1940, La bataille de France au jour le jour, le lieutenant François Lenglet au cœur de la débâcle-1

Partie 1: Au secours de la Belgique: le Plan Dyle Breda 10 mai 1940/14 mai 1940

« Le 10 Mai 1940- 4h- Alerte -5 avions boches survolent Bertry et vont bombarder le terrain d’aviation de Niergnies. » Ainsi commence le carnet de notes de mon père, le Lieutenant François Lenglet, qui va décrire heure par heure, jour après jour, son parcours au cours de la débâcle de l’armée française face à l’armée allemande.

François Lenglet est né en juin 1906 à Bertry, un petit village du Cambrésis, où toute la famille est employée dans l’industrie textile. Il va faire de brillantes études à l’Ecole Normale d’Instituteurs de Douai puis, devenu instituteur, il rentre à la faculté des sciences de Lille, et obtient une licence en mathématiques. Il fera son service militaire dans l’armée de terre. Il obtiendra le titre de Lieutenant dans l’artillerie, spécialiste en topographie. Revenu dans la vie civile, il deviendra professeur, se mariera en 1934, à Bertry, avec Gisèle Toussaint, ils auront un premier fils en 1936 : Paul que mon père appelait toujours « Paulo ».

Depuis 1935, ils sont installés à Dunkerque, où François Lenglet occupe un poste de professeur d’Education physique et sportive et de mathématiques au Lycée Jean Bart.

Revenons au 10 mai 1940 : depuis le 3 septembre 1939, la France et l’Allemagne sont de nouveau en guerre. Mais pour le moment, il n’y a pas eu d’affrontement direct. Durant cette « drôle de guerre », le Nord de la France vit aux aguets, car la Belgique – officiellement neutre -pourrait bien être envahie de nouveau par l’armée allemande. François Lenglet a été mis en état d’alerte par l’armée française.

 Ce 10 mai 1940, en permission pendant la période des congés de Pentecôte, comme beaucoup de camarades, il est venu passer quelques jours de vacances en famille à Bertry. 

Ce premier bombardement de l’aéroport militaire de Cambrai signifie très clairement pour lui qu’il s’agit du signal que la guerre vient de commencer, que les Allemands viennent envahir la France. Sans attendre de nouvelles consignes, il va rejoindre, avec ses camarades, le poste de commandement de son régiment, le 161ème R.A.P (Régiment d’Artillerie de Position) situé à Neuf Mesnil dans la région de Maubeuge.

Pourtant, il ne recevra son ordre officiel de mobilisation que le 23 mai.

Spécialisé dans la topographie, donc dans la cartographie, les plans de repérage puis le réglage des tirs d’artillerie, Francois Lenglet doit être placé aux avant-postes pour assister les divisions d’artillerie mécanisées. C’est ainsi qu’il pilote la Section d’Observation Motorisée (S.O.M.) du 161è régiment d’artillerie. Cette section dispose d’un véhicule équipé du matériel de repérage appelé le « break » avec lequel mon père et son équipe pourront se rendre rapidement aux avants postes .

Dès le 11 mai, sa section partira vers la Belgique, pour mettre en œuvre le Plan Dyle-Breda, établi par le Général français Gamelin. Ce plan a pour objectif d’aider l’armée belge à bloquer la pénétration des Allemands en Belgique le long de la rivière la Dyle c’est-à-dire prendre position sur l’axe Mézières-Namur-Anvers.

Jusqu’au 14 mai, il va effectuer des repérages cartographiques au sud de Bruxelles aux environs d’Ottignies, « d’où nous visons le lion de Waterloo » et toute la région. Il va assister l’artillerie à sa mise en place et à l’orientation des tirs.

De retour au PC de Neuf Mesnil, il semble confiant, optimiste et fier du travail accompli : « les forces du 3è et 4è corps, de la 1ère D.I.M. ont pu s’installer sans être gênées par l’ennemi et ont eu le temps de s’organiser ». Il nuance néanmoins : « L’aviation ennemi semble avoir la maîtrise de l’air » et « l’accumulation de matériel me fait craindre des pertes énormes en cas de retraite »

Notes du Lieutenant LENGLET François au jour le jour du 10 mai 1940 au 14 septembre 1940. 

Mon père va prendre des notes tout le long de son parcours sur des cahiers d’écoliers, des feuilles volantes voir même griffonner sur le dos de documents publicitaires ,ceci en fonction de ce qu’il trouvait.

Heureusement, il n’oubliait jamais d’inscrire la date, ce qui a permis de reconstituer la totalité de la chronologie de son parcours malgré la diversité et la dispersion des documents.

Partie 1: La Défense de la Belgique: Le Plan Dyle Breda du 10 au 14 mai 1940

Vendredi 10 mai 1940

4h- Alerte -5 avions boches survolent Bertry et vont bombarder le terrain d’aviation de Niergnies. Au retour, un Morane s’attaque à deux bombardiers , aile dans l’aile, mais il rompt le combat.

12h- Une voiture du groupe vient me prendre à Bertry- Arrivée au P.C. (poste de commandement) à Neuf Mesnil à 13h30.

15h- Départ du P.C. avec le détachement S.O.M. (Section d’Observation Motorisée), une touriste et le break.

Composition du détachement :

Lieutenant LENGLET, M.d. L. Suberville, M.d.L Durand ,Br Malfoy, Br Chef Caudrelier, Berthe, Berquet, Mériaux, Fichten, Dubacq Chauffeurs : Limelette et Jumeaux

17h30- Arrivée à Vicoignes,  Valenciennes a été bombardée 10 minutes avant notre passage : une quinzaine de victimes civiles.

