En 1941, François LENGLET est prisonnier dans un camp pour officier, l’ Oflag XIIIA de Nuremberg. Condamné à l’oisiveté et ayant dû laisser son poste de professeur au lycée de Dunkerque, il va se consacrer à l’écriture et en particulier à la place du système de l’éducation nationale en France.

Voici son article consacré au scoutisme dans lequel il va surtout montrer que l’éducation d’un jeune français peut être optimisée en jouant sur les complémentarités entre le système d’éducation de l’état et le scoutisme. Il avait aussi très probablement noté que dans le même temps, le régime nazi avait interdit le scoutisme dès 1933, la fédération allemande des mouvements de scout, la « Reichschaft deuscher Pfadfinder » étant devenue un lieu de refuge des jeunes, ennemis du nouvel état

« Le scoutisme,
Le scoutisme est susceptible d’apporter à l’Ecole essentiellement un complément, une méthode et un esprit
Un complément d’abord :
Que dit en effet le Maréchal Pétain sur l’Education Nationale (Revue des 2 Mondes, 15 Aout 1940):
« Il y avait à la base de notre système d’éducation une illusion profonde : c’était de croire qu’il suffit d’instruire les esprits pour former les cœurs et pour tremper les caractères. Il n’y a rien de plus faux et de plus dangereux que cette idée. Le cœur humain ne va pas naturellement à la fermeté, à la constance, au courage. Il a besoin pour l’atteindre et pour s’y fixer d’une vigoureuse et opiniâtre discipline « .

Former les cœurs, tremper les caractères : deux tâches que l’école, même en équilibrant plus heureusement ses disciplines, ne peut remplir qu’imparfaitement. Il importe en effet de distinguer dans tout enseignement, et plus encore pour les techniques formatrices du caractère, le fond de la forme.
On ne peut, à notre avis, espérer tirer tout le profit qu’on paraît attendre des techniques d’éducation générale (celles par exemple qui nous sont proposées par le secrétariat de la jeunesse) en les confiant à un maître même compétent.
La forme même de l’enseignement, avec ce qu’il comporte d’imposition extérieure, tel qu’il est nécessairement pratiqué pour l’instruction des esprits, ne leur permet pas de porter tous leurs fruits.
C’est qu’il est nécessaire de remettre aux enfants eux-mêmes le soin de leur propre éducation en ces matières.

Voilà ce que le scoutisme a si bien compris et explicité dans son système des patrouilles («et, à des chefs jeunes, presque du même âge dans un cadre d’action minutieusement taillé à leur mesure). Il permet la formation du caractère des jeunes. Il importe d’équilibrer très exactement la docilité et la responsabilité, c’est par elle, en effet, graduée, surveillée sans doute, mais très complète que se forgent les caractères et les cœurs et c’est précisément cette participation active, cette responsabilité qu’un système d’enseignement, si équilibré qu’il soit, ne peut pas sauvegarder.
Si, répondant à notre objection, on nous disait que ce système reconnait et recommande même le système des équipes, nous dirions que celui-ci n’offre pas les caractères de stabilité ou de totalité que présentent des équipes de vie d’âges hétérogènes comme celle du scoutisme.
C’est donc en grande partie au mouvement de jeunesse, au scoutisme, puisque c’est de lui dont il s’agit ici que reviendra cette formation des cœurs, de ces caractères, formation appelée à avoir une très heureuse répercussion sur l’enseignement : un corps souple et fort, un esprit empreint des réalités et de la vie en plein air et de la responsabilité, un caractère décidé, courageux, une âme loyale : toute chose dont l’école ne peut que se réjouir, l’enfant faisant un tout indivisible. C’est d’ailleurs cette indivisibilité de l’être humain qui postule une entente fractionnelle entre les éducateurs.
La relation entre l’école et les mouvements de jeunesse devra être extrêmement étroite, si l’on ne veut pas continuer à lier l’enfant à des influences plus contradictoires que complémentaires.
Le scoutisme apporte donc à l’école un complément et reprend son œuvre et l’ajuste, mais sa collaboration ne s’arrête pas là.
Une méthode et un esprit.
La méthode scoute est essentiellement basée sur le système des équipes et sur les responsabilités données à chaque garçon dans sa propre éducation. Elle s’appuie, d’une part sur le sentiment de la communauté et de son honneur, et d’autre part sur la conviction que toute véritable éducation nait d’un désir intérieur, d’une volonté personnelle : deux sentiments qui n’étaient guère cultivés dans notre enseignement public empreint d’individualisme et très imposé de l’extérieur.
Sans doute le travail intellectuel en équipe est-il difficile ! sans doute est-il impossible de le généraliser dans toutes les disciplines ; du moins peut-on s’en inspirer pour certaines d’entre elles.
Une autre difficulté naît de la perte considérable de temps pour le maître et, parfois pour l’élève, qu’entraîne une pareille méthode -Toutefois peut-on s’inspirer de son esprit, l’appliquer chaque fois qu’il est possible-.

