Opération Dragoon: les résistants participent à la libération de Lorgues. Un témoignage inédit de Claude Bergogne.

Claude Bergogne nous décrit quelques acteurs de la résistance lorguaise et nous raconte quelques épisodes survenus lors de la libération de la Provence en aout 1944.

Tout ce qu’il décrit aujourd’hui, lui a été raconté durant ces dernières années par certains acteurs de la résistance lorguaise.

1944 Principaux sites et maquis de la résistance autour de Lorgues

L’histoire de quelques héros lorguais de la résistance.

Charles  Valériano, un acteur majeur de la résistance lorguaise

Charles Valériano est né le 14 juillet 1925, sous un pin dans la forêt lorguaise, cela ne s’invente pas.

En 1940, il habitait dans la forêt, à La Marsanne, en face de Saint Ferréol. Il était très proche de la nature, il exerçait le métier de bucheron et était un excellent chasseur. En 1942,pendant la seconde guerre mondiale, au cours d’une nuit noire, entendant du bruit, il sort de sa maison et se retrouve entouré de lorguais qu’il connaissait bien : René Jassaud, Serge Tchirinkinoff, Raymond Allary. Il va vite comprendre qu’il s’agit en fait d’un groupe de résistants qui cachaient des armes dans le cabanon de Mr Cauvin, l’hôtelier de Lorgues.

1995 Claude Bergogne Charles Valériano

C’est ainsi qu’il va rejoindre la résistance lorguaise dont le chef était Roger Pieplu que beaucoup de lorguais appelaient « Le Coq » mais qui dans la résistance était nommé « Nénette » (2). Il y avait à l’époque environ 50 résistants sur Lorgues qui étaient supervisés depuis Alger considéré à cette date comme capitale de la France libre.

Charles Valériano, qui connaissait parfaitement la région, réalisera de nombreuses missions pour la résistance : le transport d’armes, le ravitaillement des groupes de résistants avec la complicité de Mr Clément qui était transporteur, l’approvisionnement en chaussures avec l’aide d’employés de l’usine de Flayosc.

Il participait aux réunions des résistants qui se tenaient discrètement chez le boulanger Roger Pieplu, près de la Place Neuve à Lorgues.

Il sera un des acteurs majeurs d’un épisode plutôt dramatique de cette guerre : il participera à l’exécution d’un traître, il s’agissait d’un Américain handicapé que l’on retrouvait souvent dans le centre de Lorgues et qui était plutôt bavard. C’est ainsi que le chef de la résistance Roger Pieplu se rendit compte que l’américain avait réussi à répertorier tous les résistants de Lorgues et qu’en fait, c’était un espion particulièrement dangereux.

Un jour, on vit notre américain monter dans le car à destination de Draguignan, très probablement, pour se rendre à la Kommandantur allemande installée dans un blockhaus à l’hôtel Bertin . Les résistants lorguais n’ignoraient pas qu’il avait sur lui une liste d’au moins 25 résistants, ils n’hésitèrent pas à bloquer le car et à enlever cet américain qui fut immédiatement emmené dans la forêt du coté de St Ferréol pour y être exécuté.

Il racontait un autre épisode qui s’est déroulé peu de temps avant le débarquement en Provence. Au printemps 1944, les Allemands rassemblèrent un certain nombre de Lorguais pour les emmener de force vers La Londe. Ce travail forcé, avait pour objectif de renforcer les défenses allemandes en creusant des tranchées, installant des pieux, et des barbelés. Les frères Allary et Charles Valériano firent partie de ce groupe. C’est lors de cette opération que, profitant d’un moment d’inattention des Allemands, René Allary parvint à couper le câble de communication reliant Nice à Marseille.   

Gaston Denis, un héros tué aux Arcs le 15 août 1944 .

Le beau-frère de Charles Valériano, Gaston Denis, père de deux enfants, fera partie des 13 lorguais tués lors de la confrontation avec les Allemands aux Arcs. Il se trouvait à côté de René Jassaud, chauffeur de la camionnette prise dans le feu des soldats Allemands.

1944 Gaston Denis

Son fils André Denis raconte « Au sujet des souvenirs de mon père, j’en ai très peu, j’avais 14 mois au 15 août 1944, mon frère 36 mois. Sinon je me souviens que ma mère m’a dit que ce jour du 15 août 1944, juste avant que René Jassaud chauffeur de camion vienne le chercher rue des Badiers à Lorgues, Gaston, ton père était occupé à faire du concentré de tomates (appelé coulis) avec elle. Il a tout arrêté et est parti avec ses camarades. Ma mère ne l’a plus revu. Mon père se trouvait à l’avant du camion à bois de René. En effet, c’était l’époque du gazogène, d’ailleurs son nom de maquisard c’était « Gazo ».

Les autres souvenirs sont rares, sinon qu’au cours de l’attaque, il a été coupé en deux. René, quant à lui, a été gravement blessé. Tous ces instants tragiques, je les tiens de René que j’ai rencontré beaucoup plus tard à Marseille. »

Serge Tchirinkinoff, pourvoyeur d’armes pour la résistance.

Serge Tchirinkinoff était le fils d’un Russe blanc, officier de l’armée Russe qui s’était réfugié en France lors de la première guerre mondiale. Il était resté en France et participa activement à la résistance alors que son frère était reparti en Russie.

