1940, La bataille de France au jour le jour, le Lieutenant François LENGLET au cœur de la débâcle – 7

7Nouvelle tentative d’échapper, puis prisonnier, en route vers l’Oflag de Nuremberg

Le lieutenant Lenglet et son groupe, sans armes et sans commandement, se sentent impuissants face à l’implantation des troupes allemandes en Bretagne.

Le 20 juin, malgré les réticences de son capitaine, le lieutenant François Lenglet « décide les Lieutenants à refaire une reconnaissance au Croisic et à la Turballe. Effectivement deux torpilleurs anglais embarquent » ….

Mais « Plus d’espoir ! inutilité ! » …le groupe renonce à fuir

Le 21 juin, le groupe s’installe au Camp de Sarzeau, un camp construit en mai 1940, destiné initialement à loger des réfugiés français.

L’atmosphère semble particulièrement tendue « la population nous considère comme des déserteurs »

Bien loin des évènements qui se passent au niveau national, ils commencent à subir la présence locale des Allemands qui n’hésitent pas à dicter leur loi par voie d’affiches. Par exemple, on peut lire sur cette affiche signée par le Commandant allemand  Werner-Ehrenfeucht placardée vers le 20 juin dans les rues de Nantes :

« Tous les militaires français qui se trouvent encore en ville ou dans les faubourgs sont tenus de se présenter À la Caserne La Moricière AVANT Le 21 JUIN 10 heures dernier délai . Ce délai est valable aussi bien pour les officiers que pour les sous-officiers et les soldats.

Ceux qui ne se conformeraient pas à cet ordre seront passibles du conseil de guerre allemand. » 

Le 23 juin, première rencontre « fortuite » avec des soldats Allemands, dans un restaurant, depuis le début de la guerre.

Ce n’est que le 25 juin qu’ils recevront l’ordre de ne plus sortir du camp.

Le 29 juin, les officiers sont regroupés à la caserne de Vannes, un « frontstalag » commandé par les Allemands : « Nous sentons maintenant la poigne de l’ennemi, nous sommes vraiment prisonniers. »

Le 3 juillet, est un moment de bonheur inespéré : il retrouve sa femme Gisèle, dont il était sans nouvelle depuis le 10 mai, derrière la grille: « Quelle joie, que d’inquiétudes disparaissent »

Voici, en fait, comment François Lenglet, avait, pendant la drôle de guerre, anticipé la fuite de sa petite famille du Nord de la France, région particulièrement menacée. Son collègue, Georges Egret, directeur de l’école de Bertry possédait une voiture. Il l’avait sollicité pour qu’il prenne en charge sa femme Gisèle et son fils Paulo, s’il fallait, un jour, fuir devant les Allemands et c’est ce qu’il fit. Dès le passage des blindés de Rommel à Bertry le 18 mai 1940 , Georges Egret les emmena avec sa famille se réfugier en Bretagne, à Quimperlé.

Ces deux cartes postales montrent comment François Lenglet retrouva Gisèle grâce au réseau d’enseignants de Bretagne

Texte adressé à G Egret : « Chers Amis, Je suppose que vous avez reçu les quelques lettres que je vous ai adressées au début de ce mois- mais nous avons changé tant de fois de cantonnements que j’ai renoncé à recevoir les réponses. Je n’ai pu recueillir d’autre part que des nouvelles très vagues sur ma famille. C’est dans l’espoir d’avoir pu la toucher par votre intermédiaire que je vous prie de l’assurer, qu’en bonne santé, j’attends avec patience le jour de la démobilisation. Croyez en ma bonne amitié. F Lenglet » 

Ce même 3 juillet, il manifeste un autre espoir : la démobilisation, donc, l’espoir qu’une fois l’armistice annoncée puis signée, il pourra rentrer chez lui. Il note en particulier que « la démobilisation se fait actuellement au compte-goutte : 10 par jour par ordre d’ancienneté »

Le 6 juillet, c’est la fin de tout espoir : « Démobilisation interrompue. » 

1940 Frontstalag de Savenay Camp de prisonniers

Le 29 aout, après un séjour « pas trop pénible » dans ce camp, le groupe est interné au camp de Savenay où les conditions de vie ne sont plus les mêmes : « Nous logeons à 24 dans une barraque en tôle sur des lits triple étages aux sommiers de grillage. Pas de paillasse…. Nourriture : un repas chaud par jour- 300g de pain à peine… »

Ce séjour pénible se prolongera jusqu’au 6 septembre

Le 6 septembre, c’est le départ à pied vers la gare de Savenay dans des conditions plus que pénibles puis c’est le départ en train vers l’Allemagne pour un voyage de 7 jours. Le  voyage sera émaillé d’un incident : «  Plusieurs officiers s’échappent peu avant Rouen, mais à l’arrivée nous apprenons que le Capitaine Loriol, père de 7 enfants est tué…. » qui montre bien le danger de s’évader. Un moment d’espoir sera bref « à Lille, à la tombée de la nuit, on nous fait descendre du train avec tous nos bagages : grande satisfaction et grand espoir !   Hélas, 10 minutes après nous devons reprendre notre place »

Le 11 septembre, « nous nous réveillons à Nuremberg »

Le 13 septembre (c’est un vendredi…), François Lenglet s’installe avec ses collègues officiers « dans nos cantonnements définitifs : Barraques avec lits à 3 étages- Paillasse »

Il se retrouve ainsi parmi les 1 900 000 prisonniers de guerre (P.G.) envoyés dans les Oflags et les Stalags, répartis sur l’ensemble du territoire du IIIème Reich , plus précisément , parmi les 36 000 officiers envoyés dans les Oflags.

