Au début du XXe siècle, la famille Toussaint Latour est installée en plein cœur de Troisvilles, elle a profité de l’explosion du marché du tulle et de la dentelle mécanique pour investir dans des machines à tulle et se consacre à cette nouvelle activité, laissant de coté l’agriculture. Malheureusement une nouvelle guerre , la première guerre mondiale va venir toucher toute la région, et directement la famille, anéantissant ce beau projet
Le recensement du village de Troisvilles en 1906. Ce recensement détaillé nous donne un visage précis du village. En 1906, Troisvilles a près de 1500 habitants ; outre l’agriculture traditionnelle, l’activité textile est fortement développée et se diversifie. Dans ces deux domaines, il s’agit toujours d’activité familiale et artisanale. Chaque famille à sa propre activité et son propre atelier, le chef de famille étant le patron qui se fait aider par ses enfants et parfois par quelques personnes extérieures.
On compte 56 agriculteurs aidés par 67 valets ou domestiques de ferme ou valets de charrue.
Près de 300 personnes se consacrent au textile : outre 187 tisseurs traditionnels, on trouve 35 tullistes et 46 brodeurs, les autres se consacrant au tricot, à la bonneterie et à la couture.
Le village vit quasiment en autarcie avec ses propres menuisiers, charrons, brasseurs, boulangers, mécaniciens etc.…sans oublier le garde champêtre, les quatre instituteurs, le curé et sa sœur…
Curieusement l’épicier et le cabaretier sont des professions peu mentionnées : en fait, ces métiers constituent des activités complémentaires de l’activité principale souvent tenues par la femme du patron et se cachent dans le recensement sous l’appellation « sans profession»…
Enfin, les familles les plus aisées disposent d’un domestique qui vit au foyer et avec la famille. Troisvilles compte alors 60 domestiques.
Au cœur du village, la famille Toussaint Latour, a réalisé son atelier de tulle. On retrouve la famille Toussaint Latour regroupée au 8 rue Pierre Gabet (aujourd’hui rue du Villers).


La maison se trouve à moins de 200 mètres de l’église au centre du village, c’est une ancienne maison de tisseur, toute en longueur, construite perpendiculairement à la rue avec deux parties, la partie du fond autrefois dédiée à l’atelier du tisseur et désormais au tulle. La cour permet d’élever des poules, des lapins et des cochons enfin dans le prolongement du bâtiment, un jardin en longueur permet de nourrir la famille.
Les résidents de cette maison: Edouard Toussaint père désigné comme chef d’une fabrique de tulle, Elvina Toussaint sa seconde fille est sans profession, Edouard Toussaint fils est tulliste avec son père, Paul Toussaint est également tulliste mais pour le moment en formation, il travaille chez un tulliste voisin: Iréné Danjou.

Les métiers à tulle sont installés dans la seconde partie de la maison, ils remplacent les métiers à tisser d’autrefois. Pour les faire tourner, Edouard Toussaint emploie non seulement son fils Edouard mais aussi trois ouvriers habitants le quartier : Dufour Ernest, Roucoup François et son fils Georges. Il faut à l’époque toujours deux ouvriers tullistes par machine qui travaillent en se relayant par 4 quarts de 5 ou 6 heures.
On imagine le cliquetis incessant qui règne toute la journée dans la maison du lundi au samedi.

D’ailleurs, travailler dans le métier de tulle ce n’était pas rose comme l’a si bien mis en chanson Fernand Beauvillain en 1894 en patois régional.
Une famille très unie devant les drames de la vie.
Edouard Toussaint père , Il a perdu sa femme Félicie Latour en 1897 (il avait 43 ans). Alors engagé dans son projet d’atelier de tulle il ne se remariera pas et s’efforcera de soutenir sa famille.
Marie Helena Toussaint, la fille ainée ne figure pas dans le recensement . A la fin des années 1880, la situation économique étant bien difficile au village, elle s’est engagée comme domestique dans une grande maison bourgeoise parisienne. À cette époque, l’émigration de jeunes ruraux bien éduqués vers les bourgs et villes leur donnait la possibilité d’entrer au service de particuliers, car ce type d’emploi leur permettait de s’adapter à un nouveau mode de vie pendant une phase de leur existence qu’ils espéraient probablement temporaire.

