Bâtir notre collégiale, une question d’organisation

Frédéric Tendille, coordinateur du journal de Lorgues « Vivre à Lorgues » vient de nous quitter à la suite d’une longue maladie.

  Il manifestait son souhait que notre journal s’adapte progressivement au monde d’aujourd’hui car Lorgues a beaucoup changé depuis 20 ans à la fois en termes de population et la société en général a évolué. Néanmoins, au cours des réunions des rédacteurs de Vivre à Lorgues, il exprimait régulièrement son souhait que notre journal  reste consacré en priorité à Lorgues, ses habitants, son patrimoine à condition que le sujet jette un regard neuf sur notre cité et son histoire.
Ces derniers mois, malgré la maladie, il continuait à suivre avec passion les travaux de restauration de notre Collégiale Saint Martin, organisant même récemment des visites du site sans hésiter, malgré la fatigue, à monter dans le clocher
C’est pour lui rendre hommage que nous avons repris son dernier article « Bâtir au Moyen Age, une question d’organisation » (voir VAL N°133) en revenant sur les principaux épisodes et sur l’organisation de l’édification de notre Collégiale. Comme nous le verrons, bien que notre collégiale ait été construite au XVIII ème siècle, nous pouvons aborder cette histoire sous l’angle des relations de pouvoir, des contraintes humaines, matérielles, industrielles telles qu’elles sont évoquées dans son article.
L’influence de l’Église domine la vie sociale* : la décision de bâtir une nouvelle collégiale à Lorgues
Au Moyen Age, l’église de Lorgues dédiée à Saint Martin était située à l’intérieur de l’enceinte fortifiée, elle fût érigée en église collégiale(1) en 1421. Les Lorguais s’installèrent de plus en plus nombreux à l’extérieur des fortifications dans les quartiers du Revellin, la Place, la Bourgade.

Plan de Lorgues du Moyen Age au XVII ème siècle (d’après L.Nardin)

Les chanoines, souhaitant s’agrandir, s’installèrent dans une chapelle située au bas de la ville appelée Notre Dame de Beauvoir. Cette chapelle se révéla rapidement très insuffisante et dans un état de délabrement avancé à tel point qu’un maire de Lorgues de la fin du  XVI éme siècle la décrivait par cette phrase : « Elle donnait une idée parfaite de l’étable de Bethléem et que nulle part où Jésus Christ est adoré, il l’était dans un endroit aussi indigne de lui ». Le besoin d’une nouvelle église était évoqué au sein de la population mais pendant plus d’un siècle il fut impossible de se mettre d’accord sur l’emplacement et les dimensions. Finalement, en avril 1703, l’évêque de Fréjus, Mgr de Fleury, venu à Lorgues pour présider une cérémonie, fut témoin à la porte de la chapelle de querelles scandaleuses entre paroissiens cherchant à obtenir une bonne place dans la chapelle: il montra l’urgence de construire une nouvelle église paroissiale. Suivi par le Conseil de la ville et après plusieurs allers retours entre l’évêché et la ville, c’est l’évêque lui-même qui signa à Fréjus en présence des représentants de la Communauté de Lorgues l’ordonnance définissant l’emplacement et les dimensions de la future église.

C’est donc bien l’église qui formait une sorte de communauté des peuples.
L’église impose un langage universel : le latin

2017 Lorgues Vue Aérienne
Panneau en latin:
pose de la première pierre


C’est en cette langue que furent rédigées la plaque commémorant la pose de la première pierre de la collégiale en 1704 et plus tard celle annonçant sa consécration en 1788. En effet l’église catholique soucieuse de rapprocher les hommes à travers la liturgie préférait et, préfère toujours aujourd’hui, utiliser une langue morte comme langue officielle car les langues locales évoluent, les mots changent de sens au cours des années et des siècles. Enfin, le latin est d’une logique rigoureuse, rendant les erreurs d’interprétation difficiles
Voici la traduction en français de cette plaque :

« Jusqu’à l’an de grâce 1704 sous le pontificat de Clément XI, sous le règne de Louis XIV le Grand et sous le consulat  de M. Jacques Laugier et François  Olivier, ,André- Hercule de Fleury, évêque de Fréjus fit transférer en ce lieu  l’église collégiale de Saint-Martin pour la bâtir plus vaste et plus magnifique.

