Christian Musso, le miraculé du tunnel, raconte,

Je suis d’origine italienne, mon grand père Albert Musso, né en 1890 était le fils d’un émigré italien. Après la première guerre, il s’installe à Lorgues et se lance avec succès dans l’activité forestière. On peut aujourd’hui, en 2023, retrouver les traces de son entreprise sur les portes du 22 avenue Allongue à Lorgues.

Au début de la seconde guerre mondiale, Albert Musso, désormais épaulé par mon père René va racheter, sur le chemin de Sainte Anne, les « Domaines de La Courneirède, de la Cabrière et du Pavillon » et se lancer dans les activités agricoles, vinicoles et oléicoles. C’est à La Courneirède que je suis né en 1944.

Christian Musso employé à creuser un tunnel.

Nous voici fin 1961, je me rapproche de mes 18 ans, je suis passionné par le sport, la natation et le parachutisme et peu attiré par les activités forestières et agricoles de la famille.

Pavillon de la Courneirède

J’apprends qu’à  un kilomètre de la Courneirède, toujours sur le chemin de Sainte Anne, au lieu dit « la Cabrière », on est en train de creuser un tunnel.

A la recherche d’une activité, je me rends sur le site. Je vais avoir l’opportunité de croiser le responsable du chantier Jean Prêtre mais surtout un personnage atypique, un vrai « Monsieur » plutôt distrait, toujours dans ses pensées et ses calculs scientifiques: le professeur Yves Rocard. Ce dernier va très vite accepter que je participe au dégagement des pierres qui s’accumulent dans le tunnel. Avide d’explication, il va surtout, me rappeler l’objectif de ce tunnel : « Quand vous allez chez le docteur, il écoute votre cœur et moi, avec mes instruments, j’écoute les battements de la terre ». Le tunnel est donc destiné à recevoir les sismographes du professeur dans un environnement éloigné de tout bruit parasite et dans la roche sur un socle rigide.

Sismographe de Yves Rocard

C’est ainsi que je vais rejoindre les trois ouvriers qui travaillaient dans le tunnel. Notre travail consistait à percer des trous dans la roche pour y déposer des mines et après les avoir fait exploser, à dégager le tunnel des roches détruites.

Le drame,

Nous sommes en Mars 1962, le percement du tunnel qui fait  dix mètres de longueur est bien avancé.

Le 8 mars au soir, je suis invité à Lorgues à faire la fête avec les jeunes lorguais âgés de dix huit ans qui viennent de passer leur conseil de révision avant de faire leur service militaire et qu’à l’époque, on appelle « la Classe 43 ». Le responsable du chantier du tunnel, Jean Prêtre m’autorise à quitter le chantier dès 16 heures.

Je quitte donc tôt la Cabrière avec mon VeloSolex et prends la route de Lorgues pour rejoindre mes futurs camarades du service militaire.

A l’arrivée à Lorgues, je constate que tout le village est en émoi: le peintre Alfred Foucou qui travaillait sur un chantier à proximité du tunnel vient d’arriver à la gendarmerie du village et d’annoncer qu’une explosion a eu lieu dans le tunnel, mais surtout, qu’il a malheureusement constaté que les ouvriers étaient restés à l’intérieur et ont probablement été tués par l’explosion.

En revenant sur le site, une fois les fumées dissipées, nous ne pourrons que confirmer la mort des trois ouvriers.

On va bientôt m’interroger sur les raisons de cette explosion et je ne verrai qu’une seule explication: les collègues avaient pour habitude, une fois les bâtons de dynamite installés, d’allumer la mèche avec leur cigarette et, ce jour là, ils ont allumé la mèche du coté le plus court et n’ont pas eu le temps de sortir avant l’explosion.

J’ai donc échappé à ce malheureux accident et désormais, on me surnommera le « miraculé du tunnel ».

Ce drame du travail a tué Antoine Massa, demeurant à Lorgues, Oharies Mamino,  né à Taradeau, demeurant  à Vidauban et Jean Prêtre de Lorgues également.

Il a  mis non seulement en deuil trois familles très connues et très estimées de la région, mais aussi les trois villages de Lorgues, Taradeau et Vidauban.

Propos recueillis par F Lenglet en 03/202

Ce que le Professeur Rocard ne disait pas….

Le tunnel était bien destiné à accueillir une station sismique très performante. Mais en fait l’objectif principal était la détection des explosions nucléaires. 

La société « Mana Domaine » propriétaire du terrain, était en fait une société écran qui cachait le véritable propriétaire: le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) dont Yves Rocard était un des principaux dirigeants.

Les deux courbes ci-dessous montrent clairement que, en 1961, il était temps d’assurer un contrôle sévère de ces explosions: la population mondiale était menacée par le taux élevé de la radioactivité dans l’atmosphère, et, ce taux était directement lié au nombre d’essais nucléaires, surtout aériens, effectués par certains pays . 

