1940, La bataille de France au jour le jour, le Lieutenant François LENGLET au cœur de la débâcle-2

Partie 2 : La bataille de Maubeuge du 15 mai au 20 mai  1940    

Le 15 mai, une nouvelle mission est confiée à François Lenglet : établir une base et assister le 364ième R.A. à l’est de Maubeuge, à Cerfontaine où se trouve un des Forts d’observation, destiné à protéger la région.

Cette fois une première inquiétude apparait : « Nous voyons reculer une cohue invraisemblable de voitures de tout modèle, beaucoup de cuisines roulantes, mais, peu de canons…qui émergent du désordre »

Le 16 mai, François Lenglet est victime d’un incident qui faillit lui coûter la vie : « Nous coucherons dans l’abri des Grévaux. A la fin de l’après-midi, j’y essuie un coup de carabine venu des haies de l’Epine. Nous rechercherons vainement le coupable… »

10 mai Parachutages Allemands Pays Bas Belgique

Il s’agit là, très probablement, de l’action d’un agent allemand, infiltré en tenue civile, derrière les lignes françaises, accréditant le mythe de la « cinquième colonne ». Effectivement, les soldats Français apprendront bientôt que les Allemands avaient effectué des parachutages dans la région et mis en place des agents, en leur donnant pour mission de tuer les officiers français et faciliter ainsi la prise des hommes de troupe ennemis, qui seraient ensuite facilement faits prisonniers.   

Dès le 17 mai, l’armée française est forcée de reculer vers l’ouest de Maubeuge. François Lenglet, surpris de l’intensité des bombardements allemands constate les carences de l’armée alliée : « Ah ! les bandits ! Et qu’elle impunité, Aucun avion anglais ou français dans le ciel. »

Le 18 mai, l’arrivée de renforts, peu aguerris, autour de Maubeuge ne le rassure pas. Toutefois la qualité des tirs d’artillerie français  sur le pont de Haumont, au-dessus de la Sambre, freine l’avancée allemande.                    

 Mais surtout, l’armée allemande a ouvert une brèche énorme dans les Ardennes et François Lenglet ne tarde pas à apprendre que « les ennemis ont atteint Landrecies et, peut être, Le Cateau ».    Il se pose immédiatement la question du sort de sa femme et de son fils, installés à Bertry, non loin du Cateau  : « Que sont devenus ma chère Gisèle et notre petit Paulo ? Ont-ils évacué assez tôt ?».

15 mai Positions famille Lenglet dans le flux des Panzers Allemands

Il a bien toutes les raisons d’être inquiet car les Allemands ont mis d’un seul coup des centaines de chars sur le terrain et ont tout bousculé. Ils avancent comme dans du beurre car les avions bombardent les points de résistance devant eux.

Certes, le général De Gaule a réussi, grâce à une initiative personnelle, à retarder l’armée allemande à Montcornet, à 70 km au sud-est de Bertry, grâce à une attaque groupée de 88 chars français, dont les fameux chars B1bis. Mais ce succès français isolé sera sans lendemain. 

Cette poussée de l’armée allemande est assurée, en particulier, par la 7ième Panzer Division du Général Rommel. Ses  blindés  foncent sans chercher à conforter leurs positions, à l’encontre des règles militaires, ils  créent un chaos total parmi les unités françaises. Les Français vont surnommer la division de Rommel « la division fantôme« , car elle surgit toujours là où on ne l’attend pas.

18 mai 7ième Panzer Division de Rommel à Inchy ( ville voisine de Bertry)

Voici comment le général allemand Erwin Rommel décrit cet épisode dans ses mémoires :

« Civils et soldats, la terreur peinte sur leurs visages, s’entassaient dans les tranchées le long des clôtures et dans les creux du sol. Nous passâmes des files de charrettes abandonnées par les réfugiés qui avaient fui, en panique, dans les champs. Nous continuions à allure régulière vers notre objectif ››. 

De son coté, François Lenglet n’aura des nouvelles de sa famille que fin juin 1940.

Le 19 mai confirme bien la débandade des armées alliées. Le récit de François Lenglet montre  que les soldats français n’ont pas de vision d’ensemble des combats. Il se doute que les choses tournent mal pour les alliés en se repositionnant sans cesse au milieu du flot de réfugiés. 

