meuse. Le 25 aout ont lieu de violents combats à Buzy mais le 294e régiment reste en réserve et n’y participe pas directement. En fin de journée, les français ont fait plus de trois cents prisonniers allemands et le 294e  régiment est chargé de les garder. C’est ainsi que Paul Toussaint va découvrir les atrocités commises par les allemands et les premiers champs de bataille: un vieux français fuyant les zones de combat raconte comment les allemands l’ont attaché sous un canon; pendant le tir, il recevait un coup de sabre chaque fois qu’il se plaignait. Sur le champ de bataille, le spectacle est horrible. Les malheureux soldats blessés et morts gisent à même le sol…près du passage à niveau, les Français sont groupés…à cinq cent mètres, les cadavres allemands dispersés. Un sous lieutenant français est figé, le bras tendu, brandissant une épée, couché sur le coté comme un soldat de plomb.

Septembre 1914, la défense de Paris : Senlis et la bataille de la Marne.

Le combat victorieux de Buzy sera sans suite. Les Allemands après avoir envahi la Belgique, sont dans le nord de la France et menacent Paris. Dès le 27 aout, tout le régiment reprend le train en direction d’Amiens mais débarque du train bien avant Amiens vers Montdidier à 100 km au nord de Paris. Paul Toussaint qui, espérait, en revenant vers le nord de la France, défendre et retrouver sa famille est bien vite déçu et désespéré ; il sait maintenant que sa famille restée à Troisvilles est désormais sous la botte des Allemands. Dès la descente du train, c’est de nouveau la retraite pour le 294e régiment qui n’a même pas le temps de construire la moindre ligne de défense. Le 2 septembre, la retraite continue, les aéroplanes ennemis survolent les troupes françaises, la situation est tellement confuse qu’un groupe de reconnaissance envoyé à l’est de Senlis, du coté de la forêt d’Ermenonville, annonce la présence des anglais dans la région. En fait il s’agit d’un groupe d’artillerie et d’infanterie allemand : le 294e régiment va mettre quatre heures  pour se dégager d’une première terrible canonnade qui fera de lourdes pertes (130 tués, blessés ou disparus coté français).

Le 3 septembre, l’aile droite de l’armée allemande dirigée par le général von Klük abandonne sa marche vers Paris et prend la direction sud-est dans le but de contourner puis d’anéantir les forces françaises et anglaises. Le 4 septembre, le chef des armées françaises, le général Joffre, considérant cette manœuvre allemande comme aventureuse lance la contre offensive. Il fallait arrêter l’énorme masse germanique dans son furieux élan, s’opposer à sa lourde marche jusque là triomphante. Le 6 septembre, le général Joffre adresse aux soldats de la France une proclamation sobre et plutôt volontaire dont nous retiendrons la phrase suivante :« Le moment n’est plus de regarder en arrière, tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer…»

Le 294e régiment est intégré à la 56e D.R. et constitue, avec les 7e et 4e corps, la VIème armée du général Maunoury qui sera au cœur du dispositif de contre offensive Du 6 au 9 septembre, il va attaquer le plateau de Champfleury situé au nord de Meaux, position stratégique car elle domine la vallée de l’Ourcq. Pendant cette attaque, le régiment va subir de très violentes canonnades, perdre  plus de 10 pour cent de ses effectifs mais contenir les attaques allemandes pourtant en surnombre. La nuit, il bivouaque sur place et à l’aube du 10 septembre, il a l’heureuse surprise de constater que les Allemands ont abandonné  le plateau et battent en retraite.

Le général Maunoury conscient de l’héroïsme de ses troupes leur adressera un message de remerciement qui se termine ainsi : « …C’est avec une vive émotion que je vous remercie de ce que vous avez fait, car je vous dois ce vers quoi étaient tendus depuis quarante-quatre ans tous mes efforts et toutes mes énergies : la revanche de 1870.  Merci à vous, et honneur à tous les combattants de la 6e armée. »

A noter que c’est au cours de la journée du 7 septembre que se déroule le fameux épisode des taxis de la Marne : 600 taxis vont au départ de Paris faire dans la nuit deux aller-retour pour amener sur le champ de bataille la 7e division avec 5 hommes par taxi.

