Nous avons été nombreux à apprécier la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques qui a eu lieu sur la place de la Concorde à Paris. L’un des acteurs principaux de cette cérémonie fut sans conteste son plus ancien monument : l’obélisque de Louxor.

Mais, connaissez-vous l’histoire de ce monument qui, au départ de l’Egypte, fit un long voyage avant d’être érigé en 1836 dans la capitale. Ce voyage a un caractère très provençal : c’est un Lucois, Apollinaire Lebas qui fut chargé de construire, à Toulon, le bateau spécifique, nécessaire au transport de l’obélisque d’Egypte jusqu’à Paris. On lui confia également, le démontage de l’obélisque en Egypte, son transfert vers Paris et enfin son remontage sur la place de la Concorde.
L’obélisque, un cadeau pour renforcer l’amitié franco-égyptienne.
Après le retrait des troupes de Bonaparte en Égypte en 1801, Méhémet Ali devient le vice-roi d’Egypte, pays qui, alors, fait partie de l’Empire Ottoman.

Il emploie de nombreux officiers et ingénieurs français qui l’aident à moderniser son pays. Afin d’assurer une entente durable avec la France, il décide en 1830 d’offrir un monument égyptien au roi Charles X.
Après d’âpres négociations et sous la pression du linguiste Jean-François Champollion, il choisit les deux obélisques érigés devant le temple de Louxor construit sur les bords du Nil au XIIIe et XIIe siècles avant notre ère, en hommage, au dieu du soleil Amon.
Jean-François Champollion choisit l’obélisque du temple qui partira le premier (1). Il précise : » le plus occidental, celui de droite en entrant dans le palais. Le pyramidion a un peu souffert, il est vrai, mais le corps entier de cet obélisque est intact, et d’une admirable conservation. »
Un monument de l’antiquité, bien difficile à transférer
Le monument n’est pas anecdotique : il est un témoin de l’antiquité égyptienne, construit au XIIIe siècle av. J.-C. pour l’entrée du temple de Louxor .

Cet obélisque symbolise ainsi un rayon pétrifié en hommage au dieu du soleil Amon. Sur son sommet, on peut identifier une représentation de Ramsès II agenouillé, faisant une offrande à Amon, tandis que tout le long est orné de hiéroglyphes. L’ensemble du monument est constitué de syénite, une roche rose provenant des carrières de Syène, l’actuelle Assouan mais surtout, il mesure 33,37 mètres de haut et pèse 222 tonnes.
Pour le transfert, le roi de France, désormais Louis Philippe après la révolution de 1830, écarte divers projets hasardeux de transport par radeau, fait voter un budget initial par le Parlement et, décide de confier la maîtrise d’œuvre aux équipes du Génie Maritime.
Apollinaire Lebas, l’artisan du transfert.
C’est un certain Apollinaire Lebas qui sera chargé des opérations d’abattage et de chargement de l’obélisque. Puis, au retour en France, il devra assurer le déchargement, le déplacement et la réédification de l’obélisque sur la place de la concorde ainsi que les travaux du piédestal.

Jean-Baptiste Apollinaire Lebas est né le 13 août 1797 au Luc (Var). Issu d’une famille bourgeoise, après des études classiques, l’amour des mathématiques le conduit à l’Ecole Polytechnique à dix-huit ans. Il en sort dans les premiers et choisit le Génie maritime. On le retrouve à vingt-six ans faisant construire une flottille pour aller assiéger Barcelone, puis en Algérie lors du débarquement des troupes en 1830 où il dirige la réparation des navires endommagés. Fort de cette expérience, il est bien placé pour faire construire le navire, avec des mâts démontables pour passer sous les ponts de la Seine et un fond plat pour naviguer sur le Nil, capable de charger l’obélisque et de le ramener jusqu’à Paris.
Ce navire est construit à l’arsenal de Toulon, on le baptise le « Luxor ».
Un voyage mouvementé qui durera plus de cinq ans.
Le Luxor quitte le port de Toulon le 15 avril 1831 avec, à son bord, 121 passagers sélectionnés par Apollinaire Lebas et plusieurs tonnes de matériel divers. Il ne met que trois semaines pour traverser la Méditerranée et arriver à Alexandrie. Mais il faudra trois mois pour haler le bateau sur les eaux basses du Nil et quatre cents hommes qui s’attèlent à l’avant du navire sous l’implacable soleil de l’été égyptien pour l’amener près du temple de Louxor, à 700km d’Alexandrie.

Le 14 août 1831, le bateau est échoué et démâté à 400m de l’entrée du temple avant d’être recouvert de nattes arrosées deux fois par jour pour sa préservation. Une fois sur place, l’ingénieur Lebas doit revoir les plans des machines à poulies, construites et démontées en France puis remontées en Egypte car l’obélisque est fragilisé par une fissure d’environ 8 m de haut à partir de sa base, elle-même enfouie sous 3,80 m de sable.

Le monolithe va être couché le 31 octobre, au moyen de deux appareils actionnés par 200 hommes. L’obélisque achève son mouvement, s’enfonce dans le sable dans une mauvaise direction mais repose intact à terre. Pour permettre le halage de l’obélisque jusqu’au Luxor, sur la chaussée creusée au préalable, il faudra construire un glissoir en bois. Plusieurs semaines seront nécessaires pour repositionner l’obélisque, réaliser les manœuvres de halage destinées à lui faire parcourir les 400m le séparant du Luxor dont l’avant a été découpé.

