Nous sommes en 1964, élève au Lycée de Garçons de Douai, au cœur du pays minier et le bac en poche, je rentre en classe préparatoire aux concours des grandes écoles d’ingénieurs, que l’on appelle la taupe. La taupe est encore pleine de traditions, avec son calot, son vocabulaire spécifique, son bizutage, bien que l’on commence à parler d’interdiction du bizuthage… jugé trop humiliant.
1964 : une histoire de pantalon
Je vais vivre un épisode plutôt cocasse et qui ne peut que faire sourire aujourd’hui. C’était une époque où les filles entraient en petit nombre en taupe. Un véritable évènement dans un lycée réservé aux garçons jusqu’au bac….

Le premier jour de la rentrée, le Proviseur est posté à l’entrée de l’établissement. J’arrive au Lycée, en même temps qu’une fille, très probablement une future camarade de classe.
Or, le Proviseur arrête ma future camarade et je la vois faire demi-tour et repartir chez elle. Elle ratera la première heure de cours et profitera d’une récréation pour rentrer en classe. Je l’aborde discrètement, lui raconte ce que j’ai observé à son arrivée et elle m’explique avec un large sourire qu’elle s’était vu refuser l’entrée du Lycée parce qu’elle était en pantalon et que seules les jupes étaient autorisées pour les filles. Durant toute l’année scolaire, nous ne verrons pas de filles en pantalon comme le montre notre photo de classe.
Mais le Proviseur avait-il vraiment le droit d’interdire le pantalon?

La réponse est oui, car une ordonnance de la Préfecture de Police de Paris du 16 brumaire an IX (7novembre 1800) était toujours en vigueur: « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé ». Cette ordonnance avait certes été complétée vers 1900 par deux circulaires : « les femmes qui tiendraient à la main le guidon de leur bicyclette ou les rênes d’un cheval auront le droit de porter le pantalon » mais ceci ne changeait rien pour notre camarade de classe.
Quatre ans plus tard, les évènements de Mai 68 vont permettre de lever bien des tabous dans la société de l’époque: libération des mœurs, révolution sexuelle, émancipation des femmes qui … vont se donner le droit de porter le pantalon et notre Proviseur sera bien obligé d’ « oublier » son ordonnance de 1800 .
Retour en arrière, en 1954 : une histoire de blouse.
C’est une autre photo de classe qui va nous permettre de mesurer l’évolution des traditions et des comportements. Nous sommes dans le même lycée de garçons et dans la même classe : mon frère ainé vient de rentrer en taupe.

Que constate-t-on ? Tous les élèves portent la blouse, la blouse grise semble de rigueur, à l’exception notable de mon frère qui porte une belle blouse blanche mais pour qu’elle raison?
En effet, en 1954, le port de la blouse est toujours obligatoire : la blouse ou l’uniforme ont depuis toujours été utilisés pour symboliser un lien d’appartenance. Ils permettent de gommer symboliquement les différences sociales, ethniques et religieuses, et de marquer aussi un lieu différent de celui de l’espace privé.
La blouse permet de donner un sentiment d’ordre et de discipline adapté à l’apprentissage du savoir.
Une autre raison justifie encore à l’époque le port de la blouse: rares sont les maisons qui disposent d’une machine à laver le linge et la blouse a le mérite de protéger et de limiter l’usure des vêtements et le nombre de lavages.
Une dernière remarque à propos de cette photo : en 1954, la classe de taupe accueille une seule fille habillée avec une jupe longue et bien sûr la blouse.
Cette unique fille est bien courageuse car à l’époque, la tradition veut que la femme se consacre à sa maison et à sa famille et non au métier d’ingénieur, mais là aussi la révolution est en marche puisque en 1964, la taupe accueillera 11 filles.
2020: une histoire de crop top.
Le 21 septembre 2020, notre ministre de l’Education, Jean Michel Blanquer invite les collégiens et les lycéens à se vêtir de « façon républicaine » Il semble bien que le tee-shirt court ne correspond pas aux critères requis

S’agit-il du retour de la République laïque qui semble ne pas avoir abandonné le pouvoir de normer et de réguler ? Après le refus du pantalon, jusque dans les années 1960-1970, l ’école laïque veut maintenant refuser aux filles le droit de porter une veste « trop courte » qui laisse apparaître une bande de peau de 3 centimètres entre le haut et le jean et surtout laisse apparaître le nombril.
Nous ne prendrons pas de position dans ce débat.
Par contre nous ne manquerons pas d’affirmer que l’expression « crop top » dont la traduction littérale est « haut court » ne signifie pas grand-chose pour la plupart des français et que nous lui préférerons de beaucoup la traduction canadienne qui ,elle,ne manque pas de saveur: « chandail bedaine» qui, au passage, dans le nord de la France est transformée en « chandail boudinette ».

Enfin, si les « crop tops » sont courts, leur histoire est longue. De fait, on considère généralement que les premiers modèles modernes, semblables à ceux que nous connaissons, furent publiquement arborés en 1893 par les membres de Little Egypt , un groupe de trois danseuses du ventre d’origine égyptienne, lors d’une grande foire à Chicago. Trois ans plus tard, Thomas Edison les immortalisera dans ce qui constitue l’un des tout premiers films de l’histoire du cinéma. On y distingue des mouvements de bassin chaloupés et des nombrils découverts, le tout sur fond de musique égyptienne.
Voilà une histoire qui ne manquera pas d’éveiller la curiosité des élèves du Lycée Thomas Edison de Lorgues.
François Lenglet, Lorgues 11/2020
Bonjour François-Marie,
Je découvre ton blog avec beaucoup, beaucoup d’émotion.
En particulier pour tout ce qui a trait à ton père, qui fut mon professeur de maths.
Collège Moderne puis Lycée de Douai.
Quand j’étais dans les « petites classes » de 4ème ou 3ème, c’était le professeur que nous avions peur d’avoir un jour parce qu’il avait une réputation d’excellence certes mais surtout d’extrême sévérité. Et l’aspect austère de son visage quand il arrivait au bahut confirmait nos craintes ! Et puis nous l’avons eu comme prof en Seconde et nos craintes se sont dissipées, à condition de filer droit et de bosser.
Je tente de te faire parvenir cette première réaction… je poursuivrai avec plaisir si cela te parvient. Je suis plutôt novice en réseaux sociaux
Denis Dumont
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Denis pour tes commentaires. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai lu ces souvenirs si lointains. Peux tu me préciser la période où tu as été élève de mon père? (peut-être as tu connu mon frère Paul qui était également au Lycée de Douai juste après la guerre jusqu’en 1956). Je viens de valider ta demande sur Facebook . A bientôt
J’aimeJ’aime
Que de souvenirs vous évoquez dans cet article …. j’ai fait mes études à Nantes, mais c’était pareil … le lycée de jeunes filles n’acceptait que les jupes et à la fin , le pantalon… mais sous la jupe….. et évidemment toujours là blouse, crème une semaine, rosatre la semaine suivante… et pas intérêt de se tromper !!!!
J’aimeJ’aime