Septembre Octobre 1914, la lutte de vitesse vers la mer : combats sur l’Aisne

Désormais, la guerre prend un autre visage: le développement des efforts rivaux va conduire à une lutte de vitesse qui à la fin d’octobre, étirera jusqu’à la mer du Nord une ligne de feu ininterrompue. Comme un incendie qui s’étend progressivement sur la campagne, la bataille se développe ainsi des collines de Picardie aux plaines d’Artois et aux canaux des Flandres. La stabilisation du front conduira à l’enfouissement des armées adverses en deux réseaux démesurés de tranchées, étranges citadelles sinueuses dont la menace réciproque va se prolonger près de quatre années. Dès le 11 septembre, le 294e RI reprend l’offensive en direction du nord. Ayant reçu l’ordre de traverser l’Aisne, il se heurte à la résistance allemande qui bombarde régulièrement les ponts. Le 15 septembre il parvient néanmoins à traverser l’Aisne sur  un pont de bateaux près de Fontenoy à l’ouest de Soissons. Du 17 au 20 septembre, il prend part à l’attaque du plateau du Nouvron  et va découvrir la guerre des tranchées : dès qu’ils bougent, nos hommes sont accueillis par des feux de mousqueterie et de canonnades terribles sans pouvoir riposter. Dans cette attaque, le régiment perdra de nouveau plus de 15 pour cent de ses effectifs.

Octobre 1914, les Allemands stoppent leur retraite: bataille de l’Oise, Beuvraignes, Paul Toussaint est blessé

Beuvraignes en ruine

Placé en réserve jusqu’au 1ier octobre, le 294e régiment embarque à Compiègne, repart vers le nord direction Amiens, et débarque à Montdidier. Le repli allemand s’est arrêté et l’ennemi s’est solidement organisé pour contrôler  la voie ferrée Roye–Compiègne à la hauteur du passage à niveau de Beuvraignes, c’est là que le régiment va se heurter aux avants postes ennemis.

Les 3, 4 et 5 octobre, des combats acharnés sont livrés pour la possession du village. Les hommes se battent au corps à corps dans les rues et les maisons du village. Le Régiment subit des pertes importantes : sur les 2200 combattants au départ de Bar-le-Duc, il n’en  reste plus que 400. L’ennemi, bien qu’en surnombre, ne parvient pas à chasser les Français des lisières sud du village. Le 7, le régiment épuisé passe en seconde ligne, il incorpore un renfort de 600 hommes puis revient dans le village le 10. On continue à canarder dans les rues par les fenêtres. 

Le 12 Octobre, les français découvrent que, en pleine nuit, les Allemands ont pris les femmes et les enfants, les ont groupés et ont allumé tout autour un grand feu dans l’espoir de faire sortir les Français des tranchées voisines et de les fusiller à bout portant. De fait, les cris désespérés des femmes allaient les faire sortir, mais un commandant soupçonnant la ruse s’y opposa formellement. C’est ce 12 Octobre que Paul Toussaint sera blessé à la tête  apparemment sans grande  gravité puisqu’il restera dans les unités combattantes. Le 14, le Régiment est relevé par le 92e  Régiment d’Infanterie. Désormais, la 56e Division passe en réserve mobile d’armée aux environs de Montdidier.

Novembre 1914- Janvier 1915, début de la guerre des tranchées: Hannescamps.

Le 294e régiment d’infanterie va suivre ce mouvement vers le nord et s’établir dans les tranchées de Foncquevillers et au plus près de l’ennemi à Hannescamps au sud d’Arras. Cette période sans combat va permettre au régiment  de souffler, d’intégrer de nouveaux renforts mais il va devoir s’adapter à la vie dans les tranchées : pluie, froid, neige. Il aura l’honneur de défiler devant le Général Joffre  le 30 Janvier 1915.

Février 1915: Paul Toussaint rejoint le 94ème régiment d’infanterie. 

La France est désormais coupée en deux. Elle vient de subir la plus terrible saignée de son histoire et ses départements les plus riches sont envahis par l’ennemi qui s’est emparé de 90% de son minerai de fer, de 40% de son charbon et de ses hauts-fourneaux. Désormais, l’objectif premier du pays est de libérer le territoire national, mais aussi de soulager le front russe. En relançant l’offensive, le Général Joffre dira: «Je les grignote », triste réalité qui montre que les offensives alliées ne parviennent qu’à de médiocres gains territoriaux, mais au prix d’épouvantables hécatombes.

Paul Toussaint est muté le 8 février 1915 au sein du 94e régiment d’infanterie qui fait partie de la 42e division d’infanterie. Il rejoint par le train vers l’est son nouveau régiment direction Givry-en-Argonne puis à pied le champ de bataille, la forêt de l’Argonne .

Février-Juillet 1915, Bataille de l’Argonne: le saillant de Bagatelle, Marie Thérèse et Paul Toussaint reçoit la Croix de Guerre,il est promu caporal puis sergent. 