Plongé dans l’action opérationnelle, il ne semble pas informé que le Général Weygand vient de remplacer le Général Gamelin à la tête de l’armée française, que le Maréchal Pétain vient d’être appelé par le Président Paul Reynaud au gouvernement et qu’il va bientôt appeler l’armée française à se rendre.

Maubeuge, la ville garnison, ceinturée par ses forts, est sous les bombardements allemands, depuis le 16 mai. Les civils se réfugient dans les caves et les abris, les bombes et les incendies ravagent 90% du centre historique de la ville.

 Les Allemands, combattent au corps à corps les artilleurs de la batterie 105 au Fort de Leveau d’où François  LENGLET pilote les tirs d’artillerie. Ce Fort de Leveau , un des Forts ayant été intensément bombardé en septembre 1914, a fait l’objet d’une remise en état de 1935 à  1940, pour stocker du matériel et servir d’observatoire. En 1940, il est censé permettre de stopper l’avancée allemande.

Malgré les injonctions du Général Bejard de rester sur place, François LENGLET, soucieux de sauvegarder ses équipements topographiques et ses hommes, décide de reculer vers un nouveau point de ralliement des armées française : Marly …mais, à l’arrivée à Marly:    « … plus d’état-major à Marly ».

Le groupe continue à reculer vers St Amand puis Douai. Arrivé à Douai à la nuit du 19 mai, il découvre que la ville et surtout la gare ont été bombardées en fin de matinée. Tout le quartier de la gare est en feu, les victimes se comptent par centaines.  Une panique incontrôlable vide la ville.

Il part à pied aux renseignements et instructions : « A l’arsenal je trouve deux officiers et quelques hommes qui s’enfuient » …. « … aux bureaux de la place, personne, inutile d’insister… »

Notes du Lieutenant LENGLET François au jour le jour.

 Partie 2: La défense de Maubeuge et sa région du 15 au 20 mai 1940.             

Mercredi 15 mai.

Quelques trainards refluent de Belgique-principalement de Philippeville, Beaumont. Nous les considérons froidement comme des déserteurs, avec ordre de les arrêter en les incorporant aux batteries. Il faut se préparer à tirer.

Nous installons une base « Les Grévaux-Les Guides ».

A la fin de l’après-midi, on me demande de piloter le Colonel Philippat du 364ème R.A. (Régiment d’Artillerie) chez le Général Béjard qui lui donne le commandement de l’artillerie du Secteur fortifié de Maubeuge – puis nous allons à Cerfontaine où le Colonel vient attendre son régiment.

14 mai 1940 Soldats Belges en retraite entre Bruxelles et Louvain

Pendant 3 heures nous voyons refluer une cohue invraisemblable de voitures de tout modèle-Beaucoup de cuisines roulantes, mais peu de canons -sauf pour le 104e R.A.L.A (Régiment d’Artillerie Lourde Automobile) et le 188e et 189e R.A. qui émergent du désordre. 

Le Colonel Philippat a lui aussi récupéré la plus grande partie de son matériel qu’il cantonne à Ferrière la Grande et Ferrière la Petite au lieu de Douzies comme il était prévu.

Jeudi 16 mai.

Les traînards refluant de Belgique sont de plus en plus nombreux. On nous envoie tous les artilleurs et nous ne savons plus qu’en faire.

La colonne de réfugiés belges s’écoule en un fleuve à peu près ordonné par les Guides, la rue des Ramoneurs-Vieux Mesnil-Pont sur Sambre.

Nous sentons l’approche de l’ennemi.

Des bombardements massifs sur Douzies- Louvroil- Haumont nous incitent à prendre des précautions.

Nous coucherons dans l’abri des Grévaux. A la fin de l’après-midi, j’y essuie un coup de carabine venu des haies de l’Epine. Nous recherchons vainement le coupable. Une garde sévère est organisée pour la nuit. Pas d’incident. Les batteries du Sud de Maubeuge ont tiré toute la nuit.

A 22 ou 23 H, j’observe des signaux à balles traceuses -direction plein sud-Renseignements non transmis.

Vendredi 17 mai.