L’esprit de scoutisme se manifeste dans sa hiérarchie des valeurs: santé, caractère et en dernier lieu intelligence: l’école plus spécialement tournée vers l’attraction des esprits soit admettre cependant cette hiérarchie susceptible de modifier le ton général de son enseignement une autre caractéristique du scoutisme est son esprit de jeu, sa volonté de sortie de l’abstrait, de mettre l’enfant aux prises avec des difficultés vraies, de le faire se heurter à la matière, à des difficultés d’exécution etc….. ; de ceci, notre enseignement, souvent trop livresque et trop abstrait peut s’inspirer.
Une méthode, un esprit, une hiérarchie plus réelle des valeurs, tels sont les dons que le scoutisme peut faire à l’enseignement.
Vie de plein air et camp.
Chaque fois que le temps le permet, la meute ou la Troupe « sortent », les sorties ne sont pas de simples promenades, leur programme est soigneusement établi et comporte une série d’activités éducatives bien préparées.
A titre d’exemple voici une journée d’instruction des chefs de Patrouille.
7h Rassemblement – Parcours sur itinéraires fixés – Entretien sur la vie de patrouille au camp et ses rapports avec la formation morale et technique des scouts – messe – croquis, perspectives de route. Repas en plein air- évaluations, distances et hauteurs-
Education physique en terrain varié – Conseil de chefs : Administration et organisation de la troupe -Petits jeux
18h45 -Retour N’est-ce pas une journée bien remplie ?
Mais c’est au camp que la vie scoute reçoit son plein épanouissement ; le camp est la synthèse de toutes les activités – de toutes les formes de l’éducation scoute. Ici encore, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le programme d’une journée au camp.
6h30 Lever – gymnastique d’assouplissement- soin de propreté
7h00 Messe ou causerie morale suivie de chants
7h45 Petit déjeuner
8h15 Rangement des tentes et des coins de patrouille
8h45 Inspection- Salut aux couleurs
9h00 Exercices pratiques techniques : jeux, concours
10h30 Education physique
11h00 A la disposition des C. P., Aménagement et amélioration du camp. Epreuves de classe ou brevet de spécialité
12h00 Repas- Vaisselle -Sieste = Silence / Conseil des chefs.
14h30 Grand jeu ou excursion instructive, ou travail de pionniers.
16h00 Gouter
18h00 Temps libre – préparation du feu de camp.
Coucher du soleil- Rentrée des couleurs : Préparation des tentes pour la nuit.
20h00 Repas-vaisselle
21h00 Feu de camp ou veillée Prière- Coucher – Silence
Parfois, au camp, les scouts seuls, montent la tente.
A l’affût de tous les moyens actifs le scoutisme demande aux danses, aux chants, aux histoires, aux travaux manuels : développement de la spontanéité, l’adresse, la bonne humeur des garçons
Les louveteaux rassemblés en une meute sous la direction d’une cheftaine sont groupés en dizaines.
Chaque dizaine forme un tout, qui ne doit être débloqué que très exceptionnellement. Elle a un chef choisi pour son caractère, son entrain, son intelligence, sa loyauté.
Dans les jeux, c’est la dizaine qui gagne et non le louveteau -Au local, elle reçoit une mission de confiance : garde et entretien d’un matériel …s’habitue peu à peu aux responsabilités et , chaque louveteau, à l’obéissance naturellement consentie , dénuée de crainte.
Le système reçoit son plein épanouissement lorsqu’à 12 ans le louveteau quittant la meute passe à la Troupe. La dizaine devient alors Patrouille. Et cette fois, c’est tout à fait sérieux.
» Le système des Patrouilles est l’organisation de la troupe en petits groupes permanents de six à huit garçons,
Chaque patrouille reçoit un « coin » qu’elle décore et meuble par ses propres moyens. Elle a des ressources, des réunions, et des sorties particulières.
Le système des patrouilles est une forte école de discipline, de solidarité et de cohésion.
Le chef de patrouille est un garçon du même âge ou à peine plus âgé que ses camarades. Ses responsabilités augmentent dans la mesure des libertés qu’on lui laisse. En somme, c’est sur la valeur de ces chefs que repose toute la méthode scoute et leur formation est le souci constant du chef de troupe ou Scoumestre. Celui qui les réuni périodiquement en patrouilles d’instruction, en conseils des chefs, il augmente leur autorité en leur donnant place dans la Cour d’Honneur.
L’émulation se soutient par les concours inter patrouilles. Tout concours porte à la fois sur le moral, le physique, la tenue et la technique.
La valeur morale et technique d’une patrouille est fonction de la valeur personnelle des scouts C’est une heureuse combinaison d’émulation individuelle et d’émulation collective.
Elles offrent de riches possibilités d’action éducatrice
François LENGLET 1941 Oflag XIIIA Nuremberg