Paul Toussaint Croix de guerre 1915

L’objectif des combats est de protéger Verdun et ce qu’on appellera plus tard la « voie sacrée » ; la route stratégique allant de Bar-le- Duc à Verdun. Ce n’est plus la lutte en rase campagne de la Marne, ni les corps à corps vers le nord. Dans la forêt et les ravins de l’Argonne, au bois de la Grurie, le combat va se mener sur terre et sous terre, rempli de ruses et d’embuscades, avec une fureur qui ne ralentira pas pendant six mois.  Les tranchées se trouvent à quelques mètres les unes des autres; des boyaux communs sont souvent barrés seulement par des traverses de sacs de terre. Les pétards et les grenades font leur apparition, ainsi que les premiers engins de tranchée (mortiers , minenwerfer et autres crapouillauds). A cela viendra s’ajouter l’utilisation de gaz asphyxiants et les jets de liquide inflammable par les Allemands. Les nerfs des combattants sont mis à une dure épreuve: il faut tenir sur un sol miné, rechercher et détruire les approches souterraines de l’ennemi. La plupart du temps règne l’ennui, et lorsqu’arrive une offensive, c’est l’enfer : outre les bombardements d’artillerie souvent insupportables pour le mental, les soldats vivent entourés par la boue, le froid ou la chaleur torride, la vermine, les rats et l’odeur des cadavres en décomposition, sans compter la soif et la faim en première ligne.

Paul Toussaint va se battre avec courage et sang froid dans ces conditions horribles en particulier dans les tranchées de Bagatelle. C’est là qu’il se distinguera en mai 1915 et recevra de la part du Général Deville commandant la division la citation suivante :

« S’est particulièrement fait remarquer par son sang froid et son courage en maintes circonstances notamment le 9 mai lors de la défense d’un poste d’écoute »

Il sera décoré de la Croix de Guerre avec Étoile d’Argent.  Il sera ensuite nommé caporal le 16 Mai puis sergent le 28 Juin

La lutte acharnée, incessante, inexorable, va se poursuivre jusqu’au 15 juillet sur terre et sous terre. Le 94e régiment devra même se battre à la baïonnette le 13 juillet pour repousser une attaque générale. A partir du 16 juillet le secteur de l’Argonne ne sera plus que défensif. Fin juillet, le général Sarrail résumera ainsi cette bataille :

« Cette lutte en Argonne est terrifiante, parce qu’elle ne cesse jamais ni de jour ni de nuit. Le calme n’existe jamais … Pour se faire une idée de ce qu’est cette lutte de pétards et de bombes, je dirai que si, au début, je fabriquais à l’Armée 2500 pétards par jour, je suis obligé aujourd’hui d’en fabriquer 25000, et ce nombre sera encore insuffisant, tous les Corps en réclamant.« A ce jeu, les troupes s’usent vite. J’ai dit déjà que, depuis le 8 janvier, j’avais perdu en Argonne 1200 officiers et 82000 hommes, presque la moitié de l’effectif de l’Armée »

Extraits du Journal de Marche et des Opérations du 94e R.I. du 14/07/1915

Aout 1915-Janvier 1916, la Champagne le saillant F

Jusque fin juillet 1915, le 94e RI reste au repos puis part en train en Champagne à Mourmelon à 30 km au sud est de Reims.

En aout et septembre, le régiment, reposé et reconstitué, reconstruit  les tranchées dans le secteur d’Auberive. Obligés d’intervenir de nuit et malgré des bombardements quelquefois sévères, les hommes travaillent avec ardeur. Les Allemands qui ne sont jamais loin lancent d’insolents messages : « A quand votre fameuse offensive? Nous vous attendons. » C’est le 24 septembre que le général JOFFRE lance l’ordre d’attaquer :

« SOLDATS DE LA RÉPUBLIQUE,

Après des mois d’attente qui nous ont permis d’augmenter nos forces et nos ressources, tandis que l’adversaire usait les siennes, l’heure est venue d’attaquer pour vaincre et pour ajouter de nouvelles pages de gloire…

Votre élan sera irrésistible…Vous ne lui laisserez ni trêve ni repos jusqu’à l’achèvement de la victoire»

Le 25 septembre, l’attaque est lancée à 9h15 au cri de « En avant ! Vive la France !! »

Extrait du J.M.O. du 15 / 10/ 1915

Au sein de la 83e brigade, le soldat Paul Toussaint s’élance avec les premières vagues ,hors des tranchées françaises, la baïonnette au canon sous le crépitement des mitrailleuses allemandes. L’objectif est d’occuper les tranchées « Dunkerque » et « Douai »(2) (le terrain est tellement quadrillé que l’on ne parle plus des lieux géographiques). Les Français parviennent à reprendre aux Allemands un ensemble de tranchées dans le secteur d’ Auberive/Saint Souplet désigné sous le nom de saillant F Jusqu’au 15 Octobre, les attaques se répètent des 2 cotés sans véritable changement des positions mais ce 15 octobre à 4h30, les Allemands lancent un « véritable ouragan de projectiles »: le saillant F retombe dans les mains de l’ennemi. Au cours de ces combats qui n’auront en rien modifié les positions respectives, le régiment aura perdu 14 officiers et 778 hommes blessés, tués ou disparus. Jusqu’à la fin de l’année 1915 et le début 1916, vont se succéder des périodes de repos à la base de Mourmelon, des périodes de construction de baraquements ou de réparations de tranchées, des périodes de surveillance de l’ennemi. Le front sera relativement calme malgré quelques attaques au gaz et quelques fusillades.