Elle restera célibataire et sans enfant et passera finalement toute sa vie dans le même foyer, partageant bonheurs et malheurs de la famille. Malheureusement, nous n’avons aucune information sur l’identité de la famille d’accueil ni sur ce quelle a vécu à Paris, seule sa réputation d’excellente couturière est parvenue jusqu’à nous
Elvina Toussaint, elle vit avec son père et ses deux frères mais le terme sans profession mentionné dans le recensement cache un nouveau drame familial.
En 1885, alors âgée de quatre ans, elle a été victime d’une maladie qu’on appelle alors la « maladie de Heine » Il s’agit d’une maladie épidémique qui s’attaque à la moelle épinière et provoque une paralysie totale ou partielle des membres inférieurs. Elvina sortira de cette maladie avec de grandes difficultés pour marcher et l’obligation d’utiliser toute sa vie des béquilles pour se déplacer. L’épidémie de 1885 est connue sous le nom de bouffée épidémique de Saint Foy l’Argentière, près de Lyon, foyer principal en France de cette maladie qui sera plus tard désignée sous le nom de poliomyélite et fera des ravages jusque dans les années 1950. Malgré ce handicap, Elvina restera très courageuse toute sa vie, ne se mariera pas et se consacrera, dans la mesure de ses moyens, à certaines taches ménagères mais, aussi et surtout, à la réparation des pièces de tulle sortant de l’atelier de son père.


Edouard François Toussaint junior, fortement engagé dans le projet d’atelier tulliste de son père, lui consacrera toute son activité et restera lui aussi célibataire. Il résidera toute sa vie au 8 rue du Villers.
Paul Valery Toussaint (mon grand père), En 1906, il a 21 ans et encouragé par son père, il apprend le métier de tulliste dans un atelier voisin, l’atelier de Iréné Danjou installé rue du Pont mais il va bientôt devoir faire son service militaire. En effet depuis l’année précédente, 1905, le tirage au sort est supprimé et tous les hommes font un service militaire obligatoire pour une durée de 2 ans. Ainsi, le 6 Octobre 1906, il est incorporé jusqu’en septembre 1908 au 84eme régiment d’infanterie à Avesnes sur Helpe.
La famille Oblin Vanesse

Paul Valery Toussaint se marie avec Marie Victoire Oblin le 22 Aout 1910. C’est une fille de Troisvilles née la même année que lui et qui habite aussi la rue Pierre Gabet à moins de deux cent mètres de la famille Toussaint.

Le recensement de 1906 précise que le père de Marie Victoire Oblin : Eugène Oblin possède son propre atelier de broderie, qu’il est marié à Arthémise Vanesse, sans profession.
Marie Victoire Oblin est alors brodeuse chez son père et un petit frère Eugène est né en 1896.

Paul Valéry Toussaint devient boulanger

En se mariant, Paul Toussaint a un projet précis: devenir boulanger. En effet, il a beaucoup entendu parler par sa grand-mère maternelle Elisa Caron de son grand père maternel François Latour qui après avoir été tisseur s’était lancé en 1854 avec succès dans la boulangerie, aidé en cela par sa femme épicière et bonne commerçante. Il y a aussi dans ce projet un certain défit pour Paul Toussaint car l’expérience de son grand père s’était malheureusement interrompue prématurément : il était décédé en 1870 à 38 ans.
Le couple Toussaint-Oblin installe sa boulangerie dans la rue de la mairie à cent mètres en face de la mairie.
C’est là que va naître ma mère Gisèle Marie Toussaint le 7 Aout 1912.

