
« Il était un inlassable déchiffreur d’idées qu’il aimait puiser loin des cercles de pensée convenus » c’est ainsi que le journaliste Eric Fottorino décrit Michel Rocard qui vient de nous quitter début juillet 2016. En effet, celui que l’on comparait à Tintin dans les années 60, savait entrainer son environnement dans une histoire à tiroirs dont il tirait un fil puis un autre puis encore un autre, il nous a ainsi emmené de la naissance de la social démocratie à l’aventure des pôles à la fin de sa vie. Passionné par les terres australes et boréales, il a été nommé à près de quatre-vingt ans ambassadeur des pôles par la France. Il a tenu à « voir sur place » et des amis Lorguais en croisière dans l’antarctique l’ont même vu malgré son âge marcher sur les glaciers du pôle sud.

Cette volonté d’aller toujours de l’avant, de déchiffrer, Michel Rocard l’avait héritée sans conteste de son père Yves qui, scientifique réputé, avait, à la fin de la seconde guerre mondiale, été nommé directeur à l’École Normale Supérieure. Yves Rocard avait alors fortement contribué à la réorganisation de la recherche scientifique en France, participé à la conception de la bombe atomique, mis en place un réseau de sismographes capables de détecter et localiser toute explosion nucléaire puis, sur cette base, il avait fait faire un bon de géant à la sismologie.
Nous avons consacré dans VAL plusieurs articles à Yves Rocard que nous avons transmis début 2014 à son fils Michel.Ce dernier nous avait gentiment remerciés .Voici quelques éléments de sa réponse « J’ai pris plaisir à lire vos différents articles sur mon père Yves…. J’ai moi-même un jour fait un petit discours lors de « la journée en hommage à Yves Rocard » tenue à l’École Normale Supérieure le 7 Octobre 1992 en présence de ses anciens collègues, de ses anciens collaborateurs et élèves…, le texte de ce discours figure dans le Bulletin des Amis de l’École Normale Supérieure n°190 ci-joint… »

Voici ce que dit Michel Rocard en octobre 1992 à propos de son père Yves, décédé quelques mois auparavant : il évoque ici un épisode digne d’un roman d’espionnage qui s’est déroulé aux Arcs sur Argens.
« Néanmoins, le passé occupait peu de place dans ses réflexions ou ses attitudes. Il (Yves Rocard) était de manière absolument constante toujours sur le front de la conquête de nouveaux pans de savoir.
De cette permanente orientation de son esprit vers la découverte nouvelle je veux donner un savoureux exemple familial et dire le dernier combat. Je ne saurai dater exactement l’exemple familial. Nous devons être à l’été1983 ou 1984. Papa est en retraite depuis plus de dix ans, il approche des 80 ans, je suis ministre en exercice, donc à l’emploi du temps un peu chargé. Nous convenons néanmoins que j’irai avec femme et enfants passer deux jours en sa compagnie dans une résidence qu’il avait aux Arcs en Provence et que je ne connaissais pas encore. Il y avait fort longtemps que je ne l’avais pas vu pour plus d’un repas, dans une atmosphère de vrai calme, et je me réjouissais de ces retrouvailles. Nous arrivons en voiture, nous entrons, il commence par nous faire attendre un long moment, ce qui était tout a fait inhabituel chez lui. Puis il entre dans la grande pièce, très affairé, et m’explique que je n’ai qu’à m’installer et prendre mes aises, mais qu’on se verra peu parce qu’il a beaucoup de travail. A quatre-vingts ans ?.
Je découvre avec une stupeur amusée qu’une campagne de tirs de bombes atomiques est en cours à Mururoa et que mon père est lancé dans des travaux importants sur la détermination de la composition du noyau terrestre à partir des perturbations et surtout des inflexions de trajectoire que subissent les ondes qui le traversent, que dans ces conditions il est essentiel de faire des mesures précises aux antipodes exacts du tir et dans un cercle relativement large ayant l’antipode pour centre, pour ce faire il a réussi à mobiliser trois ou quatre jeunes chercheurs du CEA* pour l’aider à effectuer ces mesures, et que la maison bruit de l’activité de cette équipe vérifiant un matériel sophistiqué emprunté dans des conditions administratives peu claires à divers laboratoires complices. Mais surtout, la zone la plus intéressante était dans le nord de l’Italie, et le gouvernement italien, saisi dans les délais utiles, s’était trouvé incapable, sans doute pour cause de coordination, de donner à temps les autorisations nécessaires, et voila ce noble vieillard entouré de quelques jeunes admirateurs, en train de monter une expédition clandestine, avec franchissement irrégulier de frontière pour du matériel ultrasensible. J’ hésitai entre les grandes manœuvres de boy-scout et les entreprises ténébreuses de nos services spéciaux. Je me suis laisse dire ensuite que le coup avait été réussi et les mesures parfaitement probantes. En tout cas, je n’ai à l’époque rien raconté au ministre en charge de la douane ni à celui de la recherche scientifique. Il va de soi que la publication ultérieure de ces travaux fut parfaitement roborative et que rien n’y laisse soupçonner l’infernal bricolage qui présida aux dits travaux. »
Si Yves Rocard s’est toute sa vie engagé dans la recherche scientifique, son fils Michel, à son grand désespoir, s’est détourné de la science pour se consacrer à la société et à la politique.Mais à travers les épisodes que nous venons d’évoquer, nous avons la conviction que tous les deux, le père comme le fils avaient, jusqu’à leur dernier souffle, la passion, le sens de la conquête et de la découverte.
François Lenglet 07/2016
* CEA: Commissariat à l’Énergie Atomique Sources:– journal « Le 1 » N°114 Juillet 2016.
-Bulletin N°190,Décembre 1992: Société des Amis de l’École Normale Supérieure
Annexe : le noyau terrestre dimension et composition de la graine.
Quelles étaient donc les recherches qu’effectuaient Yves Rocard et ses jeunes chercheurs du CEA en 1983?
A la fin des années 1970, les scientifiques avaient la conviction que le noyau de la terre était solide et l’avait baptisé « la graine ». Il restait à en déterminer le diamètre avec précision. De son coté, Yves Rocard, fort de l’expérience acquise en sismologie par ses anciennes équipes du CEA*, les avait poussées à étudier la structure interne de la terre en étudiant la propagation des ondes sismiques lors d’un tremblement de terre.