Février- Avril 1916, Bataille de Verdun: le Fort de Douaumont, la stratégie française en plein désarroi.

Le 25 février, le 94e RI est au repos à Souilly à 20 km au sud de Verdun. Il reçoit un nouvel ordre de marche pour se diriger vers le Sud Ouest. Les communications sont rendues très précaires. Où se produira l’effort décisif de l’adversaire? Une seule certitude, c’est au point le plus menacé que le régiment expérimenté devra aller pour défendre sa petite patrie.

1916 Fort de Douaumont

En fait les officiers ignorent  ce qui se passe réellement et le Régiment va tourner en rond avant de revenir à Verdun le 10 mars.

Revenons au 21 février : le front est situé à plusieurs kilomètres au nord du Fort de Douaumont au nord de Verdun et n’a pas bougé depuis 18 mois. Le Fort de Douaumont est vide : en effet pendant la guerre de mouvement de 1914-1915, les fortifications n’ont qu’un rôle passif et sont jugées trop fragiles face à la nouvelle artillerie. Le décret du gouvernement français du 5 août 1915 avait décidé la suppression de la garnison ainsi que son armement et ses approvisionnements. Mais, aujourd’hui, pendant cette guerre des tranchées de 1916, pour le commandement allemand, le Fort de Douaumont est devenu un objectif essentiel qu’il faut absolument conquérir. C’est  un refuge sûr au milieu du champ de bataille ; un abri parfait pour stocker des munitions, reposer les troupes, soigner les blessés; un point d’appui important et stratégique pour la poursuite du mouvement en direction de Verdun. Ainsi, à partir du 21 février, les Allemands se lancent avec des moyens importants vers Douaumont, les troupes françaises reculent. L’avance allemande est si importante et si subite que les rares  occupants du fort ignorent la proximité de l’ennemi. Dans le tumulte, les officiers français occupés à défendre le secteur qui leur a été affecté, ne songent pas à aller renforcer le fort, personne au commandement français n’a pensé, pris le temps ou même jugé bon d’avertir. Aucun préparatif défensif n’a donc été fait en prévision de l’arrivée des Allemands. Le 25 février, les troupes allemandes commandées par le lieutenant Brandis arrivent à proximité du Fort, aucune activité ne semble l’animer, aucun obus n’est lancé de ses canons, le Fort semble complètement inerte au milieu de la bataille. En revanche, autour, dans la plaine, de nombreux soldats français se replient, complètement dépassés par l’avancée allemande. Les éclaireurs Allemands pénètrent dans le Fort quasiment sans combattre et dans la soirée, le Fort de Douaumont est aux mains des Allemands, 300 soldats viennent s’y installer et renforcer ainsi l’ouvrage. Le lendemain, la presse allemande exulte ; « Douaumont ist gefangen »

De son coté, le 94e  RI reçoit l’ordre de revenir sur Verdun où il rentre le 10 mars.

Mars- Avril 1916, la bataille de Verdun: le Mort-Homme, des soldats refusent de quitter les tranchées, Paul Toussaint est rétrogradé.

L’armée française doit maintenant stopper l’arrivée des Allemands à Verdun. De fin mars à début avril, le 94e régiment va se positionner entre le Fort de Douaumont et Verdun,  et va réaménager le champ de bataille sous les bombardements allemands qui tuent chaque jour  quelques soldats. En effet, il n’y a plus de tranchées; par ci, par là, se tiennent des îlots de poilus, dans des trous d’obus; pas un abri, pas un trou pour se reposer un instant. Il faut approfondir la tranchée sans retard; la consigne est de ne pas bouger, de ne pas se montrer, durant le jour, et d’utiliser l’obscurité de la nuit pour exécuter les travaux d’aménagement. Un soldat, André Joubert, décrit ainsi dans ses mémoires l’arrivée des troupes françaises en première ligne devant le Fort de Douaumont en mars 1916; « Ils n’étaient pas des néophytes du front, les hommes qui, après l’attaque imprévue du 21 février, venaient à Verdun. Ils avaient connu toutes les misères, couru tous les dangers. Ils ne connaissaient plus la peur. Ils allaient indifférents, stoïques, inconscients, comme dans un rêve… Ils étaient accoutumés. Ils étaient les survivants des meurtriers combats de l’Argonne et de l’offensive manquée de Champagne. Mais quand, à un détour de la route encaissée, dans la nuit profonde, ils purent voir plus loin que le talus, plus loin que la forêt, le spectacle indescriptible qui s’offrit les fit arrêter d’horreur. Ils étaient au centre d’une circonférence de feu, ininterrompue, circonférence d’astres éphémères où l’or se mêlait aux émeraudes et aux rubis, comme un collier précieux qui les eût enserrés. Droit devant eux, c’était le Mort-Homme et la cote 304. »

