1860 : L’annexion de Nice à la France et la propagande sous Napoléon III

Vers la démocratie…le suffrage universel

En 1858, Napoléon III accepte une alliance avec le royaume de Piémont-Sardaigne qui fait face à l’empire d’Autriche. L’Autriche ambitionne de s’emparer de tout le nord de l’Italie mais la France veut à tout prix éviter la création d’un état unifié potentiellement dangereux à ses  frontières. L’Empereur réclame en échange de son aide, le duché de Savoie et le comté de Nice, qui constituent deux régions stratégiques importantes sur le plan militaire (entrevue de Plombières).

En avril 1859, l’empire d’Autriche déclare la guerre au royaume de Piémont Sardaigne. Les sardes sont vainqueurs  à Palestro et Montebello et les troupes de Napoléon III l’emportent difficilement en Juin 1859 à Magenta et Solferino. Ces victoires conduisent au traité de Turin signé le 24 mars 1860 qui entérine l’annexion de la Savoie et du comté de Nice à la France, sous réserve de l’adhésion des populations.

 L’Empereur ,soucieux d’éviter tout conflit ouvert et de ramener à sa cause les français ainsi que la population du Comté lance une campagne de propagande et d’intimidation parfaitement orchestrée et , dans une approche démocratique, décide de faire approuver l’annexion lors d’un plébiscite au sein du Comté prévu en Avril 1860.

La presse principale arme de propagande: Trois tendances s’affrontent dans le Comté et la presse totalement libre joue un rôle d’information et d’opinion dans les évènements qui vont précéder le plébiscite.

Un premier journal « Il Nizzardo » rédigé en « nissard » est opposé à l’annexion et défend le maintien du Comté sous la tutelle du royaume de Sardaigne et de sa représentation à Turin.

Un second journal « La Gazette de Nice » se déclare le chantre d’un moyen terme, d’une autonomie du Comté, cette position plaît aux Niçois, et à Cavour, premier ministre du royaume de Piémont-Sardaigne qui rêvera un moment d’une principauté autonome : « tout sauf Nice à la France ».

Enfin, le journal « L’Avenir de Nice » qui depuis 1850 ne cesse de militer pour le rattachement à la France affirme : « Où est situé Nice ? En Provence, Où s’écoulent nos produits ? En France….Où nous font-ils pencher ? Vers la France, notre mère patrie ».

Fin 1859, Napoléon III envoie à Nice des écrivains célèbres et fidèles à sa cause pour s’exprimer et promouvoir le rapprochement entre la France, Nice et sa région. Parmi les écrivains qui vont découvrir Nice à cette occasion, figure l’auteur et poète Théodore de Banville. Dès janvier 1860, ce dernier fera paraître dans L’Avenir de Nice des articles enflammés sur le thème de Nice « ville française » Ces journaux vont s’affronter de façon de plus en plus virulente. Pour tenter de calmer le jeu, le gouvernement sarde interdira aux journaux d’écrire les mots Nice et annexion, « L’Avenir de Nice » continuera à promouvoir le rapprochement avec la France… en remplaçant les mots Nice et annexion par des points de suspension, ce qui fera bien rire les lecteurs, ‘La Gazette de Nice’ obtiendra début mars le support de l’évêque et parviendra à organiser une manifestation qui bien que rassemblant une foule nombreuse, tournera court.

Après le plébiscite favorable à l’annexion, La Gazette de Nice et Il Nizzardo disparaîtront, quand à L’Avenir de Nice il deviendra Le Messager de Nice

.Le théâtre, autre outil de propagande

Une représentation au Grand Théâtre

Le théâtre traditionnel de Nice est le Grand Théâtre où se jouent des opéras italiens de Rossini et Donizetti. Un second théâtre situé à l’extérieur de la ville (emplacement actuel des Galeries Lafayette) : le Théâtre Tiranty est plutôt délaissé par le public. Ce théâtre est occupé fin 1859 par une troupe parisienne accompagnée d’une actrice parisienne célèbre Marie Daubrun , et maîtresse de Banville .

Théâtre Tiranty

La troupe joue des succès parisiens comme Trente ans ou le vie d’un joueur d’Alexandre Dumas. Stimulé par la prose abondante du poète-journaliste Th. de Banville dans L’Avenir de Nice, le public niçois bravant les incommodités d’un chemin raboteux se précipite au Théâtre Tiranty et délaisse le Grand Théâtre.