23h- Conseil de guerre de la Section topographique de l’Armée : G.C.T.A.  (Groupe de Commandement Tactique de l’Armée) : Commandant Proudhon, Capitaine  Boissard, Sous Lieutenant Moui

S.T.C.A. (Section Topographique de Corps d’Armée)     Cne Cazenove

S.O.M.  (Section d’Observation Motorisée) 11e Bie Repérage    Lt Vivien

S.O.M.   105e RALH (Régiment d’Artillerie Lourde Hippomobile) Lt Marozeau

S.O.M.   161e RAP (Régiment d’Artillerie de Position) 2ème groupe Lt Lenglet

On décide de partir le lendemain à l’aube pour la Belgique sans attendre le G.R.C.A. (Groupe de Reconnaissance de Corps d’Armée) – dont le départ est retardé.

Samedi 11mai.

11 mai 1940 Presse belge

5h10 Départ de Vicoigne. Je commande la colonne en l’absence du Commandant Prud’hon et du Capitaine Boissard partis aux renseignements à Bruxelles à l’Institut Géographique.

Itinéraire : Bruay S/Exant – Mons – Nivelles par Roeulx – Genappe – Court St Etienne – Ottignies

Accueil enthousiaste des Belges – Pas d’incident – De ci, de là, traces de bombardements, en particulier le champ d’aviation de Nivelles.

9h   Au Chateau d’Ottignies, accueil assez réservé du propriétaire – La gare a été bombardée le matin – Je décide de rechercher un cantonnement moins exposé, à 1km500, à l’Est, à Blocry . Accueil charmant du curé.

Lion de Waterloo

11h   Après l’organisation du cantonnement, nous entreprenons notre travail topographique par un tour d’horizon du haut du réservoir de Blocry (d’où nous visons le lion de Waterloo) Dans l’après-midi, nous préparons un point à la sortie Est de Céroux Monsty. Nous assistons à la montée impeccable du 11ème dragons portés, protégés par 12 Moranes volant bas.

A la tombée de la nuit, nous retrouvons dans Ottignies la batterie divisionnaire de 47 antichars du 15éme R.A.D. (Régiment d’Artillerie Divisionnaire), le 6è G. R. C. A. (Groupe de Reconnaissance de Corps d’Armée) , et, d’autres éléments de la 1ière D.I.M. ( Division d’Infanterie Motorisée).

Dimanche 12 mai.

Notre travail continue dans de bonnes conditions. A la station de la Ferme de la Grange à la Dîme, nous assistons à l’installation du 1er R.I. (Régiment d’Infanterie)

A la fin de la journée, il apparaît que nos D.L.M. (Divisions Légères Motorisées) contiennent difficilement l’ennemi (qui a franchi le canal Albert)

Le Lt Vivien est bombardé et mitraillé sur la route de Namur, près de Corbaix.

Nous décidons de changer de cantonnement le lendemain.

Une partie de la nuit est consacrée aux calculs.

Lundi 13 mai

Nous nous installons à Céroux Monsty, hameau des Puces -Accueil charmant chez un fermier- nous continuons les calculs

A 13h. le G.C.T.A. (Groupe de Contrôle Tactique de l’Armée) vient nous retrouver. Achèvement des calculs d’intersection.

Mardi 14 mai.

Le Capitaine Boissard me demande d’exécuter deux « soleils » de fermeture sur le cheminement Court St – Bousval.

1940 Groupe de visée S.O.M.

Beaucoup de peine pour se rendre à Bousval par les chemins de terre. Le « soleil » exécuté face à l’église sous un combat de Moranes et de Messerschmitts est réalisé en un temps record.

La situation ne me paraît pas bien claire. Nous trouvons un toubib du 11ème dragons qui nous dit que ce régiment a été plus que décimé par l’aviation adverse. Beaucoup de Chasseurs Ardennais refluent.     Cela sent la bataille imminente.

Je rentre difficilement à Céroux Monsty et rends compte au Capitaine.

Nous porterons les renseignements topographiques aux divisions et la dislocation de la Section Topographique sera réalisée.

Je me rends près de la Roche (à Tanguissart) à l’A.D.  (Artillerie Divisionnaire) de la 1ère division motorisée.

J’y retrouve le Commandant Marandet et le Capitaine Donmartin que j’avais connus , au 103 à Rouen.

Les papiers remis, je regagne Genappe pour y reprendre le break laissé au passage. Nous repartons à midi vers Nivelles par un itinéraire détourné (chemin de terre)

Nous mangeons entre Roeulx et Michaux chez des réfugiés de Liège qui reçoivent les hommes avec beaucoup de prévenance.Après une ample provision de tabac, nous rentrons à Neuf Mesnil sans le moindre accroc.

  En somme , excursion très mouvementée mais bien agréable. Nous sommes partout passés un quart d’heure avant ou après le danger !

Je rends compte au Commandant Dognin que dans la région Wawre, Gembloux les forces du 3ème et du 4ème Corps et de la 1ere D.I.M. ont pu s’installer sans être gênées par l’ennemi et qu’elles ont eu le temps de s’y organiser.

1940 Stukas allemands

L’aviation ennemie opère avec beaucoup d’audace et semble avoir la maîtrise de l’air.

 L ‘accumulation de matériel sur la ligne de résistance dans une région où les chemins sont peu nombreux et très étroits me fait craindre des pertes énormes en cas de retraite.

Le Commandant Dognin communique par téléphone  au Général  Béjard mes renseignements optimistes et lui demande s’il veut me voir. Mais, le Général a d’autres soucis.

              

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