Malheureusement le projet de boulangerie sera vite remis en cause, la première guerre mondiale arrive à grands pas.
La guerre 14 18 : Troisvilles au cœur des premières batailles.
En juillet 1914, les esprits ont gardé des traces de l’occupation prussienne de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine. La rancœur est entretenue partout en France par: le père, le grand père, l’instituteur, le curé, le maire(1). Les premiers jours de la guerre vont raviver les vieux souvenirs. Les allemands pénètrent en Belgique et la presse belge va, début août, confirmer le retour des uhlans : « Une des caractéristiques de la tactique allemande c’est d’inonder le pays envahi de cavaliers qui affolent les populations biens qu’ils soient en général pour ainsi dire inoffensifs. On signale des uhlans partout. Ils se faufilent entre les lignes des troupes belges à travers les bois et parviennent ainsi très loin dans le pays… »
Paul Toussaint est mobilisé.
Le 1ier août, le gouvernement Français lance l’ordre de mobilisation générale qui est affiché dans toutes les mairies de France. Les cloches de l’église comme le tambour du garde champêtre diffusent l’information dans tout le village. Comme trois millions et demi de français, Paul Toussaint part dès le 2 août rejoindre son régiment.

Part-il au combat comme certaines images le laissent penser « la fleur au fusil » ? Certainement pas car il laisse une petite fille, Gisèle, qui n’a pas encore 2 ans.
Et sa femme Marie Victoire ? comment fera-t-elle pour faire tourner la boulangerie ?
Le monde paysan est aussi en détresse car la moisson n’est même pas commencée et les chevaux sont eux aussi réquisitionnés. Comment les femmes restées à la ferme vont-elles se débrouiller pour récolter et engranger le blé?
Le gouvernement français reste bien conscient de cette situation ; voici le message qu’il diffusera dans la presse le 8 Août :
« Aux femmes françaises,
La guerre a été déchainée par l’Allemagne…
Le départ pour l’armée de tous ceux qui vont porter les armes, laisse les travaux des champs interrompus; la moisson est inachevée, le temps des vendanges est proche. Au nom du gouvernement de la République, au nom de la nation tout entière groupée derrière lui, je fais appel à votre vaillance, à celle de vos enfants que leur âge seul, et non leur courage, dérobe au combat. Je vous demande de maintenir l’activité des campagnes, de terminer les récoltes de l’année, de préparer celles de l’année prochaine. Vous ne pouvez pas rendre à la patrie un plus grand service.
Ce n’est pas pour vous, c’est pour elle que je m’adresse à votre cœur.
Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations urbaines et surtout l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière, avec l’indépendance du pays, la civilisation et le droit.
Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie ! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays? Debout ! à l’action ! à l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde.
Vive la République! Vive la France !
Pour Le gouvernement de la République!
Le président du Conseil des ministres,
René Viviani «
La guerre est déclarée
Ce même jour 1ier août, l’armée allemande viole la neutralité du Luxembourg et franchit la frontière à Longwy et à Cirey et c’est seulement le 3 août que l’Allemagne déclare officiellement la guerre à la France.

Le lendemain 4 août, incroyable coup de théâtre, les Allemands violent également la neutralité de la Belgique et chamboulent ainsi les plans de défense française si longuement préparés et centrés sur la protection des frontières de l’est ! De nombreux civils belges sont abattus et les maisons incendiées, la panique s’installe et c’est le début de l’exode.
Les anglais rentrent en guerre
Le viol de la neutralité de la Belgique provoque l’entrée en guerre de l’Angleterre qui envoie son corps expéditionnaire ( British Expeditionary Force) sur le continent.
Du 9 au 12 août, 75 000 hommes ont déjà débarqué à Ostende, Calais et Dunkerque. Ils doivent se porter sur Namur pour aider l’armée belge à refouler les Allemands au delà de la frontière.