Le Mort Homme

Le Mort-Homme, nom d’un ancien lieu-dit, se compose de deux collines aux altitudes de 295 et 265 mètres. Cette position sert de point d’observation et guide les tirs d’artillerie, c’est pourquoi les Allemands veulent à tout prix conquérir ces collines. Le 11 mars, l’armée française reçoit un message d’encouragement du Général Joffre qui se termine par «  …Vous serez de ceux dont on dira ; « ils ont barré aux Allemands la route de Verdun » » Début avril, de durs combats se concentrent  aux environs du bois d’Avocourt au pied du Mort-Homme. Chaque m2 de terrain se gagne au prix de lourdes pertes. La bataille tourne au massacre où les belligérants s’affrontent sous de terribles conditions atmosphériques. Les soldats perdent leurs chaussures dans la boue gluante. Les fusils et les mortiers coulent, les blessés se noient dans la boue.C’est dans ces conditions que le 5 avril, la 42e division commandée par le Général Deville, qui intègre le 94e RI, reçoit l’ordre de  retourner en première ligne pour remplacer la 40e division et reconquérir le Mort-Homme. Au sein des armées l’inquiétude grandit, il semble que les limites de ce qu’il était possible de supporter aient été atteintes. Les soldats expérimentés sont las de combattre, ils se rendent compte qu’ils manquent d’armements et de munitions, qu’on les conduit à la mort certaine (3). Nombre d’entre eux Allemands et Français refusent de quitter leurs tranchées et l’insubordination devient commune. C’est ainsi que le sergent Paul Toussaint manifeste son inquiétude, refuse de partir au combat et figurera parmi les « insubordonnés ». La sanction sera sévère et tombera immédiatement: le Colonel Gaucher  décide le 7 avril de rétrograder Paul Toussaint au grade de soldat de 2e classe et le mute aussitôt au sein du 8e bataillon de chasseurs à pied (8e B .C.P.) qui fait également partie de la 42e division/ 83e brigade.

Le Journal du 94e régiment est totalement silencieux sur cet épisode de début avril 1916.

Extraits du J.M.O. du 94e R.I. début avril 1916

Paul Toussaint, redevenu simple soldat, va devoir continuer le combat dans le même environnement mais sa mission évolue: le chasseur à pied est réputé comme un excellent tireur, très vif. Le bataillon est placé en avant de l’infanterie et profite des accidents de terrain pour se poster et viser, préparant le terrain pour l’infanterie.

Avril 1916, le Mort-Homme avec le 8e Bataillon de Chasseurs à Pied.

Dès le 8 avril 1916, Paul Toussaint se retrouve avec le 8ème B .C.P. dans les tranchées du Mort-Homme sous les bombardements allemands. Pour ce régiment, les journées du 9 et 10 avril se détachent comme des « épisodes de légende » : « Au cours de la terrible lutte qui se livra sur les pentes du Mort-Homme, les soldats français eurent à subir les plus rudes assauts et, se cramponnant au sol, infligèrent à l’ennemi des pertes considérables… Pendant quatre heures, ce fut un combat d’un acharnement inouï. Suivant la première vague des grenadiers, les colonnes ennemies s’étaient précipitées, la baïonnette haute, contre nos tranchées, où nos chasseurs les attendaient et les reçurent à coups de mitrailleuses et de fusil, puis la lutte s’acheva en corps à corps, en véritable mêlée… » Au cours de ces deux journées, le Bataillon perd 19 officiers et près de 600 hommes de troupe

C’est ce soir là que le général Pétain , chargé de défendre la place depuis le 21 février, écrira son fameux ordre du jour :

« Le 9 avril est une journée glorieuse pour nos armes…Les Allemands attaqueront sans doute encore ; que chacun travaille et veille pour obtenir le même succès qu’hier.  Courage !…on les aura !… »

La 42e division est évacuée progressivement du 13 au 15 avril. Elle est relevée par la 40e D.I.Le 7 mai, après une période de repos et de reconstitution du bataillon à Bar-le- Duc, le 8e B.C.P. est de retour sur le front de Verdun et se positionne à droite du Mort-Homme, jusqu’au 18 mai. Rien à signaler sauf  la canonnade d’une violence inouïe, qui termina le séjour du bataillon : il était tombé près de 5.000 obus sur un espace très restreint.