A 11h., la base est prête, la colonne des réfugiés belges s’amplifie. A table, à midi, on signale que des infiltrations ennemies se sont produites dans la région d’Avesnes_ (erreur : c’était probablement la position de DCA) Les batteries du 2ième groupe et la base S.O.M. devront faire face au Sud.

A la fin de l’après-midi, le P.C. est évacué assez précipitamment vers le Gros Chêne. J’ai récupéré à peu près tout mon matériel ,malgré l’incendie allumé prématurément et sans ordre par le M.d.L. Delbey.

Fort de Leveau Région Maubeuge musée militaire

J’appelle la batterie de 105 du Fort de Leveau pour la régler. Au moment où j’annonce « Section prête « , la batterie est violemment prise à partie par l’aviation ennemie.  Nous renonçons au réglage. La batterie tirera à la carte sur la route d’Avesnes (carrefour les 3 Pavés) (Ce sera avec succès : 15km)

Nous arrivons à la nuit. Quelques œufs mangés sur le pouce chez le Lt. Lesaffre me revigorent sérieusement.

Samedi 18 mai

Une division de l’Est (la 43ième avec le 158è R.I./ 1er, 10è, 29è Bataillons de Chasolet/ 6è R.T. (Régiment de Tirailleurs Marocains)12è R.A./212è R.A.) vient pour nous renforcer, mais ses éléments semblent bien effrayés par l’aviation ,et, nous la perdons de vue dans le cours de la matinée. (D’après les déclarations ultérieures d’un Lt. d’Etat major de la 43ième D.I. cette unité était étalée de Charleroi aux abords de Maubeuge et avait reçu l’ordre à 23h. de se regrouper à Maubeuge pour le lendemain matin à 4h. Le temps manquait pour réaliser ce regroupement.)A midi, je vais mettre la batterie du Lt. Lesaffre, formée de sa section et de deux pièces ramenées par le Capitaine Audoin du 3ième groupe en surveillance – Cela ne m’était pas arrivé depuis 10 ans ! – mais l’opération a bien réussi. Nous tirons parfaitement sur le pont d’Hautmont (déclaration des fantassins, puis ultérieurement d’un sous-lieutenant du 84 qui assurait la garde du pont). (Pendant toute la durée du tir, les Allemands se tenaient coi)

15 mai Bombardement Allemand sur la route de Maubeuge

La semaine précédente nous y prenions nos meilleures distractions ! Ainsi va la guerre !

Vers 15h., je suis envoyé en liaison à St Waast la Vallée vers la Section de transport.

J’y porte l’ordre d’envoyer au Quesnoy deux chariots pour y prendre du ravitaillement ; l’un rejoindra la 4ième Batterie à Amfroid , l’autre ravitaillera la 5ième et la 6ième Batterie au Fort de Leveau et la ferme des Sarts.

Je trouve Bavay en partie détruite par le bombardement massif de la veille.

Inondée de réfugiés, elle subira de nouveau un bombardement une demi-heure après notre passage.

Ah ! les bandits ! Et quelle impunité ! Aucun avion français ou anglais dans le ciel.

J’apprends que des éléments avancés ennemis ont atteint Landrecies et peut-être Le Cateau.

Que sont devenus ma chère Gisèle et notre petit Paulo ? Ont-ils évacué assez tôt ?

Il est 23 heures, notre batterie de 75 s’en donne à cœur joie – On entend des tirs de mitrailleuse dans le lointain.

Deschepper de Marpent Nors a annoncé qu’il était entouré de chars ennemis- et plus d’artillerie pour lui porter secours- le Commandant en a une crise cardiaque- mais nous tiendrons bon toute la nuit.

Dimanche 19 mai.

A 1h30, des éclatements rapprochés viennent se superposer aux départs de notre batterie de 75. L’ennemi tire fusant dans notre secteur. Tout le monde est sur pied.

La Batterie de 105 de Fort de Leveau, harcelée par des tirailleurs ennemis doit combattre au mousqueton. Elle reprend le tir, mais est constamment gênée par ces tirailleurs.