Du 20 au 24 août se déroule la Bataille des Frontières qui met aux prises les Allemands contre les Français, Anglais et Belges.
Dans les jours qui suivent, la presse française se veut rassurante et confiante, mais, reconnait la poussée allemande en Belgique.
Ainsi le journal La Croix titre les 21 et 22 août ;

Le Corps Expéditionnaire Britannique (BEF) commandé par le Maréchal French est composé de 2 corps d’armée : le 1ier corps d’armée commandé par le lieutenant-général Haig et le 2ième corps d’armée commandé par le général Smith-Dorien.


Sa mission initiale est d’empêcher le débordement par le Nord de l’Armée Allemande.
Le 20 août, les premiers combats se déroulent coté belge de part et d’autre de la ville de Mons. Mais dès le soir du 23 août, les armées Allemandes en très nette supériorité numérique et avec une artillerie puissante forcent le passage et obligent les Anglais à la retraite. Le Maréchal French ordonne aux 2 corps d’armées britanniques de se diriger vers une ligne de front située entre Jenlain-Bavais-Maubeuge. Mais après avoir étudié le site et apprenant que la Vème armée française placée à l’est était elle-même en retraite, il considère que en se fixant à Maubeuge, le risque d’encerclement est trop important, il décide donc d’accélérer de nouveau la retraite en direction d’une ligne allant de Cambrai au Cateau.
Le parcours étant encombré par de nombreux civils qui fuient les combats et, pour contourner rapidement l’obstacle que constitue la forêt de Mormal, il oriente le 1ier corps d’armée à l’est de la forêt et le 2ième corps à l’ouest. Les troupes sont déjà bien fatiguées car la chaleur est extrême et les sacs pèsent lourd sur les épaules des fantassins.
Le 26 Août, la bataille du Cateau

Au matin du 25 août la presse affirme que la guerre continue en Belgique et que les Allemands subissent de lourdes pertes.
Mais au Cateau comme à Troisvilles, la population est de plus en plus inquiète.
Les faits sont là: des troupes en retraite traversent la ville, des ambulances bondées de blessés aussi, les anglais à peine installés au Cateau viennent de déplacer leur Quartier Général (C.Q.G.) vers Saint Quentin, enfin, une foule de civils fuit les combats à pied ou en charrette avec de maigres bagages et ralentit la marche des unités armées.


Dans l’après midi du 25 août, , un régiment français, le 27ème de ligne traverse la région, harassé et morne, puis arrivent des troupes britanniques. Elles ont marché toute la journée et mortes de fatigue s’endorment à même le sol. Les troupes britanniques obtiennent néanmoins un vif succès de curiosité car certaines troupes d’origine écossaises portent le kilt.
C’est le 2ième corps d’armée britannique qui est commandé par le général Smith-Dorien qui arrive dans la région allant du Cateau à Caudry. Pour ce corps d’armée, le parcours depuis la région de Maubeuge s’est déroulé pratiquement sans contact avec l’armée allemande. Par contre le 1ier corps du lieutenant-général Douglas Haig a subi en fin de journée le harcèlement de l’avant-garde allemande qui a la chance d’être bien armée et peut se déplacer rapidement en camion automobile.
A Landrecies un accrochage violent oppose les 2 armées et désorganise quelque peu le 1ier corps d’armée britannique.
En fin de journée, le général Smith-Dorien reçoit l’ordre du Marechal French de continuer à battre en retraite car la Vème armée française continue de son coté à se retirer et le 1ier corps d’armée britannique, éparpillé sur 30 km, ne peut plus aider les troupes du 2ième corps après avoir subi cette attaque à l’est du Cateau.
Considérant l’état de fatigue extrême de ses hommes, le général Smith-Dorien manifeste sa préférence de stopper le repli et de faire face à l’avancée allemande, il espère ainsi freiner la marche en avant des Allemands et éviter le contournement par l’ouest des armées alliées.