En juin 1916, la presse pourra écrire: « Verdun ! les Allemands se sont trompés en croyant le prendre si facilement ! C’est une faute irréparable ! » Le Kronprinz (chef des Armées allemandes) n’a pas cueilli , comme il l’annonçait triomphalement, sa fleur préférée, la marguerite de Verdun. Du 11 juin au 22 août, le 8e BCP occupe le secteur relativement calme de Reillon en Lorraine  C’est durant ce demi-repos du 8e, que soudainement se répandit le bruit d’une grande offensive franco-anglaise dans la Somme

Aout-Septembre 1916, la bataille de la Somme: Rancourt. Paul Toussaint tué au combat le 20 septembre 1916.

Premiers tanks anglais
Tranchées allemandes

La bataille de la Somme avait été planifiée dès décembre 1915 entre les armées françaises du général Foch et les armées anglaises du général Douglas Haig. Si initialement, l’objectif était de reconquérir le Nord de la France, elle devint avant tout une bataille destinée à soulager le secteur de Verdun en obligeant les Allemands à détourner une partie de leurs troupes vers la Somme. Le 1e juillet 1916, les armées franco-anglaises commencent la bataille à l’est d’Albert  mais les anglais qui pensaient, grâce à des bombardements intensifs préalables, avoir détruit les défenses allemandes se heurtent à des répliques violentes. En fait, pendant près de deux ans, les Allemands avaient établi une sorte de vaste camp retranché: réalisé un labyrinthe d’abris profonds insensibles aux bombardements intensifs. Jusqu’au 20 juillet, un pilonnage d’artillerie comme jamais encore on n’en avait vu enverra sur les défenses allemandes quelques millions d’obus et sera suivi de quelques grandes     « enjambées » d’infanterie. Puis l’action est plutôt languissante pendant tout le cours du mois d’août, très chaud. En septembre, l’action reprend intensément.

Le 12 septembre 1916, le 8e B.C.P. arrive dans la région et se repose à Moliens, dans l’Oise pendant une semaine. Le voilà dirigé vers la ligne de feu. En cours de route, il rencontre de nombreux soldats anglais avec qui il échange et fraternise avec une loyale et franche camaraderie. Les chasseurs français se rendent compte de l’immense effort fourni par les Alliés et admirent au passage ces nouvelles machines que l’on appelle tanks: ce sont d’énormes, de terrifiantes machines qui, vomissant le feu par toutes leurs ouvertures, gravissent en courant les pentes les plus abruptes, renversent tous les obstacles, traversent en se jouant les plus solides défenses, les réseaux de fil de fer les plus inextricables. Mais ils découvrent aussi le paysage sinistre du champ de bataille:

Canon anglais enlisé

Voici comment l’écrivain Pierre Loti décrit, comme il l’a vu, ce qu’il appellera  « l’enfer de la Somme »:« … Par degrés, nous pénétrons dans ces zones inimaginables à force de tristesse et de hideur, que l’on a récemment qualifiées de lunaires… il reste seulement quelques troncs, pour la plupart fracassés, déchiquetés à hauteur d’homme ; et, quand au pays à l’entour, il ne ressemble plus à rien de terrestre: on croirait plutôt, c’est vrai, traverser une carte de la Lune, avec ces milliers de trous arrondis, imitant des boursouflures crevées. Mais, dans la Lune, au moins, il ne pleut pas ; tandis qu’ici tout cela est plein d’eau à l’infini, ce sont des séries de cuvettes trop remplies, que l’averse inexorable fait déborder les unes sur les autres…Quant à la terre, ici, un déluge de fer l’a tellement criblée, brassée, retournée, qu’elle ne représente plus qu’une immonde bouillie brune, où tout s’enfonce… »Et Pierre Loti n’évoque pas ce que les soldats voient à chaque pas, sur le bord du chemin, dans les trous: des cadavres horribles, noircis, gonflés, mutilés par d’affreuses blessures…

Rancourt en ruines

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, le 8e B.C.P. traverse les champs de bataille des journées précédentes: Maricourt, Maurepas, Le Forest, il a pour mission d’occuper Combles, gros bourg abrité au milieu d’un cercle de collines, qui est le centre de la résistance allemande au nord de la Somme.

