Rappelons le dernier paragraphe des mémoires au jour le jour du Lieutenant François LENGLET décrivant son arrivée comme prisonnier dans le camp d’officier, l’OFLAG XIIIA de Nuremberg en septembre 1940 :
« Vendredi 13, Samedi 14 septembre 1940.
A midi, nous nous installons dans nos cantonnements définitifs : Barraques avec lits à 3 étages- Paillasse- Installation satisfaisante -Nourriture assez copieuse mais peu variée et peu nourrissante.
Quelques jours après, j’ai revu dans les blocks voisins :
Ducrouet, Wilbas, Desmoulins, Lermignaux, Ledieu, Catel, Ponchet, Afchain, Carlier, Greviller, Legrand, Boutés. Desmarie, Démon, Coras, Seav.
Je ne suis pas seul prisonnier ! »
S’il décrit brièvement les conditions d’installation dans ce camp, il note immédiatement qu’il retrouve un grand nombre d’anciens camarades et collègues.

En effet, le regroupement d’officiers dans des camps spécifiques vont permettre à ces prisonniers de saisir des opportunités pour supporter les contraintes de la vie dans les camps, de développer des activités intellectuelles et de chercher les moyens d’améliorer leur situation à la sortie de la guerre.
Les OFLAGS, véritables « centres intellectuels »
Pendant la guerre, pour respecter la Convention de Genève de juillet 1929, les Allemands vont devoir emprisonner les officiers dans des camps spécifiques, ce seront les OFLAGS (Offiziersläger).
En effet, l’article 27 interdit aux officiers de travailler : « Les belligérants pourront employer comme travailleurs les prisonniers de guerre valides selon leur grade et leurs aptitudes à l’exception des officiers et assimilés ». Il est complété par l’article 17 qui prévoit : « Les belligérants encourageront le plus possible les distractions intellectuelles et sportives organisées par les prisonniers de guerre. »
Ce sont vingt-neuf milles officiers français qui seront ainsi retenus captifs sans travailler. Il s’agit d’une part d’officiers d’active et de l’autre de réservistes âgés entre une vingtaine et une cinquantaine d’années.

C’est un véritable brassage social avec des militaires d’active, saint-cyriens et polytechniciens notamment, qui côtoient des membres des classes moyennes, des employés, des professeurs d’université dans des disciplines très variées, des ingénieurs des Mines, des avocats et des magistrats…Mais tous possèdent une base scolaire commune : le baccalauréat. Les officiers sont en effet très majoritairement issus du lycée, monde fermé et élitiste puisqu’en 1939 seulement 7% d’une classe d’âge est titulaire du baccalauréat.
Le lieutenant François LENGLET fait partie de ces officiers réservistes. Après une formation d’instituteur à l’école normale de Douai, il a suivi une préparation militaire supérieure de deux ans à Saint-Maixent pour effectuer ensuite son service militaire et devenir officier de réserve. Il rentre ensuite à l’Education Nationale et devient professeur d’éducation physique au lycée de Dunkerque. Le 10 mai 1940, il est appelé à participer aux combats comme lieutenant.
Fait prisonnier, dès son arrivée à l’OFLAG XIIIA de Nuremberg, il découvre, avec ses collègues, que certains d’entre eux ont des connaissances très précises et intéressantes pour tous. Ne pouvant pas travailler, il va éviter de tomber dans l’oisiveté et se précipiter dans les activités intellectuelles et même contribuer à leur organisation.

Cette organisation est mise en place, encouragée par les autorités allemandes puis françaises : les annonces des conférences et des cours sont affichées sur un panneau. Bientôt une baraque est dédiée à ces activités intellectuelles, des bibliothèques sont constituées et des cours sont dispensés. Conférenciers, élèves et professeurs, tous captifs et soumis à de nombreuses restrictions, parviennent finalement à mettre sur pied de véritables universités.
Cette plongée dans l’Université montre la volonté de François LENGLET de se démarquer du passé. Il a été choqué par la rapidité et l’ampleur de la défaite de l’armée française. Il a été conduit durant les mois de mai et juin 1940, à prendre un commandement, à prendre des initiatives et à assumer des responsabilités ne correspondant pas à son grade. Il a été humilié par la défaite et cette capture, notamment parce qu’elle intervient après l’armistice.

Les activités intellectuelles vont lui permettre de retrouver sa dignité d’être humain, mais aussi de Français devant les autorités allemandes qui le maintiennent captif. Ainsi, il va faire partie de ces prisonniers qui ,une fois l’appel du matin terminé, va prendre son carnet de notes et se déplacer avec son tabouret quadripode d’une conférence ou d’un cours à l’autre.
Une dernière fierté: il évoquera après la libération la richesse de ses rencontres avec deux prisonniers devenus célèbres après la guerre : le Doyen VEDEL, futur académicien, passionné par les « coopératives de consommation » et Fernand BRAUDEL, l’historien grand connaisseur de la méditerranée.
Les cahiers et les notes de François LENGLET.
François LENGLET va s’efforcer à prendre des notes précises lors de chaque conférence, de synthétiser chaque livre lu. Il nous a ainsi transmis plusieurs cahiers contenant toutes ses notes prises pendant les conférences, les cours dans chacun des Oflags ainsi que des notes manuscrites sur papier libre…

Il est bien difficile de faire une synthèse de l’ensemble de ces documents car les sujets abordés son plutôt variés

-les conférences iront de « La taille des végétaux » ou comment optimiser la taille et la culture des arbres fruitiers jusqu’à « Petit manuel biblique » ou l’histoire de la religion catholique en passant par « L’agriculture Française », son tragique déclin, son avenir ….
– chaque livre fera l’objet d’une présentation succincte, d’une critique personnelle et d’un avis précisant à partir de quel âge son fils Paul pourra aborder la lecture de ce livre.
On peut néanmoins noter la passion de François LENGLET pour les méthodes d’enseignement des mathématiques et son travail approfondi sur l’analyse comparative des méthodes d’enseignement en 1940 dans les principaux pays.

Il consacrera un chapitre complet sur le rôle du « scoutisme en France » et sa complémentarité avec les méthodes conventionnelles d’enseignement.
Il fera une analyse très complète de « l’enseignement en Allemagne sous le régime nazi. »
Enfin, il pilotera un groupe de travail qui aboutira à une conférence sur l’ « Organisation des œuvres de jeunesse. Contributions qu’elles peuvent apporter à l’enseignement »
Pour conclure cette analyse, nous reproduirons intégralement dans les trois prochains articles certains écrits de François LENGLET. Ils nous montreront sa vision du monde de l’enseignement, avant la guerre, son état d’esprit et sa volonté de regarder vers l’avenir malgré sa situation de prisonnier de guerre, une vraie plongée dans l’atmosphère de la seconde guerre mondiale.
François Marie LENGLET juillet 2025
Sources :-Notes de François LENGLET de 09/1940 à 04/1945 OFLAGS en Allemagne
-« Les Oflags, centres intellectuels » » par Evelyne Gayme / CAIRN Info