En 2021, la France a commémoré le bicentenaire de la mort de Napoléon. En effet, le 5 mai 1821, à Sainte-Hélène, une île perdue au milieu de nulle part, « le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine » s’en est allé.
Sans passer sous silence la légende noire de Napoléon qui souvent à tort, ternit son image, n’oublions pas que Napoléon est l’un des personnages les plus marquants de l’histoire mondiale, n’oublions pas son action civile et militaire, sa gloire, cette épopée durant laquelle la France ne fut jamais aussi grande.
Lorgues comme de nombreuses villes françaises, accueillit avec enthousiasme les premières actions de Napoléon
1801, Premier consul, Napoléon Bonaparte rêve d’un arc de triomphe.
Nous sommes en novembre 1801, soit 2 ans après le coup d’État du 18 Brumaire (9 Novembre 1799). Napoléon, premier consul, vient de mettre fin aux guerres incessantes qui dévastaient l’Europe depuis 1792. La signature des préliminaires de paix entre la France et l’Angleterre est célébrée grandiosement dans de nombreuses villes de France.
Ainsi, à Lorgues, « un temple, érigé à la paix, devait être élevé à la place du Cours, orné de verdure, de devises, d’inscriptions et paré du drapeau national et de ceux des puissances avec lesquelles la paix était faite. A l’entrée du Cours se dressait une porte triomphale garnie de feuillages et de devises… La fête se déroula dans l’enthousiasme aux cris de « Vive la République! Vive Bonaparte! Vive le Gouvernement qui nous a donné la paix ! » Des farandoles, des danses et un feu d’artifice accompagnèrent les réjouissances.
Un dessin de Lecointe, réalisé à la mairie de Laon pour ce même anniversaire, témoigne de l’aura qui entourait Napoléon alors Premier consul dans tout le pays.

Ce dessin, représente Bonaparte posant devant un arc de triomphe sur lequel sont gravés ces mots : « au pacificateur du monde ». Il est coiffé d’une couronne de lauriers qui rappelle ses victoires dont certaines sont inscrites sur les pages d’un livre posé sur un faisceau de licteur(1), symbole de la République française, et une corne d’abondance, la liste des nombreuses victoires militaires : Arcole, Lodi, prise d’Égypte, Marengo, le tout éclairé par le soleil, celui-là même qui brillera à Austerlitz. On distingue à l’arrière-plan un caducée, symbole du commerce et de l’éloquence, un globe terrestre présentant une France agrandie de nouveaux territoires et un rameau d’olivier, symbole de la paix retrouvée. La liberté des mers, la reprise du commerce maritime sont illustrées à l’extrême gauche du dessin. Enfin, il est fait référence aux réformes dont il dote la France afin d’assurer un repos mérité à tous les Français : « il se prive pour nous du repos qu’il nous donne ».
La légende d’un Napoléon passant sous un arc de triomphe est née.
1806, Napoléon décide la construction d’un Arc de Triomphe à Paris.
Napoléon est sacré empereur des français en la cathédrale Notre Dame de Paris le 2 décembre 1804. Au lendemain de la victoire d’Austerlitz (2 décembre 1805), dans sa proclamation à ses soldats, Napoléon écrit : « Je vous ramènerai en France. Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de triomphe ». La promesse sera tenue, la décision officielle de construire cet arc de triomphe, sera prise le 18 février 1806. De nombreuses discussions vont suivre sur l’emplacement du monument puis, sur son architecture.

