A Lorgues, du Bas-Cours à l’Avenue Allongue : une véritable histoire d’héritage.

 Dans Le Figaro du 28 Janvier 1900, ont peut lire l’article suivant:

L’amabilité d’un maire                                                                                                       

Draguignan. — On vient d’enterrer dans une petite commune du Var, à Tourrettes-de-Fayence, un brave homme qui était aussi un grand original, doublé d’un excentrique.Ses cartes de visite, qu’il distribuait à profusion sont  légendaires. Elles étaient ainsi libellées :


 Allongue Antoine-Maximin

rentier-propriétaire à  Tourrettes  par Fayence(V ar)       

Il est célibataire, riche, robuste, intelligent, instruit, fort, énergique.  

Il pèse cent kilos.

Il possède des qualités exceptionnelles. Il veut se marier.

Adresse télégraphique: Allongue, Rouvière Fayence.


Malgré toutes ces alléchantes promesses, il est probable que les candidates n’affluaient pas; car M. Allongue vient de mourir célibataire à quarante-cinq ans et il lègue toute sa fortune à la ville de Lorgues, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Draguignan. Le notaire qui est venu annoncer cette nouvelle au Conseil municipal a fait la déclaration suivante:

M. Allongue dont j’étais le conseil et le confident, m’a appelé pour recevoir par testament ses dernières volontés. Il m’a déclaré qu’il avait  fait un testament olographe instituant la ville de Lorgues pour son héritière et légataire universelle, à la date de septembre 1893, en souvenir des années heureuses qu’il avait passées au collège de cette ville et, plus tard, à cause de l’accueil gracieux et bienveillant qu’il avait reçu de M. Sarlin, maire. 

Et comme on évalue la fortune de M. Allongue à 4 ou 500 000 francs, on peut donner le maire de Lorgues comme modèle à tous les maires de France pour  leurs rapports avec les touristes de passage.

Il est vrai que les maires reçoivent plus souvent des importuns que des excentriques cousus d’or.

Antoine Maximin Allongue et Lorgues:

La ville de Lorgues , légataire de A.M. Allongue.

Le Bas Cours devient l’Avenue Allongue
                              Pourquoi?

Le 23 Janvier 1900, le Conseil Municipal de Lorgues est convoqué par le Maire Monsieur Sarlin pour une séance extraordinaire.Mr le Maire s’exprime ainsi: « J’ai le plaisir de vous réunir aujourd’hui extraordinairement pour  vous faire part d’un évènement des plus heureux pour notre ville. Par son testament olographe du 9 Septembre 1893 et par son testament public en date du 13 janvier courant, M. Allongue Antoine Maximin, propriétaire à Tourrettes, vient de léguer à la ville de Lorgues toute sa fortune et de l’ instituer son héritière et légataire universelle. »

Commence alors une histoire à rebondissements  qui va occuper chaque Conseil Municipal pendant deux ans jusqu’en Avril 1902.

Antoine Maximin Allongue :

A.M.Allongue était né en 1857 à Tourrettes, un des 9 villages perchés du Pays de Fayence, et venait d’y mourir le 13 janvier 1900. Il était néanmoins attaché à Lorgues car il y avait passé son enfance et avait conservé des relations amicales. Enfin, il n’avait pas eu d’enfant. Il tenait donc personnellement à ce que sa fortune revienne à la ville de Lorgues, il avait même remis son testament manuscrit en main propre au maire de Lorgues dès 1893.Dans son testament, le donateur mentionne le fait ‘qu’il est sain de corps et surtout d’esprit’ ce qui laisse penser qu’il avait des soucis de santé dès 1893 alors qu’il n’était âgé que de 36 ans, il se présente comme ‘rentier, propriétaire’ mais ne mentionne pas l’origine de sa fortune.

Le maire de Lorgues termine son intervention en précisant  le fait que, selon Maître Nègre, notaire à Montauroux, en charge de la succession, le montant du legs s’élèverait à près de 500 000 francs.*

Conscient du fait que ce dossier nécessitera un suivi rigoureux…et la suite lui donnera vite raison…, le maire constitue une équipe dédiée au sein du conseil municipal. Il manifeste enfin dès cette séance la nécessité d’un témoignage public de reconnaissance pour honorer dignement ce Bienfaiteur de la ville de Lorgues.

Le testament de A.M. Allongue : une œuvre de bienfaisance.