En fait, la plupart des chasseurs applaudissent ce nouvel engagement et partent au combat avec enthousiasme: beaucoup parmi eux appartiennent à ce pays que l’ennemi occupe depuis deux ans. Ils rêvent d’aller délivrer leur petite patrie. C’est le cas de Paul Toussaint qui n’a pas revu sa famille depuis deux ans. Sa femme Marie et sa petite fille Gisèle sont restées à Troisvilles non loin de Cambrai en pleine zone occupée. Il faut faire tourner la boulangerie dans des conditions plus que difficiles sous le joug de l’occupant (c’est la période du pain KK).

Paul Toussaint tué à l’ennemi
1916_Gisèle et Marie Toussaint entourent une photo de Paul Toussaint

Paul Toussaint est à cet instant à moins de soixante kilomètres de chez lui. Il est bien facile d’imaginer dans quel état d’esprit et …avec qu’elle combativité et… imprudence, il aborde cette nouvelle phase de combats. Le 20 septembre au matin, le 8e B.C.P.occupe ses positions devant Rancourt à l’ouest de Combles qu’il aura mission d’attaquer le 25 septembre. Il semble que les Boches sentent l’imminence d’un nouveau coup de bélier. Ils essaient de le parer par un violent bombardement d’obus de gros calibre et d’obus asphyxiants qui précèdent une très grosse attaque d’infanterie. Si ce bombardement ne fit que quelques victimes, mon grand père Paul Toussaint fut « tué à l’ennemi » ce 20 septembre 1916.

Des combats intensifs  vont se prolonger devant Rancourt et, le 26 septembre enfin, fut une journée glorieuse : les Armées anglaises et françaises se donnaient la main dans Combles, le principal pilier de la défense allemande, la « clef » entre Bapaume et Péronne.

Pour rendre hommage à son mari, ma grand-mère Marie Victoire Toussaint fit réaliser une photo en face de la boulangerie avec sa fille Gisèle (ma maman) et entre elles la photo de Paul Toussaint décoré de la Croix de Guerre posée sur une table. Le projet de boulangerie vient de s’effondrer. Ma grand-mère revendra la boulangerie à la fin de la guerre, se remariera en 1919 et, suivant son mari, s’installera à Bertry où sera éduquée sa fille Gisèle, ma mère.

1920 Inauguration de l’Ossuaire de Rancourt

Le corps de Paul Toussaint ne fut jamais identifié. Selon ma mère, ma grand-mère se rendit bien sur le champ de bataille à la recherche de son corps après la guerre mais sans succès ; on lui expliqua que le conflit était tellement dur qu’il était impossible de relever  les corps après chaque combat. Hors mon grand père fut tué le 20 septembre et le combat se prolongea au même endroit jour et nuit pendant plus de 5 jours sans interruption. A la fin du combat, le 26 septembre, le champ de bataille était totalement bouleversé.

A la recherche de Paul Toussaint « mort pour la France » le 20 septembre 1916, soldat disparu.

Troisvilles Monument aux Morts
St Pierre les Elbeuf Monument aux Morts
Famille Toussaint à Saint Pierre les Elbeuf

Quelques semaines après, la nouvelle du décès de Paul Toussaint parviendra à sa famille à Troisvilles sous la forme d’un simple document écrit par le Corps d’armée ainsi qu’à son père Edouard, son frère ainé Edouard et sa sœur Elvina qui viennent de fuir la zone occupée et la misère: ils ne sont plus en mesure d’exercer leur métier de tisserands à Troisvilles et sont venus se réfugier à Saint Pierre-lès-Elbeuf pour tenter de retrouver du travail dans l’industrie textile (4) . C’est ainsi que le nom de Paul Toussaint figure aussi bien sur le monument aux morts de Troisvilles que sur celui de Saint Pierre-lès-Elbeuf

30 ans plus tard : un souvenir personnel.

Nécropole Nationale de Rancourt

Nous sommes au début des années 1950, je dois avoir 6 ans Notre famille est installée à Douai dans le nord de la France, ville minière qui se relève difficilement des bombardements de la seconde guerre mondiale. Nous venons d’acheter notre première voiture: une Citroën 11CV normale. La première sortie réclamée par ma mère est un voyage à Rancourt pour rendre hommage à son père et faire éventuellement de nouvelles recherches. En effet, à cette époque, il n’est pas rare que la presse signale de nouvelles découvertes sur les champs de bataille de la première guerre.