Forte de ses premiers succès, la troupe n’hésite plus à faire de la propagande ainsi, elle interprète devant 1500 spectateurs le chant « Partant vers la Syrie » écrit en souvenir de l’expédition de Bonaparte en Égypte par la Reine Hortense de Beauharnais mère de Napoléon III. Ce chant est devenu l’hymne quasi officiel du second empire. Puis début mars à la fin d’une représentation, un spectateur lance à l’actrice Marie Daubrun un bouquet contenant un texte anonyme qu’elle déclame aussitôt devant le public:
D’où viens tu souffle pur, prophétique espérance

Qui trouve dans nos cœurs un ineffable accueil

Ô Nice ville heureuse, un écho t’a dit « France »

Et ta campagne blonde a tressailli d’orgueil


Ce texte intitulé « Vœu de Nice » a été écrit par son amant Th. De Banville. Le parti italien réagit violemment, des échauffourées éclatent dans la salle où se trouvent des marins français, le théâtre est menacé de fermeture mais heureusement il n’y aura pas d’incident dramatique.

Fêtes, pression et intimidation jusqu’au plébiscite du 16 Avril 1860

1860 Les Niçois se rendent aux Urnes

La France et le Piémont-Sardaigne n’ont pas l’intention de laisser le plébiscite leur échapper: un vote négatif serait pour l’une et l’autre une catastrophe politique dans le contexte du conflit qui les oppose à l’Autriche. Ils n’hésiteront pas à exercer des pressions et à intimider la population pour obtenir un vote favorable à l’annexion. Le 24 mars, le traité de Turin annonce l’annexion et le plébiscite : « La réunion de Nice et de la Savoie sera effectuée sans nulle contrainte de la volonté des populations » Napoléon III envoie un représentant convaincre les autorités de ses bonnes intentions. Le 1er avril, Victor-Emmanuel II, roi de Piemont-Sardaigne, publie une proclamation aux habitants de la Savoie et de Nice, par laquelle il les délie de leur serment de fidélité envers lui et les invite à participer au plébiscite. Il retire ses troupes du Comté et c’est l’armée impériale qui s’installe le même jour dans une atmosphère de fête. Les maisons sont pavoisées avec des drapeaux français, une buvette est dressée sur la place Masséna pour les soldats français et un arc de triomphe surmonté d’un aigle, symbole de l’Empire mais aussi de la ville de Nice, est élevé à l’entrée du jardin public. Les habitants, y compris les femmes, portent la cocarde française. Des voitures décorées de drapeaux français vont à la rencontre des Bataillons. Par contre, les troupes et les festivités qui les accueillent ne pénètrent pas à l’intérieur de la cité. Les fêtes évitent également le quartier populaire et garibaldien du port. Ses habitants se montrent en effet, dans leur majorité, hostiles au changement de souveraineté. Enfin, les fonctionnaires sardes sont mutés en Piémont-Sardaigne et sont remplacés par des Niçois. Ces évènements vont conduire le 12 avril, le député du Comté Giuseppe Garibaldi, principal artisan de l’unité italienne, à protester devant le parlement de Turin en ces termes : …le gouvernement a cédé à Napoléon III…une telle cession est contraire au droit des peuples…La pression sous laquelle se trouve placé le peuple de Nice, la présence de nombreux agents de police, les flatteries ou les menaces auxquelles se trouvent soumis ces pauvres gens, les pressions exercées par le gouvernement pour favoriser l’union avec la France…l’absence de nombre de nos concitoyens*…la précipitation et la façon dont on requiert le vote de cette population, toutes ces circonstances enlèvent au suffrage universel…son vrai caractère de liberté.

Le jour du vote, la population n’a à sa disposition que des bulletins “oui”. Il est donc bien difficile de voter “non” d’autant qu’il n’y a pas d’isoloir et que les troupes françaises sont présentes. Il n’est pas très étonnant dans ces conditions que le résultat pour la ville de Nice soit sur 6846 votants de 6810 oui et de seulement 11 non.

Le particularisme de Nice: après le plébiscite triomphal jusqu’à aujourd’hui 

Le 14 juin 1860, les troupes impériales françaises entrent dans Nice et on célèbre  l’annexion. Le 23 juin 1860, une loi française crée le Département des Alpes-Maritimes, dont Nice devient le chef-lieu.