Testament de Antoine Maximin Allongue

Le testament de A. M. Allongue précisait que la commune de Lorgues serait son héritière, qu’elle devrait affecter les sommes perçues au Bureau de Bienfaisance pour aider les pauvres et les nécessiteux. Mais A. M. Allongue  n’avait pas oublié ses domestiques ; il précisait dans le testament de 1893 que le Bureau de Bienfaisance devrait reverser une pension annuelle à son domestique Dovetta et au fils de ce dernier jusqu’à leur décès, il en était de même pour sa dernière domestique Mlle Remy dans son testament de 1900.

Une véritable histoire d’héritage.

Compte rendu Conseil Municipal de Lorgues – Janvier 1900

Le 20 février 1900, après des échanges avec le notaire, le Maire de Lorgues  délègue son adjoint Mr Guirandy à Tourettes pour assister à la levée des scellés sur les biens d’ Allongue car il pourrait y avoir des incidents et la ville de Lorgues, légataire universelle, devra faire face à tous les opposants qui pourraient se présenter. Dès son arrivée, Mr Guirandy constate une irrégularité : le Juge de Paix de Fayence vient de décider par ordonnance la date de levée des scellés à la demande de la dernière domestique d’ Allongue qui n’est pourtant qu’une légataire particulière. Après avoir fait reporter cette ordonnance du Juge, Mr Guirandy prendra l’initiative de visiter la campagne  Allongue accompagné du garde champêtre. Il la trouvera  dans un très mauvais état de culture, mais ne manquera pas de montrer son expertise de viticulteur : vu le nombre de pieds de vigne que j’ai vu, on ne peut guère compter trouver que de trente à cinquante hectolitres de vin dans les caves. Enfin, c’est avec une certaine fierté qu’il annoncera au Conseil Municipal la liste des actions et obligations qu’il a pu copier dans le dossier du greffier : Je crois vous être agréable en vous donnant la nomenclature des titres au porteur trouvés lors de la mise des scellés . Suit une liste impressionnante d’actions et d’obligations qui nous emmène du Canal de Suez vers Rome, le Brésil et la Chine en passant par Paris, Marseille, Grasse et les chemins de fer P.L.M. Ce sont ces actions, ces  investissements financiers de « père de famille » qui constituaient la véritable fortune d’ Allongue.

Début avril, le maire reçoit un dossier du Préfet contenant plusieurs courriers :

Dans le premier courrier, le Préfet demande que le legs soit attribué directement au Bureau de Bienfaisance de Lorgues.

Le second courrier est rédigé par la tante et la cousine germaine du défunt, elles réclament contre les dispositions testamentaires et demandent au légataire : le Bureau de Bienfaisance de Lorgues, légataire universel de délibérer sur l’acceptation du legs

Le troisième courrier provient du Maire de Callian, village où réside Mlle Maxime Allongue cousine du défunt . Il affirme que Mlle Allongue est actuellement sans fortune et…elle s’est fiée verbalement à des coopérations qui lui ont fait défaut et il ajoute que le défunt M.Allongue était fils de folle et qu’il était lui-même depuis longtemps dégénéré.

Le 8 Avril, le conseil municipal de Lorgues discutera longuement de ces courriers, s’étonnant de l’intervention toute personnelle du Maire de Callian lui-même médecin agrégé de la faculté de médecine de Paris et surtout rappellera que les termes du testament désignent sans équivoque non pas le Bureau de Bienfaisance mais bien la Commune de Lorgues comme légataire universelle. Il décide de renvoyer Mr Guirandy à Tourettes et qu’il sera pris des renseignements plus précis sur la situation pécuniaire des opposantes.

Le 20 Mai , Mr Guirandy fera son rapport au conseil municipal et déclarera qu’il a pu constater que la cousine Melle Allongue possédait une fortune qui répondait bien au-delà à ses besoins , qu’elle entretenait avec l’aide de 3 sœurs une école congréganiste et que… visiblement la jalousie n’était pas absente dans le village : « Certains détails qu’ on m’a  donnés  m’ont paru tellement exagérés tout d’abord que j’ai craint de m’être adressé à des ennemis. On se crée, hélas, très facilement des ennemis alors que l’on fait du bien »  Par contre, une amie intime et sincère confirmera que Melle Allongue possédait, entre autre, une superbe maison avec sept fenêtres en façade et jardin attenant, donnait l’hospitalité à trois sœurs institutrices et distribuait chaque année, de ses deniers,  des vêtements aux élèves qui fréquentaient son école.