Nous prenons la route de Rancourt et arrivés sur le site, mes parents se dirigent avec beaucoup d’émotion vers la Chapelle pour interroger le personnel présent. De mon coté j’aperçois tout le long de la route des boules noires rayées disposées régulièrement tous les dix mètres sous forme de monticules qui ressemblent à des pyramides. Je commence à jouer avec ces boules en les lançant et visant à distance les petites pyramides où elles sont stockées. Quelques minutes plus tard, mon père arrive affolé, en courant et me distribue immédiatement une belle paire de gifles: les fameuses boules noires étaient des grenades que le personnel du cimetière ramassaient encore très régulièrement sur le site et qui étaient loin d’avoir toutes été désamorcées. Au retour de cette sortie, ma mère écrira le mot ci-joint sur lequel on peut lire « Toussaint Paul Valery… jamais son corps n’a été découvert vraisemblablement il se trouve dans l’ossuaire de Rancourt… »

Manuscrit de Toussaint Gisèle de 1952 ci-joint

1950_ Manuscrit de Gisèle Lenglet à la recherche du corps de son père

Pour conclure, nous rappellerons que sur 8 millions de mobilisés, 2 millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal. Leurs noms sont gravés dans la pierre froide des monuments de nos villes et de nos bourgs. Ces listes de noms et de prénoms nous rappellent le souvenir d’une France dont les  campagnes étaient si peuplées au début du XXe siècle. 

François Marie Lenglet  août-octobre 2018

Sources principales:

http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/    JMO: Historiques des régiments

http://www.chtimiste.com/ Synthèse Régiments , Témoignages

http://guerre1418.org/index.html

http://www.crid1418.org/agenda/ Témoignages

http://guerre1418.org/html/1914.html Cartographie

https://gw.geneanet.org/jolou07?lang=fr&p=paul+valery&n=toussaint   Paul Toussaint

Livres :

-La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, 2 tomes  Aristide Quillet, 1922

Les carnets du Lieutenant Laby  Médecin 294e R.I.  Bayard   2001

Paroles de Poilus     Librio    Radio France  1998

Notes:

1– Paul Valery Toussaint: Citation et Croix de Guerre Argent et extrait de son livret militaire

Livret militaire: Parcours de Paul Toussaint
Paul Toussaint Citation Croix de Guerre

2-  Ce texte extrait tel que du Journal de Marche du régiment se révèle à postériori prémonitoire et émouvant: le premier petit fils de Paul Toussaint: Paul Lenglet naîtra à Dunkerque en 1936 et le second François (l’auteur) naîtra à Douai en 1946.

3– Témoignage montrant dans quel état d’esprit se trouvent les chefs de bataillons : « impressionnés par  le spectacle qu’ils avaient eu sous les yeux  au cours d’une reconnaissance sur le terrain, la plupart dissimulent au retour leur sentiment, mais l’un d’eux  fit appeler, à sa rentrée au bivouac, l’aumônier et lui dit : Donnez-nous l’absolution. Nous sommes tous foutus. »

4– La famille Toussaint ( à l’exception de Marie ,femme de Paul Toussaint et de sa fille) s’est réfugiée  à Saint Pierre-lès-Elbeuf, elle figure sur le recensement effectué en 1916 pour tous les réfugiés.

Remerciements:

Merci à

Gérard Lenglet arrière petit fils de Paul Toussaint qui a recherché les documents militaires de Paul Toussaint et reconstitué son parcours pendant  la Guerre 14-18.

Patrick Pellerin sur la présence de la famille Toussaint en 1916 à St Pierre d’Elbeuf

Dominique Lenglet , notre cousine … de Bertry

Joël Louvet , notre cousin au 6e degré

et à Geneanet :  https://www.geneanet.org/

Un commentaire sur “Une famille au long du XXe siècle(5): Paul Valéry Toussaint, mort pour la France le 20 Septembre 1916.

  1. Bonjour cher Monsieur,

    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article et me permet de solliciter votre aide.

    Une grande partie de ma famille maternelle est implantée à Troisvilles depuis de nombreuses générations (familles Héloir, Basquin, Rigaut, Rousseau, Boulet, Jonquoi, Delaunnet, Montay …)

    Mon arrière grand père Eugène Montay qui était bonnetier à Troisvilles (23/05/1893 -> 15/05/1969) avait 21 ans lors de la mobilisation générale du 1er aout 1914. Il a donc nécessairement du partir à la guerre. Pourtant, il ne me reste absolument rien de lui, pas même une photo. Je ne sais pas comment retrouver son livret militaire et son parcours. Pourriez-vous m’indiquer quelques pistes ?

    D’autre part, une autre branche de ma famille maternelle de Troisvilles, est originaire de Lyon. En effet, Pierrette Vandel VANDELLE, née le 08/11/1812 à Lyon est arrivée avec son père et sa mère tous deux originaire des environs de Lyon. Ils se sont définitivement établis à Troisvilles. Depuis plusieurs mois, je me demande ce qui a bien pu les pousser à s’établir à Troisvilles. Vous qui semblez bien connaître l’histoire de ce village, auriez vous des informations, ou des pistes de réflexion ?

    Un grand merci pour votre aide !

    Nicolas

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