Carte des camps de prisonniers de guerre . Les flèches jaunes indiquent la position des oflags de F Lenglet : Nuremberg -Langwasser , Oflag XIII A Unterlager B et Oflag X D

Ce qu’il ignore encore, c’est qu’il va passer cinq ans dans ces camps et ne sera libéré par les Britanniques qu’en mai 1945.

Les notes de François  LENGLET  se terminent par cette phrase

« Je ne suis pas seul prisonnier ! »

Notes du Lieutenant  François Lenglet

Partie 7: Nouvelle tentative d’échapper, puis prisonnier, en route vers l’Oflag de Nuremberg du 20 juin au 13 septembre 1940.

Jeudi 20 juin.

Le matin, avec Tanguy, nous allons à Guérande pour ravitaillement en essence et renseignements.

Le Capitaine se rend à St Nazaire – puis La Turballe.  A St Nazaire, il a vu un planton de bureau ! – Le bac ne fonctionne plus

On pourra peut-être embarquer au Croisic pour les Sables d’Olonne.

On demande des volontaires pour l’embarquement. Il y en a très peu, même parmi ceux qui ont réussi celui de Dunkerque.

Plus beaucoup d’espoir ! Inutilité !

En tout état de cause, je décide les Lieutenants à refaire une reconnaissance au Croisic et à la Turballe. Effectivement deux torpilleurs anglais embarquent mais à destination de l’Angleterre ! et au Croisic, le Commandant de la Marine a reçu l’ordre d’empêcher les troupes françaises de profiter de l’occasion !

Nous ne tenterons pas l’aventure. Il ne reste plus qu’à s’enfoncer en Bretagne.

Vendredi 21 juin

1940 Entrée du camp de Sarzeau « Villa Verte »

A Sarzeau, discipline très sévère. La population nous considère comme des déserteurs ou des individus dangereux. Nous obtenons avec difficulté une table à l’hôtel Lesage.

Camp de Sarzeau : Cne Foy (74èRA) Cne Bayer (181è) Cne Fauvarque (.  de … à Oignies..), Lt Cahaer (Agrégé physique Nancy), Lt Lenglet,  Lt Allendecaert  , Lt Nicolas, Lt Blanchard,  Lt Jacquin (médecin)

Samedi 22 juin

Nous apprenons que les boches sont à Vannes depuis la veille à 21h.

Nous restons libres de sortir – Nous allons à Kerguet et Suscinio avec l’Aspirant Archeron- J’y trouve Jean Taine de Bertry qui ne peut donner de nouvelles de ma famille. Les villageois sont bien plus accueillants que les citadins.

Dimanche 23 juin.

En rentrant pour le déjeuner nous trouvons deux boches à table avec une jeune fille. Ce sont les premiers que je vois depuis la guerre avec quel dépit ! Nous faisons de grands efforts pour négliger leur présence.

Lundi 24 juin. Rien à signaler

Mardi 25 juin

27 juin 1940 Les Allemands occupent le Morbihan.

Pendant le déjeuner un planton, vient nous apporter l’ordre de rentrer au camp : d’ordres supérieurs, interdiction absolue d’en sortir. Bien que nous soyons sans garde, nous obtempérons pour éviter tout incident.

Mercredi 26, Jeudi 27, Vendredi 28,

Rien à signaler. Nous espérons toujours une démobilisation.

Samedi 29 

A 5h du matin, ordre de départ pour Lavanof ,  Trinité,  Siwoyer -Contre ordre à 7h.

A 16h rassemblement de tout le camp, les officiers rejoindront la caserne……………à Vannes ……..Nous sentons maintenant la poigne de l’ennemi, nous sommes vraiment prisonniers. Le camarade Tanguy en a les larmes aux yeux.

Dimanche 30 juin.

Toujours sans nouvelle de la famille. Aux jours de sérénité confiante succèdent les heures de noir cafard.

 Beaucoup sont sans nouvelles et espèrent ! mais combien attendront vainement l’être cher disparu dans la bagarre !

Où me rendrai je en cas de démobilisation ?

Lundi 1er, Mardi 2 juillet.

Rien à signaler.

Mercredi 3 juillet.

A 9h30 on m’appelle à la grille – C’est Gisèle !  Quelle joie- que d’inquiétudes disparaissent. Ma petite famille est en bonne santé à Quimperlé ! Chance inespérée.

Il ne reste plus qu’à attendre la démobilisation qui se fait actuellement au compte-goutte : 10 par jour par ordre d’ancienneté.

Jeudi 4 juillet

Gisèle me quitte à midi.

