
La station sismique de Lorgues initialement destinée à la détection des explosions nucléaires est gérée dès 1961 par les spécialistes du Laboratoire de détection et de géophysique (LDG) mis en place par le Professeur Rocard au sein du CEA à Bruyères le Châtel.(1)
En suivant l’histoire de ce laboratoire, nous pouvons mesurer les avancées technologiques spectaculaires réalisées, depuis cette époque, en particulier dans le domaine des communications. Nous pouvons également mieux comprendre l’évolution des relations internationales depuis la fin de la guerre froide, et, évaluer l’importance aujourd’hui du risque de prolifération nucléaire.
Les avancées technologiques dans le domaine de la détection des explosions nucléaires.
Dès sa mise en service, le sismographe de Lorgues est performant grâce à l’utilisation de l’électronique, et surtout, grâce à son intégration dans un réseau d’appareils identiques placés dans différentes régions de France. Il bénéficiera de toutes les évolutions des technologies de transmission et de gestion de l’information (voir annexe). En effet, Y Rocard a montré dès 1959 qu’une bonne répartition sur le territoire de sismographes ainsi que la transmission et la centralisation des relevés pris au même instant, permet une meilleure détection et une plus grande compréhension des phénomènes sismiques.

Le LDG (Laboratoire de détection et de géophysique) mettra en place de 1960 à 1997 en France et en Polynésie (zone stratégique à l’époque des essais des bombes nucléaires) une quarantaine d’implantations permanentes de sismographes et de micro-barographes réparties sur l’ensemble du territoire.
En parallèle, il poursuivra le développement de différentes méthodes de détection capables de reconnaître tout type d’explosion nucléaire d’une puissance supérieure à 1 kilotonne . Le développement de tels équipements s’intègre parfaitement dans la stratégie militaire de renseignement voire d’espionnage dont la France a besoin pour crédibiliser sa politique de dissuasion nucléaire. Citons par exemple, la connaissance des phénomènes hydroacoustiques : la mise en place sur des points stratégiques des détecteurs associés (hydrophones) et l’accès à l’information en temps réel est indispensable pour assurer la maîtrise de la force de frappe « sous marins nucléaires ».
Enfin, en 1996, après 2400 essais nucléaires dont 520 dans l’atmosphère , le LDG dispose d’une base de données qui lui permet de modéliser avec précision les différents types d’essais et de distinguer entre un essai nucléaire et un tremblement de terre naturel.

Le Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE) et l’implication du LDG.
En 1970, entre en vigueur au niveau international le Traité de non prolifération nucléaire(TNP), il est signé par 198 pays. C’est aujourd’hui le seul traité ratifié qui engage l’ensemble des pays de la planète.
Il faut ensuite attendre 1992 pour qu’une Conférence sur le désarmement nucléaire se réunisse à nouveau à Genève. C’est l’équipe du LDG qui, comme son fondateur Y Rocard en 1958, représente la France au niveau des experts. Les discussions aboutissent en 1996 au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) qui est proposé à la signature de 190 pays. Ce traité prévoit :
-chaque état s’interdit d’effectuer tout type d’essais de l’arme nucléaire, d’en provoquer ou d’en encourager l’exécution.
– la mise en place de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaire(OTICE).
Cette organisation, chargée de vérifier le respect du traité, disposera d’un réseau planétaire de détection des essais éventuels. Le réseau devra être en mesure de détecter et de localiser tout type d’explosion nucléaire d’une puissance supérieure à 1 kilotonne (pour mémoire : Hiroshima = 15kT).