Sur les fondations, il en posa la première pierre avec le doyen du chapitre canonial, tandis que toutes les autorités de la ville non seulement encourageaient mais aussi apportaient leur travail et leurs soins.    Que se maintienne cette très sainte demeure jusqu’à la fin des temps, qu’elle reçoive des fidèles toujours dignes de Dieu et de son Eglise, avec la grâce de JC en dehors de qui personne ne peut poser d’autres fondements et par qui toute œuvre construite trouve sa prospérité »

Le chantier de construction : le centre de la première et presque de la seule industrie à l’époque :
Dès le début des travaux, le Conseil de la Communauté jugea qu’un travail de cette importance et pour l’exécution duquel il fallait un grand nombre d’ouvriers, devait être activement surveillé. Il nomma six fabriciens annuels et six fabriciens mensuels (2) « lesquels sont très instamment priés de surveiller avec zèle l’accomplissement d’un travail si considérable **» ainsi qu’un trésorier et deux économes compte tenu des sommes à gérer. Malgré tout, la Communauté constatera vite que ces « ateliers de construction à l’air libre » étaient diffus et délicats à appréhender .
La gestion des hommes: ainsi dès la première année en 1704, on ne trouvait plus d’ouvrier pour travailler à la nouvelle paroisse à cause des travaux pressants de la moisson.
La direction du chantier: elle fut confiée initialement à un groupe d’entrepreneurs mais le Conseil se trouva vite en difficulté avec ce groupe : non respect des dimensions de l’édifice et contrairement aux dispositions initiales : appropriation par les entrepreneurs des matériaux provenant des démolitions. Finalement, il confia en 1705 la direction des travaux à l’architecte Pomet : il était d’une capacité et d’une probité très connues
La charge financière: effrayée par l’ampleur des dépenses, la Communauté chercha à interrompre les travaux et, mécontente de leur exécution, fit procès aux entrepreneurs. Le procès, même s’il se termina par un arrangement amiable, se révéla interminable : il dura cinq ans pendant lesquels le chantier fût interrompu.
L’environnement politique et climatique: il faut reconnaître que cette période laissa une population exténuée par les maux de la guerre et la rigueur exceptionnelle du climat. En 1707, le Duc de Savoie avait envahi la Provence et fait le siège de Toulon. Épargnée, la ville de Lorgues fut néanmoins contrainte de payer une forte contribution de guerre. En 1709, un hiver terrible fit périr tous les oliviers et anéantit toutes les récoltes.
Tout monument se doit d’être élevé en pierre
En 1710, la paix revenue, le roi Louis XIV accorda une compensation financière à la ville et le nouveau Maire Laugier, celui là même qui était à l’origine de l’ordonnance et des actions de 1703, animé d’un saint zèle, parvint à ranimer l’enthousiasme de quelques uns et à vaincre l’indifférence du plus grand nombre. Pomet fût confirmé dans son rôle de directeur des travaux. La Communauté était consciente que l’approvisionnement en matériaux constituait le soucis premier des bâtisseurs.

LORGUES Collégiale en pierre de taille et moellons

Elle décida donc de contribuer directement au chantier en fournissant tous les matériaux pierre et sable nécessaires pour la construction de la paroisse. Elle précisa que « les habitants seraient obligés de fournir des voitures pour charrier le sable et la chaux nécessaires pour la construction et que ceux qui n’y satisferaient pas seraient assignés au bureau pour être condamnés à l’amende … Excités par les personnes pieuses, les habitants amoncelaient les matériaux devant l’emplacement de la future église pendant que la Communauté faisait construire des fours à chaux »
Les pierres, prélevées à proximité du site, provenaient essentiellement du démantèlement des monuments en ruine et le sable des fossés de St Honoré.Les corniches et les bandeaux seraient construits en pierre de taille et les murs et la voûte seraient en moellons recouverts d’enduit.