Vers 10h, une compagnie du 87 va nettoyer ce secteur. Elle n’y trouve rien, ou presque, quelques éléments qui se réfugient dans le bois des Sarts (deux patrouilles du 87 à 23h30/ de 9h à 10h trois sections du 158ième R.I. nettoient le dessus du Fort de Leveau./ à 11h30, les deux téléphonistes de la boîte de coupure du fort sont tués/ à 15h00, nouvelle contre-attaque avec chars puis à 15h30 par des éléments du 3ème  Marocains). On nous demande un tir sur le bois, mais les positions relatives des amis et ennemis paraissent si confuses que nous n’osons pas le déclencher.

Blockhaus Nord Forêt de Mormal

A 12h, les ouvrages du Nord Est annoncent que leurs arrières sont infestés de fantassins ennemis. Nous savons que des éléments ennemis motorisés sortent de la forêt de Mormal par le Nord. Enfin un bataillon du 158ème R.I. se met en place autour de La Longeville. Mais il semble qu’il est obligé de se précipiter successivement dans toutes les directions.

Le Général Béjard dont le P.C. est à La Longeville et qui s’est opposé à l’installation d’une ligne téléphonique, s’oppose à tout départ même des éléments inutiles. (Ici se passe un épisode que je n’arrive pas à comprendre. C’est vers 10h que le Capitaine Leconte du 161ième/II, inquiet sur le sort de la 6ième compagnie dont il n’a plus entendu parler depuis la veille décide de se rendre sur place. Il part seul en voiture de tourisme, arrive sans encombre à la ferme Choquet (celui-ci est en train de charger sa camionnette de ses meubles pour évacuer) Il ne trouve personne, ni artilleurs (ils ont été faits prisonniers dans la nuit précédente), ni allemands). Il revient au Gros Chêne sans avoir été inquiété !

Vers 14h, je décide de sauver le matériel S.O.M. et radio porté par le break, emmenant avec moi le M.d.L. Suberville, le Br. Malfoy et le chauffeur Jumeaux. Le M.d.L. Durand et Mériaux suivront à bicyclette. Les autres hommes de la section ont été laissés aux pièces de 75 où ils ont remplacé les pelotons fatigués qui avaient tiré toute la nuit.

Par l’itinéraire Taisnières sur Hon, Hergie, Eugnies, Guesignies, Autreppe, Roisin, Sebourg, nous arrivons sans encombre à Marly (P.C. du 1ier groupe fixé par le Commandant comme point de ralliement).

Mais, plus d’Etat Major du 1ier groupe à Marly, personne pour nous renseigner.

Un officier du 3ème G.R.C.A. (Groupement de Reconnaissance de Corps d’Armée) nous apprend qu’un de ses escadrons a été fortement accroché par des éléments ennemis sur la ligne Jeulain-Wargnies.

Nous nous rendons à St Amand Thermal à la 1ère Batterie du 1er groupe. Un peu de réconfort auprès d’Abel (Lt. Lemaire), puis direction Douai par Marchiennes où une colonne de réfugiés a été bombardée. Des cadavres gisent sur le trottoir.

Sur toutes les routes, et dans toutes les directions, un flot humain affolé

Le Break crève à Dorignies à 21h30. (Un groupe anglais garde les ponts avec un ou deux fusils mitrailleurs)

 Je laisse les hommes et vais à pied à Douai pour renseignements-La gare a été bombardée au début de l’après-midi, 300 victimes dit-on.

Tout le quartier de la gare est en feu. A l’arsenal, je trouve deux officiers et quelques hommes qui s’enfuient, les premiers en auto, les autres à bicyclette vers Arras et Lens.

Gare de Douai après les bombardements

Un avion bombarde l’arsenal en piqué alors que j’essaie vainement de prendre les renseignements. Un sous-lieutenant, très froid, me conduit aux bureaux de la place.

Mais personne ! Inutile d’insister.

Je retourne à Dorignies, où nous passons une très bonne nuit dans une épicerie près du Chateau Treuffet, face au canal.

(En me rendant aux bureaux de la place, je passe devant le Lycée où je ne remarque rien d’anormal- Au retour, des flammes s’élèvent du bâtiment. Le Lycée a donc été incendié dans la nuit du 19 mai, (vers minuit.) par un avion isolé qui venait entretenir l’incendie allumé dans l’après- midi par le gros bombardement du quartier de la gare.).

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