L’empereur souhaitait voir l’Arc de triomphe à l’emplacement de la Bastille : la forteresse rasée après les évènements de 1789 avait laissé place à un espace informe, irrégulier, mal pavé, sans plan et sans décor. L’arc, placé en travers de l’axe de la rue Saint-Antoine, en face du faubourg dont on rectifierait le tracé pour la circonstance, formerait un point de fixation autour duquel pourrait se développer une opération d’urbanisme.
Chargé de la réalisation du projet, le ministre de l’Intérieur Champagny ne croyait pas dans le projet de la Bastille, car les voies qui y menaient ne se croisaient pas en un même point et certaines d’entre elles, sinueuses, n’offraient pas de perspective. In fine, tel un magicien, il présenta à l’Empereur sa panacée, le carrefour de l’Étoile, accompagnée d’un torrent d’arguments :
« Un arc de triomphe y fermerait, de la manière la plus majestueuse et la plus pittoresque, le superbe point de vue que l’on a du château impérial des Tuileries… Il frapperait d’admiration le voyageur entrant dans Paris… Il imprimerait à celui qui s’éloigne de la capitale un profond souvenir de son incomparable beauté… Quoique éloigné, il serait toujours en face du Triomphateur. Votre Majesté le traverserait en se rendant à la Malmaison, à Saint-Germain, à Saint-Cloud et même à Versailles »
Napoléon émis alors même l’idée de la construction simultanée de deux arcs, tous deux visibles du palais des Tuileries, qui symboliseraient l’un la gloire consulaire, l’autre la gloire impériale. Cette idée n’aboutira pas et finalement, la première pierre de l’Arc de Triomphe sera posée le 15 août de l’année 1806 au carrefour de l’Étoile.
Le projet fut confié à deux architectes Chalgrin et Raymond. Tout de suite, une petite guerre fut déclarée entre les deux architectes. Chalgrin, qui avait pris le parti monumental d’une arche unique afin d’éviter des passages hiérarchisés, avait d’abord songé à un monument orné de colonnes détachées, alors que Raymond préférait des colonnes engagées. L’Empereur finit par décider la suppression complète des colonnes et le 3 mars 1808, au cours d’un Conseil tenu aux Tuileries, l’Empereur décréta « qu’il sera élevé un arc d’une seule porte, à laquelle on donnera trente pieds d’ouverture sur chaque face » Dépassant en monumentalité tous les exemples qui l’avaient précédé (50 m de hauteur), l’Arc de Triomphe de l’Étoile, inspiré de l’arc de Titus à Rome, fut donc conçu dans le but de fermer majestueusement la perspective des Champs-Élysées.
Un an après la pose de la première pierre, les fondations descendaient à plus de six mètres. De gigantesques puits bourrés de pierres constituèrent une assise inébranlable sur cette colline trouée comme une pierre ponce. Mais l’entrepreneur avait des difficultés à trouver de la pierre et des ouvriers acceptant de travailler en pleine campagne.
1810, le mariage de Napoléon avec Marie Louise d’Autriche.
Le 2 Avril 1810, Napoléon épousait Marie-Louise d’Autriche. Il voulut faire de cette cérémonie un évènement fastueux et généreux qui serait célébré dans toute la France.

sous une maquette de l’Arc de Triomphe.
A Paris, les habitants eurent la surprise de voir Napoléon et sa nouvelle épouse Marie-Louise faire leur entrée dans Paris sous l’Arc de Triomphe. Mais en fait, le monument n’était qu’une maquette grandeur nature, faite de charpente en bois et de toile peinte, érigée à la hâte sur les fondations du futur arc
A cette époque, le chantier avançait au ralenti, on ne travaillait que l’été et le monument ne dépassait guère trois mètres. L’architecte Chalgrin avait dû construire cette maquette dans un très court délai, ce qui provoqua des conflits sociaux : les ouvriers ayant profité de l’urgence pour exiger des salaires princiers, le préfet de police finit par les réquisitionner et fit afficher cette proclamation :
« Charpentiers ! Le conseiller d’État, préfet de Police, est indigné de votre conduite. Vous avez abusé des bontés du gouvernement.. ».
A Lorgues, le mariage fut fêté en grande pompe.
L’Empereur ayant décidé de doter 6 000 militaires qui se marieraient en même temps que lui, à Lorgues, deux d’entre eux épousèrent dans ces conditions « deux rosières ». Un concours de poèmes, poésies et chansons se déroula. Les meilleurs furent dotés de prix et exposés en divers endroits : porte de l’Hôtel de Ville, porte du maire, sur les quatre faces de la fontaine de la place des Ormes et sur les côtés de l’arc de triomphe. Tous prônaient la gloire et l’amour de l’Empereur qui semblait combler les espoirs de la population; on pouvait lire sur la face nord de la fontaine:
« Napoléon uni à Marie-Louise d’Autriche
Le Bonheur de la France et la Paix de l’Europe
Assurés à jamais. »
De même sur la face sud:
« Le destin de la Terre est remis en sa main
Sa main a dispersé les foudres de la guerre
Et conduit par la Gloire au temple de l’hymen
Il jure sur l’autel le Bonheur de la Terre. »
Tous les autres poèmes étaient de la même veine ainsi que les chansons de circonstance.
De 1810 à 1830 un chantier chaotique.
A partir de 1811, le chantier devient chaotique avec la mort de l’architecte Chalgrin et le désintérêt de Napoléon lui-même, pour le projet.

