La bouillabaisse de Théodore de Banville

Théodore de Banville

Fin 1859, l’Empereur Napoléon III envoie l’auteur et poète Théodore de Banville à Nice. Chargé de participer à la propagande qui précède l’annexion de Nice à la France, le poète va écrire des pages toutes vibrantes des émotions qu’il éprouve en découvrant cette région qui ne porte pas encore le nom de Côte d’Azur. Ses articles paraîtront dans Le Moniteur Universel, journal officiel du Second Empire et contribueront ainsi à l’engouement des français pour notre région.

Il va aussi découvrir la gastronomie régionale et nous faire partager son enthousiasme pour la bouillabaisse.

« Je ne puis résister au désir de transcrire ici la recette de ce chef-d’œuvre et d’offrir ainsi à la race future un trésor inappréciable ; d’ailleurs, n’est-ce pas là pour moi un moyen tout trouvé de nager en plein sublime ? Car une bouillabaisse réussie vaut un sonnet sans défaut!

La bouillabaisse

Vous devrez commencer par vous procurer tous les poissons de roche, du saint-pierre, de la rascasse, du merlan, du rouget, des sardines fraîches, de petites anguilles, de petites langoustes. Une fois le poisson lavé, préparé et coupé par morceaux, vous remplissez au tiers une marmite de terre avec d’excellente huile d’olive mélangée d’un quart d’eau. Avec d’excellente huile! Car ici la qualité médiocre serait un crime. Vous mettez le poisson dans l’huile, et vous l’y tournez en agitant la marmite, afin qu’il s’imbibe et prenne bien le goût d’olive. Vous ajoutez tour à tour du sel, du poivre, des quatre épices en grande quantité, du safran, de l’oignon, de l’ail, trois tranches de carottes, trois tranches de pommes de terre, du persil, un brin de céleri, un zeste de citron, un zeste d’orange, du thym et du laurier, toujours en tournant le tout; puis vous installez votre marmite sur un feu bien ardent, et vous laissez bouillir pendant dix minutes, pas plus, pas moins. Transvasez dans une soupière une partie du bouillon, dans lequel vous coupez des tranches de pain: la bouillabaisse est faite; la bouillabaisse, c’est-à-dire un plat aussi supérieur à l’étuvée que l’orange d’or est supérieure  à une pomme verte ! Le poisson doit être servi à part, et sa belle couleur de safran est merveilleusement relevée par le ton des petites langoustes vêtues d’écarlate.

 Maintenant, je veux être sincère, ceci ne peut pas vous en apprendre plus que la Cuisinière bourgeoise ou l’Art poétique ; la recette n’est rien si l’on n’a pas de génie. Mais quel Sésame, ouvre-toi, entre les mains d’un cuisinier inspiré ! Pour moi, qui suis presque un profane en ces matières, je n’ose insister plus longtemps sur l’excellence d’un plat dont les délicates saveurs eussent emporté Brillat-Savarin dans le septième ciel,…. »

Ce passage est d’autant plus étonnant qu’il fut écrit début Avril 1860 sur l’Ile Saint Honorat quelques jours  avant que Théodore de Banville ne dîne avec l’aventurier et gastronome Alexandre Dumas  qui, sur sa goélette L’Emma, traversait la Méditerranée pour apporter des armes à Garibaldi engagé dans la conquête de la Sicile. Nul doute que les deux hommes ont échangé et comparé leurs recettes de bouillabaisse, Th de Banville défendant la recette du patron Rambaldi sur l’Ile Saint Honorat et A Dumas, celle de Mr Roubion, restaurateur à Marseille.

François Lenglet    03/2017

Sources :-« La Mer de Nice » Lettres à un ami de Théodore de Banville éditions Marcel Petit / Culture Provençale et Méridionale / 1999

http://www.dumaspere.com

Annexe : La bouillabaisse d’Alexandre Dumas .

Recette de M. Roubion, restaurateur à Marseille :

Alexandre Dumas prépare la bouillabaisse

Prenez plusieurs qualités de poissons, tels que merlan, grondin, scorpène ou rascasse, turbot, etc., et coupez-les en morceaux.
Préparez un roussi composé d’oignons, d’ail, de persil haché, de tomates, feuille de laurier, écorce d’orange, poivre, épices fines et un ou deux verres d’huile, suivant la force de la bouillabaisse ; faites revenir le tout dans une casserole. Mettez ensuite votre poisson dans cette casserole, ajoutez-y une pincée de sel et autant de safran, mouillez avec de l’eau bouillante de façon à ce que le poisson baigne entièrement et faites bouillir à grand feu la bouillabaisse pendant un quart d’heure, jusqu’à ce qu’elle soit réduite aux trois quarts ; versez le bouillon sur des tranches de pain que vous aurez coupées et mises dans un plat et servez votre poisson à côté sur un autre plat.

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