C’est essentiellement sur ce volet qu’intervient le LDG : la négociation aboutit à la création d’un réseau international de 321 stations faisant appel à différentes méthodes de détection (4), les signaux détectés sont transmis par satellite à des Centres Nationaux de Données qui se chargent de retransmettre au Centre International de Données (CID) situé à Vienne. Ce dernier met à disposition les données de l’explosion enregistrée à tous les pays ainsi qu’à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique(AIEA) qui peut être mandatée par l’ONU pour inspecter les pays et sites incriminés.
En 1996, le LDG est chargé de mettre à niveau ou d’installer 40 stations utilisant les différentes technologies de détection : 16 stations sont installées essentiellement dans les territoires d’outre mer, les autres dans des pays partenaires l’Indonésie, la Bolivie, la Mongolie, le Népal, la Côte d’Ivoire … elles assurent à elles seules une couverture géographique pratiquement planétaire , le laboratoire de Bruyère le Châtel est reconnu comme un des laboratoires pilote de l’OTICE. En France métropolitaine, une seule station sismique est intégrée au dispositif (station primaire), les autres stations sont utilisées comme stations secondaires, c’est-à-dire qu’elles ne sont interrogées que, à posteriori, pour affiner les informations recueillies après un événement spécifique. Le dispositif de surveillance en cours de mise au point est testé au niveau mondial avec succès pendant un an en 1995 et le Centre International de Données (CID) est mis en place en 1997. A la fin de 2013, plus de 80% des stations prévues sont opérationnelles.
La ratification difficile du Traité d’Interdiction complète des Essais Nucléaires(TICE).
En 1990, la Russie a interrompu tout essai, elle est suivie par les USA en 1992.La France, de son coté, souhaitant disposer d’un armement nucléaire fiable et crédible, procède, malgré les protestations internationales, à ses derniers essais nucléaires jusqu’en 1996 et démantèle ses installations sur l’archipel de Mururoa
En parallèle, les négociations sur le traité qui interdit les explosions nucléaires(TICE) continuent.
En 1996, le Traité TICE est validé et présenté à la signature de 190 pays .Il est signé par 182 d’entre eux. Le texte du traité prévoit qu’il ne pourra être appliqué que quand les 44 états clés-disposant de la technologie nucléaire- l’auront ratifié. Ainsi la France le ratifie en 1998.
Hélas, certains pays tardent à le ratifier et d’autres ne se sentent pas liés par ce traité : en 1996, la Corée du Nord effectue ses premiers essais nucléaires, elle est suivie en 1998, par l’Inde puis le Pakistan, qui dans un climat de grande rivalité, annoncent successivement la réalisation chacun de 5 essais. Lors de chaque essai le système de surveillance internationale déjoue la désinformation: confirmation de la puissance de la première bombe Nord Coréenne(1kT), preuve que l’Inde n’a effectué en réalité qu’un essai et le Pakistan deux.
Fin 2013, la prolifération de l’arme nucléaire est-elle stoppée ?.
Quinze ans après sa signature, fin 2013, le traité TICE n’est toujours pas appliqué: seuls 37 états clés sur 44 l’on ratifié.
Les Etats-Unis, la Chine ou encore l’Iran manquent toujours à l’appel. Et surtout, la Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan ne l’ont même pas encore signé.
La Corée du Nord a réalisé de nouveaux essais en 2012 malgré les sanctions économiques.
L’Iran joue au chat et à la souris en utilisant une des failles du traité TNP de 1970: ce traité autorise l’enrichissement de l’uranium à des fins civiles …c’est comme cela que l’Iran disposerait désormais de plus de 19 000 centrifugeuses destinées à enrichir l’uranium…
On peut également se demander ce que sont devenues les tonnes de plutonium provenant du démantèlement partiel des armements nucléaires fabriqués par les USA et la Russie pendant la guerre froide.
Nous devons reconnaître, fin 2013, que la prolifération de l’arme nucléaire est loin d’être stoppée Pouvons-nous garder l’espoir de voir un jour le traité TICE ratifié ?
En 2012, l’Indonésie ratifie le traité ; l’ONU en profite pour relancer le processus de ratification…sans véritable succès
Concernant les USA: en 2009, Barak Obama, futur prix Nobel de la paix, prévoit dans son programme électoral la ratification du Traité TICE; fin 2013, les USA ne l’ont toujours pas ratifié.
Concernant l’Iran: en septembre 2013, l’Iran, considéré comme un « pays voyou», obtient par la voie de son nouveau président Rohani pour la première fois depuis 1979 un contact direct par téléphone avec le Président Américain pourtant désigné comme le « Grand Satan »par les Iraniens. Si le simple coup de fil semble courtois et constructif, il déchaîne des réactions violentes comme celles du premier ministre israélien qui, à la tribune de l’ONU, n’hésite pas à décrire le nouveau président Iranien comme « un loup dissimulé sous une peau de mouton… »
Conclusion:
Pour conclure sur ce dossier nucléaire : deux citations :
-Ban Ki-Moon en 2012, après la ratification par l’Indonésie : « Il n’en reste plus que huit…N’attendez pas que les autres fassent le premier pas. Prenez l’initiative »
-Le général de Gaulle : plutôt sceptique, il disait « un concile avait bien condamné l’arbalète, mais sans résultat …»
Victime des progrès technologiques réalisés sur la sensibilité des sismographes, située dans une zone de faible sismicité, la station sismique de Lorgues a été désactivée en 2001 mais la saga du Laboratoire de détection et de géophysique (LDG) continue, il assure désormais, outre sa mission de surveillance des essais nucléaires, des missions scientifiques et de surveillance des séismes naturels et des tsunamis que nous verrons dans un prochain article.
François Lenglet le 10/10/2013
article paru dans le journal »Vivre à Lorgues « en Octobre 2013.
1- voir Vivre à Lorgues n°117 et 118
Référence:
Revue « CHOCS »: revue scientifique de la Direction des applications militaires(CEA) n°17 de 11/97
Observatoire des armes nucléaires françaises Cahier N°7 de 10/2007
Sites internet : http://www.ctbto.org
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