Extrait du journal « République, Le Provencal » du 24 Mars 1962.

Ils creusaient un tunnel près de Lorgues.

Trois ouvriers déchiquetés

par l’explosion des mines qu’ils avaient posées

Draguignan, le 14 Mars 1962,

Dans le courant de la soirée de jeudi, au quartier de la Cabrière, situé à 6 kilomètres de Lorgues, le long de la voie communale qui relie Lorgues à Vidauban et où, depuis quelques semaines, s’ouvrait en plein roc, un tunnel d’une dizaine de mètres, retentissaient 7 coups de mine…

Les voisins des campagnes environnantes n’y prêtaient pas grand cas, les ouvriers plombiers qui travaillaient non loin de là dans une bâtisse en construction ne s’en étonnaient pas davantage…C’est  souvent que dans le tunnel les explosifs éclataient…

A l’entrée de la Cabrière

M Alfred Foucou, peintre en bâtiment, qui travaillait à cette même maison avec son ouvrier M Léon Qheyien, avait décidé depuis plusieurs jours déjà d’aller dire bonjour aux trois ouvriers qui travaillaient à la galerie. Les coups de mine lui remirent en mémoire son projet et c’est donc tout à fait par hasard qu’il descendit, 200 mètres plus loin, sur le chantier.

Le premier témoin du drame nous confie..

« En arrivant dans la clairière, nous déclarait M.Foucou, que nous avons pu joindre, on ne voyait qu’une fumée noire qui sortait de la galerie : poudre et poussière brûlées. Mais, ce qui me troublait, c’est que je ne voyais pas non plus dehors, les trois hommes qui auraient dû s’y trouver. Leurs vêtements   étaient dehors, sur la table se trouvaient les paniers, les bouteilles du déjeuner : ils ne pouvaient donc pas être partis.

Je m’approchais du tunnel et il me semble alors entendre une plainte. C’est alors que M.Pioud, ingénieur qui surveille les travaux, arrivait apportant justement du matériel.

« Vous tombez bien, lui disais je, j’ai l’impression qu’il est arrivé un malheur »,

Torche en main, il découvre les corps.

« Mais, on ne pouvait toujours rien voir, j’envoyais mon ouvrier machiner un sac de plâtre dans la voiture, je m’en faisais une torche et nous entrions dans la galerie…Et là, les uns près des autres, nous trouvions les corps des trois malheureux ouvriers, sans vie.

Je bondissais dans ma voiture, j’allais chercher les gendarmes de Lorgues et M.Menet, un docteur qui se rendirent aussitôt sur les lieux »

Les corps des ouvriers, Antoine Massa, 58 ans, marié, père d’un enfant, demeurant à Lorgues, place Neuve, Oharies Mamino, marié, 41ans, né à Taradeau, demeurant  à Vidauban, Jean Piette, célibataire, 33 ans de Taradeau , tous trois appartenant à l’entreprise Peinet-il- Pretto de Taradeau, ont été transportés dans le courant de la nuit à Lorgues dans une chapelle ardente. Hier matin, ils étaient rendus aux familles.

La galerie était presque terminée.

Depuis plusieurs semaines, les trois ouvriers creusaient une galerie qui devait servir à la Société Parisienne « Mana Domaine » qui a acquis dans le quartier de la Cabrière une importante propriété, à placer des appareils de précision destinés à enregistrer des phénomènes sismologiques.

La société en effet, établit un peu partout en France des stations d’observations comme celle qui doit être aménagée à la ferme Manéous en cours de restauration et où travaillait précisément M.Foucou.

La galerie, taillée en plein roc, et, qui compte actuellement une douzaine de mètres de profondeur était presque achevée, les ouvriers n’en avaient plus que pour une semaine de travail.

Les causes exactes de l’accident encore ignorées.

On se perd en conjectures sur les causes de ce drame du travail, aussi bien les gendarmes de Lorgues, que M. Foucou, que tous ceux qui ont approché les lieux de l’accident. Il n’est guère possible de penser que les ouvriers auraient mal compté le nombre d’explosions et que la dernière les aurait trouvés dans la galerie. Il n’est pas possible en effet d’entrer dans la mine avant que fumée et gaz  délétères  soient évacués. La thèse qui parait la plus vraisemblable, est celle de l’explosion prématurée, car,  d’après les premières constatations, les ouvriers semblaient avoir terminé le travail de bourrage et procédaient à l’allumage des mèches.

Quoi qu’il en soit, ce drame du travail a mis non seulement en deuil trois familles très connues et très estimées de la région, mais aussi dans trois villages Lorgues, Taradeau et Vidauban.

Samedi 14 Mars 1962,

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