Finalement, l’embarquement de l’obélisque est effectué en deux heures par 48 hommes actionnant quatre cabestans le 18 décembre 1831. Mais il faudra encore attendre la crue du Nil pour reprendre la navigation.
L’appareillage du Luxor sur le Nil n’interviendra que le 25 août 1832. Le Nil est capricieux, il monte, il baisse un peu, remonte, et les jours passent, ce n’est que le premier janvier 1833 que le Luxor peut franchir la barre, entrer dans la mer Méditerranée et prendre la route de Toulon remorqué par le Sphinx. Les aventures lointaines étaient terminées. Dans la nuit du 10 au 11 mai 1833, le Luxor, parti le 15 avril 1831 de Toulon, était de retour dans la rade : plus de deux ans d’aventures !

Après une période de quarantaine, le Luxor se dirige vers la Seine à la remorque d’un autre vapeur jusqu’à Rouen d’où il est halé vers Paris par des chevaux. Finalement, l’obélisque est déchargé du Luxor et hissé sur la rampe du pont de la Concorde en aout 1834.
Adolphe Thiers chargea Lebas de dresser l’obélisque sur la place de la Concorde, ce qui demanda de gros travaux d’aménagement des berges de la Seine…
En juillet 1835, le Luxor fait un nouveau voyage pour l’Aber-Ildut, en Bretagne, afin de rapporter les blocs de granit destinés au piédestal de l’obélisque.
Une érection en grande pompe sur la place de la Concorde.
Le 25 octobre 1836, dès le matin, plus de deux cent mille personnes étaient répandues sur la place des Tuileries, dans l’avenue des Champs-Elysées, et attendaient avec une avide curiosité l’érection de l’obélisque…

Le Roi Louis Philippe Ier lui-même s’était installé discrètement avec la famille royale, aux fenêtres de l’hôtel de la Marine. Il n’avait pas voulu prendre le risque du ridicule en cas d’échec de l’opération. Tout se termina bien, sans accident, sans victime et au moment précis où l’obélisque se dresse sur son socle, le roi et sa famille paraissent au balcon dans une mise en scène parfaitement réglée et recueillent l’ovation de la foule.

L’obélisque est désormais érigé sur la place de la Concorde, sur son socle de granit de Bretagne. Sur la face de ce socle qui regarde l’avenue des Champs-Elysées et l’Arc de Triomphe, se trouve la grande inscription en lettres d’or qui rappelle la cérémonie de mise en place du 25 octobre :
» En présence du roi LOUIS PHILIPPE 1er, cet obélisque transporté de Louqsor en France a été dressé sur ce piédestal par M. LEBAS INGENIEUR, aux applaudissements d’un peuple immense ».
A noter que le nom de Lebas, l’ingénieur varois du Luc est en aussi gros caractères que celui de Louis-Philippe.
Désormais, Appolinaire Lebas est une personnalité du monde de Paris et devient conservateur du Musée national de la Marine puis, commandeur de la Légion d’honneur en 1848.
Il écrira en 1838 un livre « L’obélisque de Luxor – Histoire de sa translation à Paris ». Ce livre qui décrit, dans le détail, les opérations du transfert, nous plonge aussi dans l’Egypte du XIXème siècle et dans la naissance du monde moderne. Il mérite qu’on y revienne ultérieurement.
Amateur du jeu de dominos, Appolinaire Lebas fera partie, au côté d’autres personnalités, du cercle des Dominotiers, créé vers 1838 par le sculpteur Dantan Jean Pierre. C’est ce sculpteur qui réalisera une statue humoristique de Lebas tenant un obélisque.
Apollinaire Lebas décédera à Paris le 1ier janvier 1873 et sera enterré au cimetière du Père Lachaise …sous un obélisque en granit.

François Lenglet Octobre 2024
Nota 1-Il sera finalement le seul obélisque à traverser la Méditerranée : face à la difficulté de son transport, le président François Mitterrand décide au siècle suivant de laisser le deuxième obélisque devant le temple de Louxor
1835, l’obélisque arrive à Paris: une anecdote,
Avant le remontage de l’obélisque de Louxor sur la place de la Concorde, le « Luxor » qui venait de déposer l’obélisque au bord de la Seine fut conduit à faire un nouveau voyage pour l’Aber-Ildut, en Bretagne, afin de rapporter les blocs de granit destinés au piédestal de l’obélisque.
En fait, quand les Parisiens découvrirent le monument, un scandale éclata quand ils découvrirent le socle de l’obélisque : il s’agissait d’un bloc de granit constitué d’une série de singes en position debout, face vers l’avant et montrant tous leurs attributs.
Il n’était pas question de garder cette partie du monument et c’est la raison pour laquelle, Apollinaire Lebas fut amené à faire réaliser un nouveau piédestal beaucoup plus discret qu’il fit réaliser en Bretagne.

Principales sources :
- L’obélisque de Luxor : histoire de sa translation à Paris, description des travaux auxquels il a donné lieu…, suivi d’un extrait de l’ouvrage de Fontana sur la translation de l’obélisque du Vatican / par M. A. Lebas,… | Gallica (bnf.fr)
- Jean-Baptiste Appolinaire Lebas et l’obélisque de Louqsor – Passion Provence