Concernant le Maire de Callian, ses amis politiques reconnaissaient que dans son courrier, sa bonne foi avait été surprise et qu’il ne fallait l’attribuer qu’à sa bonté naturelle ??

A propos de la tante Mme Vve Lieutaud, née Gras d’ Escragnolles, notre enquêteur, après lecture de la lettre de cette dernière, n’hésite pas à émettre tout d’abord, des doutes sur son auteur : il n’avait pas l’habitude de trouver chez une dame aussi âgée, une écriture aussi ferme. Il conclut même fermement qu’elle ne l’a pas rédigée attendu qu’elle ne sait ni lire ni écrire : dans son acte de mariage de 1822, comme dans un acte de donation de 1890, elle reconnait son incapacité… à signer. En outre, la donation nous apprend que les époux Lieutaud ont partagé entre leurs enfants trente trois immeubles …et qu’ils se sont réservés, leur vie durant la jouissance d’une maison d’habitation, ainsi qu’une pension de mille quatre cent francs réduite au décès du premier mourant à la somme de huit cent francs.

Mr Guirandy termine sa présentation par une boutade : Mme Vve Lieutaud vit à Escragnolles « Connaissez-vous Escragnolles ?  Je suis sûr que les rares parmi vous qui ont traversé ce charmant et frais pays de trois cent cinquante cinq  habitants, situé sur des plateaux dominants les sources de la Siagne à 1642 m d’altitude pensent avec moi qu’il doit être difficile à Mme Vve Lieutaud …de dépenser le montant de sa pension. »

Le Maire conclut la réunion en informant que le Préfet du Var a finalement approuvé les conditions de la succession Allongue à condition que le Bureau de Bienfaisance gère  directement ce legs.

Dans les faits, le Maire reste le gestionnaire du dossier car il est aussi Président de la Commission Administrative du Bureau de Bienfaisance

Dans les mois qui vont suivre, la gestion du dossier va se heurter aux exigences des Banques. Ainsi en réponse à un courrier du maire, le Gérant du Crédit Lyonnais a répondu qu’il ne pouvait se dessaisir des fonds provenant de la succession Allongue qu’après la production d’un …grand nombre de documents

Le  17 Février 1901, le dossier semble enfin débloqué, le Maire et le Bureau de Bienfaisance sont enfin en mesure de gérer les immeubles et les fonds de la succession.

1930 Avenue Allongue
2017 Avenue Allongue

Au cours du Conseil Municipal, le Maire proposera que « pour perpétuer la Mémoire du Bienfaiteur de nos pauvres ; la rue du Bas Cour sera appelée désormais : Avenue Allongue. »

Le 2 Mars 1902,  le Maire confirme que comme prévu dans le testament, les pensions annuelles attribuées aux anciens serviteurs d’ A. M. Allongue : Antoine Dovetta et son fils Antoine Maximin (même prénom que A.M. Allongue ?) ainsi que Mme Marie Auguste Remy ont été prises en charge et régularisées par le Bureau de Bienfaisance.

L’analyse des documents a également montré toute la générosité d’ A.M. Allongue : plus de sept familles de Callian et Escragnolles avaient des dettes envers le défunt. Mr Sarlin propose de surseoir à leur recouvrement et de ne pas engager des poursuites onéreuses qui n’aboutiraient à aucun résultat.

Le 21 Avril, le dossier arrive à sa  conclusion : le résultat de la succession au 31 Mars 1902 est de 154 800 Francs que le Bureau de Bienfaisance distribuera aux pauvres..

Conclusion : C’est ainsi qu’ aujourd’hui une rue de Lorgues porte le nom de Avenue Allongue mais le plus étonnant dans ce dossier c’est que dans les archives de la Mairie de Lorgues, nous n’avons rien trouvé sur l’origine de la fortune d’Antoine Maximin Allongue .Certes certains auteurs comme René Brun, Louis Nardin et Alain Marcel nous ont transmis une piste qui semble passionnante mais nous faisons appel à la mémoire de nos anciens pour la valider et la documenter.

* Combien représentait en 1900 la somme de 500 000 francs ? Pour en avoir une idée, il suffit de noter qu’ à cette même époque, la municipalité de Lorgues offrit la somme de 60 000 francs pour racheter à Lorgues le Couvent des Ursulines et que 1kg de pain coûtait 0,38 franc.

François Lenglet  4/06/2017

Sources: archives de la Ville de Lorgues/ Comptes rendus du Conseil Municipal      Journal Le Figaro du 28/01/1900

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