En 1815, à la chute de l’Empire, la construction arrive à hauteur des voûtes (19,54 m). L’invasion de la France arrête tout, et les troupes alliées bivouaquèrent autour de l’arc détruisirent galandages et hangars pour se chauffer. Le chantier est abandonné et il faudra attendre 1824 pour que l’on envisage la reprise des travaux.
Le jeune Victor Hugo, à cette époque, plutôt monarchiste, écrira :
« Lève-toi jusqu’aux cieux, portique de victoire
Pour que le géant de notre gloire
Puisse passer sans se courber! »
Il fait alors allusion au Duc d’Angoulême, neveu de Louis XVIII, qui vient de mener une expédition en Espagne afin de rétablir le roi Ferdinand VII sur le trône.

Finalement en 1830, Louis Philippe devenu roi de France relancera les travaux et soucieux de réconcilier les français avec leur histoire, consacrera l’Arc non seulement à la seule Grande Armée, mais à toutes les campagnes françaises de 1792 à 1815. On retrouve donc Napoléon dans deux des quatre grands haut-reliefs qui évoquent quatre dates, correspondants à un moment de consensus national : la République (Départ des volontaires), l’Empire (le Triomphe de 1810 et la Résistance) et la Restauration (la Paix).
L’Arc de triomphe est achevé en 1836, il doit être inauguré le vendredi 29 juillet 1836, date anniversaire de l’avènement de Louis-Philippe en 1830. Une parade militaire, en grande pompe, et en présence du monarque, est prévue mais Louis-Philippe annule finalement le défilé, inquiet pour sa sécurité car il a été victime d’une tentative d’attentat, un mois avant. Le roi se contente d’organiser un banquet pour ses 300 invités.
Napoléon ne verra donc jamais son Arc de Triomphe terminé et le monument recevra sa consécration officielle le 15 décembre 1840 quand le char funèbre ramenant le corps de Napoléon, passera sous sa voûte.

L’Arc de Triomphe aujourd’hui.
Depuis 1923, l’Arc de Triomphe est consacré au souvenir des soldats morts au combat pour la patrie. Le 28 janvier 1921, il a accueilli la dépouille du Soldat inconnu, tué lors de la Première Guerre mondiale, puis la « flamme du souvenir » qui a été allumée pour la première fois, le 11 novembre 1923 par le ministre de la guerre André Maginot.
Le dernier avatar de l’Arc de Triomphe est né en 1961 dans la tête de Christo, un jeune artiste bulgare, qui avait réussi à fuir son pays sous le régime communiste. Débarqué à Paris en 1958, il s’installe dans une chambre de bonne, proche de l’Étoile. C’est là qu’il rencontre sa future épouse Jeanne-Claude avec qui il commence dès 1961 à imaginer et créer des œuvres pour l’espace public. L’empaquetage de l’Arc de Triomphe apparait déjà sur un photomontage de 1962 et un collage de 1988. Puis le couple s’installe à New York où il devient mondialement célèbre.
En 2020, une exposition « Christo et Jeanne-Claude» est organisée à Paris au Centre Pompidou. Le directeur de l’institution soumet à Christo l’idée d’intervenir dans Paris, la possibilité d’un nouvel empaquetage a réveillé un rêve enfoui. Encore restait-il à convaincre les autorités.
Finalement, ce n’est qu’après la mort de Christo survenue en mai 2020, que sera réalisé l’empaquetage de l’Arc de Triomphe en septembre et octobre 2021. Christo ne verra jamais le plus national des monuments français, frémir sous son voile bleu argenté, ceinturé de cordes écarlates qu’il décrivait dès 1961 par ces mots : « Ce sera comme un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle. Les gens auront envie de toucher l’Arc de triomphe. »

photo Philippe Jourdan
François Lenglet Octobre 2021
Nota: 1-faisceau de licteur : assemblage de branches longues et fines liées autour d’une hache par des lanières. Des branches de chêne et d’olivier entourent le motif. Le chêne symbolise la justice, l’olivier la paix.
Le faisceau de licteur est un emblème très souvent utilisé pour représenter la République française.
Sources:
Napoléon: Encore et Toujours ! dans La Gazette, le 01/10/2021
La curieuse histoire de l’Arc de triomphe, par Georges POISSON
Lorgues Cité franche de Provence, par Louis Nardin, Novembre 1972
Les dessous de l’empaquetage de l’Arc de triomphe, dernier projet emballant de Christo et Jeanne-Claude , par Emmanuelle Chardonnet, Le Monde 17/09/2021
Bel article, très complet. Qui sait si parmi les parigots de Bertry, certains de nos ancêtres n’ont pas mis la main à la truelle.
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