Arrivée de Napoléon III et de l’Impératrice sous un arc de triomphe

Les 12 et 13 septembre, la visite de Napoléon III et de l’Impératrice contribue à imprégner les esprits des Niçois du fait qu’ils sont désormais Français. Le Préfet explique alors le sens de cette visite : “leurs majestés, touchées par le mouvement unanime au milieu duquel deux belles provinces sont venues accroître la force de leur empire” souhaitent “cimenter à leur tour, par leur présence, une indissoluble union”.
Dès lors, la ville explose de beauté et de nouvelles richesses : le désenclavement avec le chemin de fer dès1864 puis le réseau routier, le tourisme avec la multiplication du nombre d’hôtels, le prestige avec les séjours de la noblesse européenne comme la reine d’Angleterre et le Tsar de Russie.

Désenclavement de Nice Chemin de fer et Pont du Var
1850 Chemin des anglais

En moins d’un siècle Nice passera de la vingtième à la cinquième place des villes françaises. Mais son particularisme et son âme perdure toujours dans l’arrière-pays et dans les rues du Vieux Nice. Les yeux et le commerce se tournent vers la France mais les références restent encore aujourd’hui celles du journal « Lou Sourgentin » avec des articles soit en nissard, soit en français que les « Niçois de souche » dévorent jusqu’à la dernière ligne, se nourrissant des nouvelles locales.  Comme si chaque descendant des Niçois de 1860 se disait «on les a bien eus, avec notre révolution sans larmes ni guerre »**.

Néanmoins persiste aujourd’hui des associations très actives comme « La Ligue pour la Restauration des Libertés Niçoises » dont le but est de défendre et promouvoir les intérêts économiques, patrimoniaux, historiques, culturels…des habitants de Nice et du Pays de Nice. Son dernier coup d’éclat date d’Avril 2010 à l’Assemblée Nationale: le député Y. Nicolin pose au ministre concerné la question brutale de savoir si le traité de Turin du 24 mars 1860 qui annonce l’annexion de Nice et de la Savoie est bien toujours en vigueur. En effet selon les traités de 1947 mettant fin à la seconde guerre mondiale, la France avait obligation de déclarer ce traité au secrétariat de l’ONU… et il semble qu’elle ne l’a pas fait.

La réponse du ministre: Le ministère des affaires étrangères …a pris, toutes les dispositions utiles pour que le traité de Turin du 24 mars 1860 soit bien enregistré auprès du secrétariat de l’Organisation des Nations Unies .

Chemin de Villefranche

Il semble, en ce début de 2017, que la question posée à l’Assemblée Nationale en 2010 n’ait toujours pas obtenu de réponse précise et …que le sujet n’est guère évoqué dans la presse nationale.

Nous laisserons la conclusion à un défenseur du particularisme niçois*** : « Garibaldi disait: « je ne suis ni Français, ni Italien, je suis Niçois ». Nous disons, aujourd’hui: « Nous sommes Niçois et Européens » »

François Lenglet / Jean Claude Grattarola   Janvier 2017

*le mois d’Avril correspond à la période de la transhumance 

**en oubliant les nombreux morts français des batailles de Magenta et Solferino

***voir http://racinesdupaysnicois.eu

Sources: -« Nice 1860 » d’Alex Benvenuto éditeur Serre 2009

– « La Mer de Nice » Lettres à un ami de Théodore de Banville éditions Marcel Petit / Culture Provençale et Méridionale / 1999

– Internet : http://les-cahiers-de-lannexion.over-blog.net/; https://www.napoleon.org/ ;http://www.paisnissart.com/ ; http://liguenicoise.canalblog.com/

Annexe : Les départements des  Alpes-Maritimes et du  Var et le fleuve Var

 Le traité de Turin de 1860 conserve dans le giron du Piémont les localités de Tende, La Brigue, et de plusieurs hameaux dont Mollières et Morignole parce qu’elles sont des réserves de chasse favorites du roi du Piémont Victor-Emmanuel II (quoi qu’on ait suspecté à cela des objectifs militaires, la nouvelle frontière étant difficilement défendable par la France).

Toutes ces localités finiront par devenir françaises à l’issue de la Seconde Guerre mondiale par le traité de Paris en 1947, dernier ajout majeur au territoire national français et au département des Alpes-Maritimes.

Le département des Alpes Maritimes traversé par le fleuve le Var.

Le 23 juin 1860, une loi française crée le Département des Alpes-Maritimes . Divisé en un arrondissement de Nice et un arrondissement de Puget-Théniers, augmenté de l’arrondissement de Grasse détaché du département du Var, il forme dorénavant le nouveau département des Alpes-Maritimes et Nice devient le chef-lieu de ce nouveau département. Suite  à cette annexion, le fleuve Var qui délimitait la frontière orientale du département du Var se trouve désormais en plein cœur du département des Alpes Maritimes et ne coule plus du tout dans le département qui porte son nom.

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