De 09/40 à 05/45, la vie de François LENGLET dans les Oflags en Allemagne. (2)

« Le Vendredi 13 septembre 1940, à midi, nous nous installons dans nos cantonnements définitifs : Barraques avec lits à trois étages- Paillasse- Installation satisfaisante -Nourriture assez copieuse mais peu variée et peu nourrissante. Quelques jours après, j’ai revu dans les blocks voisins seize collègues de l’enseignement.

Je ne suis pas seul prisonnier ! »

François LENGLET

Ces dernières notes manuscrites du lieutenant François LENGLET, nous placent bien dans l’atmosphère des camps d’officiers prisonniers en Allemagne de la seconde guerre mondiale. Dès que son installation dans cette « barraque » sera terminée, François LENGLET va cesser d’écrire ses notes au jour le jour. Néanmoins, à partir de quelques documents ramenés de ce séjour et de souvenirs, évoqués rarement, pendant les réunions de famille, au cours des années 50, nous pouvons revenir sur certains épisodes.

Un premier document nous montre le côté « organisé » de ces camps, ces « Oflags » :

Personalkarte du Lieutenant François LENGLET

Dès le premier jour, François LENGLET doit se soumettre à une fouille complète, un épouillage des vêtements et du corps, et la confiscation des effets jugés superflus.

Puis, il va recevoir sa « Personalkarte » qui nous permet de constater que les camps sont parfaitement organisés.

On y retrouve:

– le numéro de l’Oflag, son numéro de prisonnier : n°1072 qui sera également gravé sur une plaque métallique qu’il gardera sur lui toute la guerre,

– le montant de sa dotation mensuelle qu’il recevra en tant qu’officier et qui sera reversé à son épouse. En fait, ce processus administratif permettait aux nazis de prouver que le traitement des prisonniers français respectait la Convention de La Haye du 18 octobre 1907 et la Convention de Genève de 1929 et que les officiers prisonniers ne travaillaient pas pour les Allemands, tout en étant rémunérés.

Ce document nous permet également de reconstituer son parcours de l’Oflag XIII A de Nuremberg en 1940/41, à l’Oflag VI D de Münster en 1942/43 pour se terminer à l’Oflag XD de Hambourg, le 31 mars 1945, quelques semaines avant sa libération en mai 1945.

Dans l’Oflag XIII A de Nuremberg, François LENGLET va retrouver « seize collègues de l’enseignement » mais va surtout sympathiser avec deux d’entre eux, originaires comme lui, du nord de la France : Abel LEMAIRE et Fernand CATEL que l’on retrouve sur cette photo, qui est malheureusement la seule photo des camps qui soit parvenue jusqu’à nous et où figure François LENGLET.

1940 Oflag XIII A : Abel Lemaire, Fernand Catel, François Lenglet.

Ses deux compagnons d’infortune resteront, à la fin de la guerre, de véritables amis que nous rencontrerons régulièrement dans les années 1950/60 et c’est au cours de ces réunions que seront évoqués quelques souvenirs des camps.

La photo des trois compagnons fit l’objet de nombreux commentaires : tout d’abord, elle montre que les prisonniers s’efforçaient de garder une tenue militaire impeccable face à leurs gardes allemands omni présents, une façon d’oublier les hideux barbelés et la sentinelle qui faisait éternellement les 100 pas derrière la clôture. Ensuite, elle nous montre que le système pileux qui, recouvrait le visage des compagnons se prêtait à de multiples combinaisons. Là encore, beaucoup plus qu’un effet de mode, il s’agissait de braver les militaires allemands qui, de leur côté se voyaient interdits de porter la barbe, seule la mouche des mousquetaires à la manière de leur dictateur Hitler étant tolérée.

Sur la photo, Abel LEMAIRE et François LENGLET portent la barbe inculte à la façon d’un jardin anglais qui pousse librement en tous sens avec toute la vigueur et toute la belle spontanéité de la nature mais qui est finalement bien taillée. Fernand CATEL, lui se contente de la moustache formant herse au-dessus des lèvres.

Nos trois compères ne manquaient pas d’évoquer la diversité des barbes que les prisonniers affichaient avec fierté au moment de l’appel matinal : l’éventail bien peigné et régulier qui s’épanouissait joliment sur une fraise espagnole ; la mouche des mousquetaires gris ; les moustaches gauloises, longues et tombantes, la barbiche à la royale d’Armand Duplessis-Richelieu ; les favoris maître d ’hôtel ; les côtelettes valet de chambre ; les rouflaquettes du milieu, etc…

Puis, le repas venu, la conversation tournait vers les fameux colis envoyés par les familles qui permettaient d’améliorer les repas bien ternes, servis dans les camps.

Affiche solidarité pour envoi de colis

Seuls deux colis de cinq kilos étaient autorisés chaque mois et si la famille était restée en zone occupée, elle était obligée de passer par les services de la Croix Rouge pour transmettre leurs colis.

Ils étaient vérifiés systématiquement et les boîtes de conserve ne pouvaient aller dans les chambres qu’une fois ouvertes…

Le menu de Noel 1940 des prisonniers de Nüremberg nous montre un repas acceptable, agrémenté de sardines venues de France.  

1940 Oflag XIII A Menu de Noel

Et là, François LENGLET ne manquait pas de rappeler sa détresse quand les expéditions de colis cessèrent à partir de juin 1944 et que, un an plus tard, quand il est revenu en France de ses cinq ans d’oflag, il ne pesait plus que 37 kilos.

