Claude Bergogne nous raconte l’histoire de son père qui pendant la seconde guerre mondiale participa au débarquement de Provence en aout 1944:
» Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, alors que le commandement allemand se met en alerte, les Alliés procèdent à diverses opérations pour préparer le débarquement des forces alliés en Provence. Différentes forces spéciales entrent en action.
Une de ces actions positionnée à l’est, la Force « ROSIE », est confiée au groupe naval de Corse. Il doit empêcher l’envoi de renfort allemand depuis Cannes dans la zone Saint-Raphaël – Fréjus, où la 36e Division Américaine doit prendre pied quelques heures plus tard.

Parmi les 67 fusiliers marins du groupe naval d’assaut français de Corse qui vont se lancer à l’assaut de la pointe de l’Esquillon, entre le Trayas et Théoule, figure un ancien habitant Arcois. Il s’agit de mon père Justin Bergogne né le 26 octobre 1920 à Marseille.
Mon père s’engage comme volontaire pour faire partie des commandos qui vont composer le groupe naval d’assaut de Corse (G.N.A.C.) en novembre 1943

Justin Bergogne en haut à droite, mains derrière le dos
Comme ses compagnons d’arme, Justin Bergogne s’est spécialisé dans la mise en œuvre de canots pneumatiques ( les rubber boats )pour effectuer des coups de mains rapides ou des opérations de renseignement sur les côtes italiennes.
Les 67 hommes du groupe d’assaut naval de Corse ont été formés pour assurer une des missions les plus périlleuses du débarquement.
Le 15 aout, vers une heure du matin, le Capitaine de Frégate SERIOT part reconnaître la zone de débarquement avec son radeau électrique, puis il donne le signal OK avec une lampe verte, puis rouge. Une vedette rapide anglaise du type PT ( Patrol Torpédo boat ) dépose les 67 hommes à 1 800m de la côte qu’ils doivent rejoindre à la rame, les visages maquillés de noir, entassés à 9 ou dix dans leurs radeaux en caoutchouc.

Partagés en deux groupes: – 42 sous les ordres du Capitaine de Corvette Marche et – 25 commandés par le Lieutenant de Vaisseau Letonturier, ils vont devoir escalader les roches rouges qui bordent la mer avant de pouvoir passer à travers la ligne de défense allemande, constituée par les volontaires Russes de l’Ost Bataillon 661. Ils ont pour objectif de couper la route de la corniche et la RN7 distante de 5 km afin que des renforts allemands ne puissent rejoindre Fréjus ou Saint-Raphaël où les américains vont débarquer dans quelques heures. Chaque homme du commando porte une mitraillette Thompson ou Sten familièrement appelée Tommygun et son lot de munitions, ainsi qu’une bonne trentaine de kilos de mélinite, un explosif puissant permettant de faite sauter les ponts ou de creuser des tranchées en travers des routes.
Lorsqu’à 2h00 du matin, ils posent le pied sur la côte, la surprise est totale. Dans la nuit noire, ils viennent d’accoster sur une minuscule plage mais la zone qui les sépare de la route avait été minée les jours précédents et n’avait pas été signalée. En quelques minutes, plus de la moitié des hommes du commando est anéantie. Les corps, déchiquetés par les mines, empêtrés dans les fils qui les relient les uns aux autres, ressemblent à de vulgaires pantins de chiffons tachés de sang.

(photo allemande)
Les rares survivants tentent de fuir par la mer, mais ils sont mitraillés par deux avions britanniques qui, dans le noir les prennent pour des Allemands. Néanmoins 7 hommes parviennent à rejoindre à la nage une des vedettes qui les a amenés là avant de retourner à Bastia, leur base de départ. Les autres survivants sont contraints de revenir vers la plage et parmi ces derniers, figure Justin Bergogne. Ils sont immédiatement pris sous le feu nourri des Allemands et n’ont plus qu’une seule solution : se rendre.
Après un rapide interrogatoire au PC de l’Ost-Bac 661 au Trayas, les prisonniers sont conduits vers la prison de Grasse, passant tout d’abord dans le tunnel des Saoumes, la colonne passe ensuite sous le pont de la Rague, qu’ils étaient censés faire sauter.
Vers Capitou, à Mandelieu, une femme (Mme Giardanengo) parvient à s’approcher pour distribuer de l’eau, du pain et des fruits aux prisonniers malgré les menaces des gardiens. Elle en profite pour discrètement avertir les hommes que la colonne allait être attaquée et qu’ils pourraient tenter de se sauver. En effet, le long de la route de Pégomas, le groupe est attaqué par un groupe de résistants de la région de Cannes la Bocca, le groupe AS 24 composé de Francis et Fernand Tonner, Raymond Barberis, Pierre Borghese, Lucien Albis et Marie Giordanengo.
Dix neuf prisonniers parviennent à s’enfuir et à rejoindre les Américains du 141ème Infantry Régiment qui viennent de débarquer au Dramont. Justin Bergogne fait partie de ceux-là.
Les blessés restés sur le bord de la route de Miramar sont pris en charge le lendemain par ces mêmes Américains et conduits à l’hôpital de Saint Raphaël.
Malheureusement, onze hommes ont laissé la vie sur ce coin de côte où les rochers et le sable semblent toujours teintés du rouge de leur sang.
Au bord de la route Nationale 98, au pied d’une grande croix de Lorraine, est érigée une stèle où sont gravés les noms de ceux qui sont tombés sur la terre de France qu’ils avaient à cœur de libérer.

Quant à Justin Bergogne, après son évasion, il rejoint, avec ses camarades, la Corse. Son groupe, le GNAC, ayant été dissout, il est affecté à la 32ème Division de dragueurs de la Méditerranée chargée de nettoyer les mines marines infestant la mer, et, de bombarder les côtes Nord de l’Italie tenues par les fascistes italiens du Prince Borghèse .
Au printemps 1945, au cours d’une patrouille au large de Port de Bouc, son bateau, le dragueur de mines 327, saute sur une mine. Sain et sauf, au milieu des cadavres et des débris, il réussit à rejoindre le rivage à la nage.
Mon père continuera le combat jusqu’à sa libération en octobre 1945.
De retour à la vie civile, il reprend son travail à la SNCF au Arcs sur Argens et se marie en 1946.
Je saurai plus tard par ma mère qu’il fera de nombreux cauchemars la nuit pendant plusieurs années.
Il me racontait, en boucle, ses affreux combats au mont Cassino en Italie en 1943 et 1944. En 1944, son meilleur ami Norbert Bauer sera blessé grièvement à ses côtés et décèdera le 25 décembre 1944, lui-même sera blessé au mollet droit, un éclat d’obus qu’il gardera jusqu’à sa mort.
Désormais, il restera éloigné de l’armée et c’est moi qui ai fait la demande en 1976 de ses décorations. Quand il les recevra, il les regardera et les rangera dans un tiroir. Il mourra en 1979 à 59 ans.
Aujourd’hui, je conserve précieusement ses décorations et je peux résumer son héritage par cette devise inscrite sur tous les bateaux de guerre : « honneur, patrie, valeur, discipline ». »
Récit de Claude Bergogne en juillet 2023