L’accord du Maréchal French obtenu, il décide de tenter de stopper l’armée allemande le long de la route menant de Cambrai au Cateau. Il parvient à répartir ses divisions au sud de la route Cambrai-Le Cateau (RN 39) entre les villes de Catenières et Le Cateau (voir croquis) C’est ainsi que le village de Troisvilles voit s’installer les 13ième et 19ième brigades d’infanterie britanniques dans la nuit du 25 août. La veille, en prévision de la bataille, des civils volontaires ont été chargés de réaliser quelques tranchées le long de la route pour permettre à l’infanterie britannique de se camoufler car il n’est pas facile de se cacher dans cette région relativement plate et faiblement boisée, seuls les champs qui n’ont pas encore été moissonnés peuvent également servir de refuge .
La 15ième brigade d’artillerie britannique a été placée à 600m en arrière des tranchées préparées le long de la RN 39, elle est divisée en 3 batteries comprenant chacune 18 canons, une de ces batteries est positionnée non loin du centre de Troisvilles. Ce dispositif doit, certes, permettre un support efficace à l’infanterie mais pour une courte durée seulement.
À l’extrême gauche du dispositif britannique sont présentes des troupes françaises: la 84ième division d’infanterie et le corps de cavalerie Sordet qui couvrent la ville d’Arras
Le 26 août à 2 h du matin, le général Smith-Dorien réunit les commandants de chaque division. L’ordre est précis : il s’agit d’accrocher l’ennemi, de stopper et perturber sa marche en avant puis de se retirer.


A l’aube, commence un long duel d’artillerie, ce sont les Allemands qui déclenchent les hostilités. Les batteries allemandes pilonnent l’infanterie britannique placée dans des tranchées peu profondes et mal positionnées alors que les batteries anglaises criblent de leurs projectiles les fantassins allemands qui dévalent en vagues successives les contreforts de la forêt de Mormal, au nord du Cateau, avant de disparaître de la vue des opérateurs dans les points bas. Le duel est inégal, et vers 12 heures, l’artillerie allemande plus puissante maîtrise le champ de bataille.
C’est à l’est de Troisvilles, le long de la vallée de la Selle, que les échanges de tirs d’artillerie seront les plus acharnés avec, dès 6h du matin, la capture par les Allemands de la 19ième brigade au Cateau. Le 1ier corps d’armée britannique désorganisé va permettre aux Allemands d’ouvrir une brèche dans le dispositif britannique.
A 15h, le général Smith-Dorien sentant ses troupes menacées par un encerclement, ordonne la retraite le long de l’ancienne chaussée romaine, aujourd’hui chaussée Brunehaut en direction de Reumont-Saint Quentin. L’armée allemande, surprise par une contre attaque du Corps de Cavalerie française du General Sordet, s’arrête aux abords des premiers villages situés en arrière du front entre autre dans les secteurs de Troisvilles, Reumont…
La retraite des britanniques peut donc continuer sans combat et le retour de la pluie apportant un peu de fraîcheur, les troupes malgré la fatigue parviendront à effectuer le 26 août au soir à pied 30 km supplémentaires pour arriver dans les environs de Saint Quentin.