Puis, il ajoutait, que cette détresse venait surtout du fait qu’avec la disparition des colis, la transmission des livres et des journaux était terminée et que la lecture, un passe-temps si précieux, qui lui permettait de garder un regard sur le monde était devenue bien pauvre. Certes ces livres étaient mis à part pour examen par la censure avant d’être distribués à leur destinataire, quelque six semaines après leur envoi mais les Allemands, conscients qu’il fallait permettre à leurs prisonniers sans travail de passer le temps, laissaient libre la diffusion de nombreux livres.

Les trois compagnons d’infortune racontaient aussi que dès la mise en vigueur de l’armistice, le 25 juin 1940, un des sujets les plus pressants était, bien sûr, l’espoir d’une libération prochaine.

Les compagnons de captivité ne cachaient pas, à cette époque, leur admiration pour le Maréchal Pétain qui avait évité une occupation totale de la France et justifiait l’armistice par la promesse d’un retour rapide des prisonniers dans leurs foyers.

30 Octobre 1940 Allocution du Maréchal Pétain

Les bruits du camp sur d’éventuelles libérations ne manquaient pas, surtout quand le gouvernement de Vichy envoyait un « chef de service diplomatique » dans les camps pour négocier des libérations. On entendait des messages venus de France comme : « Il paraît que le Maréchal a dit le 21 juillet 1940, qu’il s’efforçait que les prisonniers soient libérés pour l’hiver…. On parle d’un départ prochain des 35-40 ans ?  ….On va libérer les anciens combattants de la guerre 1914/18… » Mais que fallait- il croire de ces bruits persistants venant de France ?

Certes, on constatait qu’un certain nombre de libérations avaient eu lieu…mais il s’agissait généralement de pères de 4 enfants et plus.

En fait le délégué de Pétain n’obtint jusqu’à la fin de 1942 que la libération de moins de 19% des prisonniers français, quant à nos trois compagnons, ils  étaient toujours prisonniers à cette date.

Mais, ce qui revenait le plus souvent dans la conversation était leur principale préoccupation : « Comment occuper le temps quand on passe toutes ses journées sans travailler ? ».

Un premier souvenir rendait hommage à ce groupe de prisonniers qui avait réussi à aménager une baraque en salle de théâtre. Cette troupe improvisée avait été baptisée ironiquement le « Théâtre des Champs Hérissés » 

Ils évoquaient en particulier une pièce de théâtre présentée au printemps 1941, ils gardaient le souvenir d’une atmosphère tiède mais sympathique durant le spectacle, la présence d’un orchestre un peu maigre, jouant l’air de la fameuse romance provençale : « O Magali, ma tant aimée ! »

 En effet, l’affiche de ce spectacle nous montre que deux spectacles étaient présentés : « Le Paquebot Tenacity » puis « Le retour de Marius ». Ces deux comédies, si différentes de couleur et de ton, permettaient de retrouver l’atmosphère de l’après première guerre mondiale, elles se complétaient en s’opposant, mais, en tous cas, elles faisaient rêver à l’amour, grand vainqueur de toutes les guerres, et  suggéraient, grâce aux décors, les chères et salubres odeurs des bords de mer et du large.

Ils riaient beaucoup en évoquant le fait que la pièce « Le retour de Marius » étant écrite en provençal, les animateurs avaient fait l’effort de compléter le programme par un mini lexique Marseillais-Français plus qu’utile pour  nos trois compagnons, braves « ch’timis » d’origine.

C’est alors que ma mère Gisèle intervenait pour évoquer les efforts faits en France par la population pour assister les maris prisonniers de guerre. Elle citait cette fête organisée en décembre 1941 par les habitants de son village du Cambrésis, Bertry pourtant situé en zone occupée, qui comprenait deux pièces de théâtre et des ballets

Un des souvenirs les plus marquants que François LENGLET, mon père, a gardé de son séjour dans les oflags allemands est son « canif » : ce canif est resté dans sa poche toute sa vie et … il est toujours dans nos tiroirs.

Canif de François LENGLET
Crèche de Noel

Quand François LENGLET sortait son canif de la poche, il ne manquait pas de montrer combien les lames étaient usées. Il évoquait alors les nombreuses heures de travail manuel passées dans les camps de prisonniers à travailler le bois et le plâtre avec ce petit outil. Parmi les travaux réalisés, il évoquait la fabrication d’une petite crèche de Noel en bois dont il avait aussi fabriqué les personnages miniatures et qu’il avait recouverte de paille. Ce travail était aussi un bon moyen de s’évader du camp par la pensée, de préparer le retour au foyer et les fêtes de familles pour l’après-guerre.

Il avait aussi réalisé un « poste à galène », ce poste de radio rudimentaire qui fonctionne sans électricité et qui permet d’écouter toutes les émissions même lointaines. Il en était très fier, car c’est ainsi, avec ses compagnons, qu’il parvenait à écouter toutes les informations, même celles échappant à la censure et surtout, ce poste avait échappé à la surveillance et aux contrôles allemands jusqu’à la fin de la guerre.

Parmi les souvenirs de guerre, il reste un dernier chapitre pour lequel François LENGLET a laissé de nombreux écrits : son activité au sein des Universités crées au sein des Oflags et dans lesquelles il s’est fortement impliqué. C’est ainsi qu’il a pu pendant ces cinq années de prisonnier, garder le moral et préparer l’après-guerre dans de bonnes conditions.

C’est ce que nous verrons dans un prochain article.    

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