Vendredi 5 juillet.

R.A.S.

Samedi 6 juillet.

Démobilisation interrompue.

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Dimanche 7 juillet

RAS Séjour pas trop pénible -Nourriture suffisante – Distractions : bibliothèque- terrains de jeux- sorties aux bains de Coplau ? deux fois par semaine.

Lundi 29 août – 

1940 Chambre de stalag

Nous quittons La Bourdonnaye en camion à 10h30 pour être internés à Savenay Camp B ouest. Nous logeons à 24 dans une barraque en tôle sur des lits triple étages aux sommiers de grillage. Pas de paillasse- Bien que le temps reste beau, nous nous réveillons engourdis de froid chaque matin.

Nourriture : un repas chaud par jour- 300g de pain à peine- un huitième de camembert- un quart de toréa line le matin.-. Heureusement, les vivres emportés de La Bourdonnaye , nous permettent de composer un deuxième repas froid avec les viandes de conserve.

7 à 8000 hommes viennent nous rejoindre dans ce camp. Les uns sont par terre dans de grands hangars- les autres se sont établis dans des abris sur le terrain vague et poussiéreux avec des débris de tôle et des couvertures.

Distribution d’eau potable 3 fois par jour -Peu de waters et c’est peut-être encore le plus pénible.

Vendredi 6 septembre

Nous embarquons en gare de Savenay- Départ du camp à 7h -Nos » bons gardiens » nous refusent tout véhicule pour le transport de bagages. Aussi, voyons-nous de bons vieux pères de plus de 50 ans plier sous le fait  de ….cantines arrimées  sur des civières pour la commodité du transport. Deux kilomètres à pied dans ces conditions

Nous prenons l’itinéraire Nantes- Angers – Le Mans où nous arrivons à la nuit.

Samedi 7 septembre

Le Mans-Alençon- Rouen-

Plusieurs officiers s’échappent peu avant Rouen, mais à l’arrivée nous apprenons que le Capitaine Loriol, père de 7 enfants est tué et que le Capitaine XX est grièvement blessé. Dans quelles circonstances ? Nous l’apprendrons du débarquement…

Dimanche 8 septembre

La nuit nous amène de Rouen à Pontoise ! puis nous repartons sur Longeaux -Amiens

A midi nous sommes à Arras et le soir à Lille, à la tombée de la nuit, on nous fait descendre du train avec tous nos bagages : grande satisfaction et grand espoir !   Hélas, 10 minutes après nous devons reprendre notre place.

Lundi 9 septembre

Nous nous réveillons à Bruxelles Sharebeck. Et poursuivons par Malines-Diest-Hanselt-Tongres -Nous arrivons à Liège dans la nuit.

Mardi 10 septembre

La 4è nuit passée dans le train a été froide.

Nous quittons Aix la Chapelle à l’aube: Düren- Cologne Ouest- Cologne Sud- Bonn Godesberg, où nous suivons de plus près le Rhin, Andernach-Coblentz, Bingenbrück- Gross- Gerau , Darmstadt-Messel, Aschaffenburg.

Mercredi 11 septembre.

Nuremberg Stade des Congrès Nazis – StadtsParteiGelände

Nous nous réveillons à Nuremberg. Au nord, apparaissent les constructions de l’immense « Stade des Congrès Nazis » et au sud des baraques . C’est vers l’immense camp qu’on nous conduit. D’abord sous la tente où je retrouve Abel Lemaire ! venu de Nantes par le même train que nous. Se poursuivent les opérations d’immatriculation, épouillage, identification, visite de nos paquetages.

1940 Allemagne Oflag

Vendredi 13, Samedi 14 septembre 1940.

A midi, nous nous installons dans nos cantonnements définitifs : Barraques avec lits à 3 étages- Paillasse- Installation satisfaisante -Nourriture assez copieuse mais peu variée et peu nourrissante.

Quelques jours après, j’ai revu dans les blocks voisins : Ducrouet, Wilbas, Desmoulins, Lermignaux, Ledieu, Catel, Ponchet, Afchain, Carlier, Greviller, Legrand, Boutés. Desmarie, Démon, Coras, Seav.

Je ne suis pas seul prisonnier !

François Marie LENGLET, fils de François LENGLET Décembre 2024

Principales sources:

https://bretagne-39-45.forums-actifs.com/images

https://inflexions.net/la-revue/29/pour-nourrir-le-debat/gayme-evelyne-les-oflags-centres-intellectuels

https://prisonniers-de-guerre.fr/les-stalags/

Un commentaire sur “1940, La bataille de France au jour le jour, le Lieutenant François LENGLET au cœur de la débâcle – 7

  1. Merci François de publier ces notes historiques et familiales .

    Il est bon de porter à la connaissance de nos générations futures l’Histoire d’une période difficile. La France ne croyait pas à la guerre et a ainsi laissé monter le nazisme, alors qu’il était peut-être encore temps de réagir à l’occupation de la Ruhr.

    En tout cas le témoignage de ton père est remarquable .

    Mes amitiés à toi et ta famille

    Jean-Marc Claisse

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