Yves Rocard nous explique l’origine du « signal du sourcier »

En 1957 le hasard m’avait mis en présence d’un maçon qui sans forfanterie aucune, semblait détecter la présence de l’eau souterraine avec une baguette de sourcier. Totalement ignorant de la question, et sans être autrement motivé que par ma curiosité, je me demandai si je ne serais pas moi aussi sensible à cet effet. Je me mets à couper des branches fourchues dans n’importe quel buisson et, à l’instar de mon maçon, je cherche à obtenir ce fameux signal du sourcier qui fait irrésistiblement tourner la baguette, en général vers le bas.

Je ne voudrais pas achever ces mémoires par un cours complet de « radiesthésie » moderne codifiée par mes soins. Cependant, comme la question est pratiquement inconnue de tous, je donnerai de temps en temps les indications indispensables pour qu’on me comprenne, en espérant n’être pas trop démenti. Dans cet esprit, disons d`abord que la baguette fourchue est entièrement passive, mais qu’on lui donne par la prise en mains une déformation élastique, et qu’elle tend – si on la lâche – à revenir à sa forme initiale. Les avant-bras doivent être tournés vers le haut, tordus en sorte que la paume des mains soit dirigée vers le ciel, si bien que dès que le sujet relâche un peu ses muscles, la baguette trouve la force nécessaire pour reprendre sa forme initiale. Le phénomène se réduit à ceci : en passant sur une zone sourcière, le tonus musculaire du sourcier se trouve diminué, à son insu, sa baguette file ; s’il maintient sa prise, il constate qu’il ne peut plus arrêter le mouvement.

Si on a le courage d’écarter toutes les légendes (un empereur chinois 4 000 ans avant Jésus-Christ) et les assimilations abusives (Moïse au mont Horeb), la baguette est représentée en action pour la première fois sur une gravure de 1410, dans les mains d’un mineur de Joachimsthal (Bohême),qui recherche des minerais. L’imprimerie (Gutenberg, vers 1455, à la recherche de curiosités à contribué à faire connaître la baguette). Un ingénieur allemand- Agricola-  a écrit à cette époque un véritable traité de métallurgie (De re metaIlica, en latin) qui montre la baguette dans d’excellentes gravures sur bois.

Quant à moi, muni de ma baguette, je me mis à courir partout, prospectant toutes les formes d’eau, des flaques d’eau sur une route en macadam aux étangs, ruisseaux dans la campagne etc…Pendant plus d’un an, je n’ai pu admettre l’idée d’un signal bien que j’ai pu sentir des baguettes trembloter dans mes mains. J’aurais aimé m’instruire, trouver une littérature convenable, être guidé par un expert plus fort que moi, etc. Mais, j’étais occupé à des choses tout autres, détection de bombes atomiques notamment, et il n’était pas question de consacrer des efforts soutenus à la sourcellerie. Je n’opérais qu’à la sauvette avec des essais furtifs, très mal contrôlés et plutôt velléitaires.

Un jour, dans un coin perdu, sur le bord d’une route de montagne enserrée entre le lit d’un torrent et une haute falaise verticale, je vois de l’eau sourdre abondamment sur la paroi rocheuse pour s’évacuer vers le torrent. Restant le long de la falaise (faute de place) et faisant quelques pas, je constate une vive sollicitation de ma baguette tirée irrésistiblement vers le bas. Je recommence quatre ou cinq fois, l’effet se répète d’une manière assez nette pour me convaincre –  » C’est donc cela le signal », me dis-je. Je le ressentais pour la première fois dans un environnement convaincant, avec présence suffisante d’eau.

Bon rationaliste, mon cerveau se met à déduire : pourquoi pas de signal sur les bords d’une rivière ou d’un canal, quand l’eau est un million de fois plus abondante ? C’est que l’eau filtre dans les fissures de la falaise. Or je connaissais le phénomène de l’électrofiltration (Quincke, 1850). L’eau qui filtre dans un milieu poreux développe une différence de potentiel électrique avec un pôle négatif en amont, positif en aval. La pile qui naît ainsi débite des courants électriques, qui se referment dans le milieu plus ou moins conducteur. Une source peut créer cet effet tandis qu’un canal, une rivière ou l’eau d’un réservoir n’en sont pas capables…

A partir de cette aventure de falaise, Je me sentis plus courageux pour reconnaître quand la baguette me filait vraiment entre les mains, et j’admis que je ressentais le signal qui déclenchait les sourciers. Or, mon cas est intéressant, parce que suis finalement un individu peu sensible. Dans une ville comme Paris, au moins la moitié de la population, et plus encore à la campagne, réagit mieux que moi à des stimulations plus faibles.

Une seconde aventure m’est arrivée. Je reconnaissais maintenant mon signal de baguette, mais je ne cherchais plus que sur de l’eau filtrante. Un jour, sur le plateau de Valensole dans le Midi, près de Manosque, en tâtant un petit ruisseau misérable qu’on franchissait à gué, je décidai de voir si un signal était perceptible dans une voiture, une modeste 2 CV Citroën assez légère pour qu’on l’ait amenée là. Malgré l’équivoque des cahots dont les secousses étaient transmises par la suspension et qui réagissaient sur la tenue de la baguette, les signaux étaient perceptibles.

Mon cerveau, toujours rationaliste, se met encore à déduire : quel est l’agent physique qui transmet le signal de l’eau à mon corps ? Ce ne peut être les ions de l’atmosphère, l’odeur, etc., car si je ferme les vitres je n’ai pas de différence Ce ne peut être le champ électrique de l’atmosphère (200 volts-mètre et souvent bien plus), parce que le métal de la carrosserie met ce champ en court-circuit, autour de moi. Passons alors au champ magnétique : bien que la voiture soit pleine de fer (moteur, châssis…), ce fer modifie le champ magnétique ambiant (champ terrestre) mais sans pouvoir l’annuler dans la voiture. Si donc mon corps a une sensibilité quelconque au champ magnétique, peut-être le passage dans une anomalie magnétique a-t-il déclenché ma baguette de sourcier ? Comme j’ai donné pour cause de ce déclenchement la baisse du tonus de certains muscles assurant la prise de baguette, nous en arrivons à la proposition suivante :

Le signal du sourcier est une baisse de tonus musculaire (une petite fatigue) produite par l’action d’une anomalie dans le champ magnétique qui l’environne et qui cesse d’être uniforme.

Le sourcier ne détecterait donc jamais l’eau proprement dite mais une inégalité magnétique liée à la présence de l’eau. Si l’on admet cette conclusion, et si l’on est quelque peu familier avec le magnétisme, on est obligé d’admettre aussi ceci :En l’absence totale d’eau, le sourcier doit pouvoir être déclenché par une quantité d’anomalies magnétiques que l’environnement lui procure très facilement. Nous passons ainsi de la recherche de l’eau à l’étude de la sensibilité magnétique de l’homme.

Yves Rocard 1988.

Source : « Mémoires sans concessions » Yves Rocard éd. Grasset 1988

Chapitre 11 Des bombes aux sources et au biomagnétisme

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