rouge:Allemands, marron: Anglais, bleu: Français
Bilan de la bataille du Cateau

Si la bataille du Cateau fut une défaite, elle permit aux troupes britanniques de stopper pendant une journée l’avancée rapide des Allemands vers Paris. Des soldats au bord de l’épuisement physique total firent preuve d’un moral de fer et d’une incroyable résistance.
Ils permirent aux troupes britanniques et françaises placées à l’est de se réorganiser et de mieux préparer la bataille de la Marne qui devait commencer le 5 septembre et qui permit de stopper définitivement l’avancée allemande.
Le Maréchal French en charge de l’ensemble du corps expéditionnaire britannique rendit hommage au général Smith-Dorien par ces mots: «…L’aile gauche de mon armée n’aurait pas été sauvée le matin du 26 août sans le sang-froid, l’intrépidité et l’esprit de résolution de son commandant… »
Le Général JOFFRE, Généralissime des Armées Françaises adressa le 27 août ses remerciements au Maréchal FRENCH par ces mots: « … la cause française a été servie d’une manière vitale par l’action de l’Armée Britannique pendant ces derniers jours: toute l’Armée Française sent qu’elle a contracté envers elle une immense dette de gratitude… »
Par contre les pertes en hommes et en matériel furent très lourdes: sur la seule bataille du Cateau, les forces britanniques perdirent 7800 hommes tués, blessés ou disparus et 38 canons ainsi qu’une grande quantité de mitrailleuses et d’équipements militaires. Ce qui conduira le Maréchal French à reconnaître plus tard que: «… les conséquences de nos pertes à la bataille du Cateau se firent sentir jusque pendant la bataille de la Marne et les premières opérations sur l’Aisne».
Le 26 août, témoignages d’habitants.
Comment les habitants vécurent cette terrible journée ?
A Troisvilles, toute la famille Toussaint Latour surprise par la rapidité de l’invasion allemande était restée sur place. Ma mère Gisèle Toussaint n’avait que 2 ans, elle ne garda pas de souvenir spécifique de cette journée en revanche elle gardait en mémoire ce que sa maman racontait : « dès que les tirs d’artillerie se rapprochèrent toute la famille se réfugia dans les boves (2) et vécut dans une totale angoisse à l’écoute des bruits des bombes en priant qu’aucune d’entre elles ne tombe sur la maison ». La maison fut épargnée et quand le 27 Août, la famille sortit de sa bove, les allemands occupaient le village.
Au Cateau, le conservateur du Musée Matisse, Mr Guillot, fut témoin de cette journée dramatique et décrivit ainsi ce qu’il vécut: « Dès 5 heures du matin, nous fumes réveillés par de violentes fusillades: les Allemands, entrés par surprise en ville, engagèrent des combats de rues avec les Britanniques et des soldats français attardés. Puis ce fut la canonnade intense, brutale, durant des heures. Tout le monde était terré dans sa cave, voir sa « bove », portes et volets clos. A la fin de la journée, les mêmes jeunes gens qui, la veille encore, défilaient avec enthousiasme, furent réquisitionnés par les vainqueurs pour relever les blessés sur le champ de bataille, éteindre les incendies allumés aux quatre coins de la ville par les Allemands, furieux de la résistance britannique et hélas! aussi, ensevelir les morts, tous ces morts! Des hôpitaux improvisés: Usine Seydoux, Ecole Fénelon, Collège, Hôpital Paturle, accueillirent les blessés des deux camps au chevet desquels médecins civils, jeunes filles de la Croix Rouge se dépensèrent sans compter. Toute la nuit, la soldatesque allemande, ivre, défila par la ville, hurlant des hymnes guerriers et pilla les magasins dont elle avait défoncé portes et fenêtres. « Nuit de cauchemar que je n’oublierai pas, ma vie durant».
La nuit d‘une occupation de 50 mois allait tomber sur toute la région.
François Marie Lenglet août 2018
Notes:
1-Souvenir de l’occupation prussienne de 1870: le livre de lecture –cours élémentaire– de nos parents (1906/1918) s’appelait « Le Tour de France par 2 enfants » son sous titre est un hymne à la France et au devoir envers la patrie:« Devoir et Patrie » Il raconte l’histoire de 2 enfants Français qui fuient en cachette la Lorraine occupée par les Allemands sinon, faute de tuteur, ils deviendront Allemands comme résidents lorrains sans contestation possible …
2-bove : ce terme aujourd’hui tombé dans l’oubli désigne les caves du sous sol des maisons, ce sont de véritables cavernes creusées dans l’argile par la main de l’homme sans mur ni plafond ; c’est bien ainsi que je découvrirai les caves (boves) du 8 rue du Villers à Troisvilles dans les années 1950.
Sources:
- La Bataille du Cateau Cambrésis: Office de Tourisme du Pays de Matisse / Le Cateau
- La Grande Guerre 14-18_La bataille de Mons:
- Presse: La Croix, L’Action Française (08/1914), Bulletin municipal de Caudry.