L’essai nucléaire de Mururoa constituait donc une véritable aubaine pour effectuer des mesures précises de l’onde sismique émise d’un endroit connu à un instant précis et permettrait de préciser les dimensions de la graine.

Les premières estimations des dimensions de la graine datent de 1981 : le modèle PREM établi à partir de la mesure de la déviation d’ondes sismiques lui attribue un rayon de 1220km, c’est cette dimension que confirmèrent quelques années plus tard Yves Rocard et ses équipes lors des essais organisés à partir de sa résidence des Arcs sur Argens.
Quand au CEA, il reste toujours parmi les pionniers dans l’étude de la terre. C’est ainsi que en 2013, ses équipes avec l’aide du Synchrotron de Grenoble et le CNRS ont réussi à simuler les conditions de température et de pression qui règnent au centre de la terre, au sein de la graine.
La graine est composée essentiellement de fer et de nickel, la pression est de 3,3 millions d’atmosphères (pour mémoire, la pression atmosphérique au niveau de la mer est de 1 atmosphère). A ce niveau de pression, le fer rentre en fusion à une température de 6000 °C. Un résultat qui a permis aux scientifiques de démontrer avec une précision inégalée que la température du noyau terrestre était comprise entre 3 800°C et 5500°C, selon la zone du noyau considérée.
C’est vraiment l’enfer.
Source : Revue du CEA d’Avril 2013 « Des chercheurs déterminent la température du noyau terrestre avec une précision inégalée »
Dans un article d’Avril 2013 intitulé:« Des chercheurs déterminent la température du noyau terrestre avec une précision inégalée »paru dans la revue du CEA; on précise les caractéristiques de « la graine »
Composée essentiellement de fer, la pression est de 3,3 millions d’atmosphères.A ce niveau de pression,le fer rentre en fusion à une température de 6000 °C. Un résultat qui a permis aux scientifiques de déduire que la température du noyau terrestre était comprise entre 3 800°C et 5500°C, selon la zone du noyau terrestre.
C’est vraiment l’enfer.
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