Tous les obstacles sont surmontés pour finir les travaux.
Le financement : la communauté se révèle incapable de payer à plusieurs reprises malgré la générosité de certains bienfaiteurs.
Ainsi en 1715, l’église rechigne à verser sa part en tant que condécimateur (3) . Le cardinal de Fleury en partance vers Versailles comme précepteur du futur Louis XV refuse de payer et écrit:  » Je ne suis plus responsable du temporel et donc plus compétent présentement pour prendre une telle décision… Mais vous voulez bien encore que je vous dise que vous avez entrepris un trop grand ouvrage« . Le cardinal oublie bien vite que c’est lui-même qui a défini les dimensions de la collégiale dans son ordonnance de 1703.
En 1717, les Consuls de Draguignan soucieux d’obtenir remboursement, arrivèrent à Lorgues avec l’ordre d’emprisonner douze habitants de la ville les plus imposés, d’enfoncer les portes des maisons, des bastides et des greniers, de s’emparer de tous les grains et de toutes les denrées, et au besoin de se faire prêter main forte par la force armée …
Le Conseil éluda celle imposition en versant immédiatement dans la Caisse des trésoriers généraux la somme de 12000 livres qu’elle emprunta aux habitants les plus riches, effrayés des mesures sévères dont la ville allait être l’objet.
La peste : en 1720, la terrible maladie partie de Toulon désolait toute la Provence. Pour protéger la ville, on ferma toutes les issues, deux sentinelles furent placées à la porte Notre-Dame, avec la consigne de n’ouvrir la barrière qu’à l’unique charrette de la ville employée à la construction de la collégiale.

En 1729, finalement, la Collégiale à peine terminée sera mise à disposition des chanoines et de la population
La finalité ,le rayonnement de la culture à la française

Collégiale de Lorgues en 2017

Aujourd’hui, tout visiteur arrivant à Lorgues découvre d’abord son église, un édifice aux dimensions impressionnantes dont le clocher qui culmine à 34 m au dessus du sol semble déborder des maisons qui l’entourent, serrées les unes contre les autres. Ce qui frappe, c’est l’homogénéité de style. L’église est construite de la même façon que les maisons qui l’entourent : même pierres calcaires, même sable et chaux, mêmes tuiles d’argile et toiture provençale et, coté parvis, sa façade triangulaire de style classique avec ses trois portes reste très sobre.
Ce que nous devons retenir de la construction de notre Collégiale, c’est tout d’abord le poids des autorités religieuses qui on pu imposer l’emplacement et les dimensions de l’édifice avec une volonté évidente de montrer l’importance et le puissance de l’église dans la cité. Ensuite, nous devons songer à tous les malheurs qui vinrent assaillir la Communauté pendant ces années. Nos ancêtres ont souffert tous les maux … Guerre, famine, peste, procès, ruine financière de la Communauté, rien n’a manqué aux épreuves qu’ils ont eues à subir : mais rien n’a pu les détourner du but de leurs sacrifices : achever un édifice impressionnant donnant une image spécifique de notre culture à la française.
Il faut souligner également la sévérité des autorités royales qui, tout en laissant à la Commune toute liberté sur ses investissements, se montrent plus que menaçantes pour obtenir le remboursement des dettes. Enfin, nous pouvons admirer la capacité de la Communauté à fédérer les habitants autour du projet et à mettre en place une organisation rigoureuse dans sa gestion.
Nous laisserons la conclusion au Docteur Cordouan : « Les habitants de cette ville ne doivent pas oublier, dans leur reconnaissance, cette génération dont la foi et la grande âme furent constamment à la hauteur des plus grands sacrifices et des plus rudes épreuves. »

François Lenglet le 1er Septembre 2017
Notes :
*texte en italique souligné : extrait de l’article « Bâtir au Moyen Age, une question d’organisation » Frédéric Tendille (VALN°133)
**texte en italique : extrait de Notice historique sur l’Eglise de Lorgues par le Docteur Cordouan-1863
(1) collégiale : c’est une église qui possède un chapitre de chanoines. À ce collège de prêtres il incombe de chanter quotidiennement l’office divin et d’accomplir les fonctions liturgiques plus solennelles dans l’église
(2) fabricien : un « décideur » (clercs et laïcs) nommé pour assurer la responsabilité de la collecte et l’administration des fonds nécessaires à la construction puis l’entretien des édifices religieux
(3) condécimateur : qui reçoit la dîme (contribution de 10% prélevée au service de l’église chrétienne)… en même temps qu’un autre seigneur
Sources :
Notice historique sur l’Eglise de Lorgues par le Docteur Cordouan-1863 accessible en totalité sur internet : lorgues.free.fr (Mémoire et Patrimoine)
Lorgues cité franche de Provence par Louis Nardin-1972

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