1947 Serge Tchirinkinoff , Paul Borghèse, René Jassaud

Toujours très actif, il cachait des armes à Lorgues sur la Place Neuve, dans la maison de sa mère de son vrai nom Louise Maxime Rose mais que tout le monde surnommait « Mémé Rose ». Il n’hésitera pas à participer le 14 juillet 1944, avec Jassaud, à un transport d’armes de Canjuers en passant à Draguignan en camionnette devant l’hôtel Bertin où se trouvait la Kommandantur allemande avant de cacher les armes aux Nouradons

Le 17 aout, il sera blessé au Thoronet. Soigné par les Américains en Italie, il reprendra le combat en Allemagne, en particulier dans l’espoir de retrouver son frère au sein de l’armée russe. Hélas son frère restera introuvable malgré des recherches particulièrement poussées. Mémé Rose angoissée par l’absence de nouvelles, adressera un courrier aux plus hautes autorités militaires française, elle reçut même un courrier signé par le Général De Gaule lui confirmant que son fils était bien en Russie et qu’il travaillait dans l’aéronautique. Elle n’en saura jamais plus car on était en pleine guerre froide et les informations sensibles restaient secrètes.  

Léonce, le berger,                                                                                    

Léonce était berger dans le secteur de Lorgues, pour nourrir son troupeau, il le conduisait régulièrement à travers la campagne lorguaise.

Pendant la guerre, dans certains secteurs bien ciblés, éloignés de la ville, il laissait s’évader quelques moutons. Il n’ignorait pas que ces moutons seraient bientôt repris par les maquisards qui auraient ainsi de quoi se nourrir en toute discrétion.

1960 Léonce le berger (Photo Robert Doisneau)

Il parait même que certaines brebis s’égaraient dans les caves de Lorgues quand le troupeau traversait le village…

Après la guerre, il faisait manger ses brebis dans tous les quartiers de Lorgues, il ne réclama jamais le prix de ces moutons « offerts » aux résistants et aux lorguais affamés au gouvernement provisoire à la libération… En contrepartie, les propriétaires lorguais laissait son troupeau paître sur leur terrain sans réclamer la moindre compensation.

Jean Turchi

Jean Turchi, qui donnera après la guerre son nom au stade de Lorgues, était en fait un grand résistant. C’était à Lorgues un coiffeur réputé qui intégrera rapidement la résistance sous le nom de « Pommade ». Il était surtout spécialisé dans le transport de la nourriture et des armes à destination du maquis.

Il était d’origine italienne et avait fui le régime de Mussolini, les fascistes et ….l’huile de ricin ??? (1) il sera naturalisé français en 1939.

A la Libération, il se distinguera en refusant de tondre les femmes impliquées pendant la guerre à des degrés divers avec les occupants. En fait, il n’ignorait pas que l’une d’entre elles fréquentait les officiers allemands à Draguignan mais qu’elle avait en fait un objectif précis : espionner puis renseigner la résistance lorguaise.

Il sera ensuite président du football de Lorgues pendant très longtemps.

Témoignage de Claude Bergogne recueilli en 2023.

1- Monsieur TURCHI avait vu en Italie les chemises noires faire boire les (anti fascistes ) de l’huile de ricin de force sur la place publique en Italie  , il pris la décision de partir en France et de demander la nationalité française qu’il obtiendra en 1939 .

2-Le nom de Charles Valériano de résistant était  » l’écureuil  » 

Autre note :la Légion, la Légion Volontaire Française était des miliciens obéissant au régime de Pétain et se déplaçaient en tenue allemande (ils furent 50 à 100000.)

Annexe : Comment le fils de Gaston Denis fit la rencontre de René Jassaud, héros de la résistance lorguaise ?

Le résistant lorguais Gaston Denis était né au Luc le 15 août 1920. Il a épousé Marie Valériano le 16 mars 1940 à Lorgues. De leur union, sont nés deux garçons, André et Gilbert. André Denis, son fils, nous raconte sa première rencontre avec René Jassaud, héros de la résistance lorguaise qui échappa le 15 août 1944 au guet append qui tua 13 lorguais à l’entrée des Arcs.

« Voici comment j’ai rencontré René Jassaud, par le plus pur des hazards,31 ans plus tard.

Je vaquais à mes occupations professionnelles dans Marseille où je livrai du fret dans les dépôts. Un jour, qu’elle fût ma surprise de voir se garer à côté de moi un camion immatriculé dans le Var, avec sur ses flans en grosses lettres TRANSPORT LORGUES.

1961 René Jassaud carte d’ancien résistant

Aussitôt, je me suis précipité pour voir le chauffeur, un petit bonhomme en salopette, plutôt bedonnant, le vrai camionneur. Je lui ai demandé : « Vous êtes de Lorgues ? », « Oui », me répond-il.

Je me suis présenté, natif de Lorgues, résidant sur Marseille depuis longtemps. Je lui ai parlé de mes oncles et tantes. Il ajoute  » et tu as un frère ». Je n’en croyais pas mes oreilles tellement j’étais étonné et lui ait demandé comment il était au courant. René Jassaud répond « Comment je le sais ? Ton père était à mes côtés le jour du drame où 12 de nos collègues ont été tués ».

Je venais de rencontrer 31 ans après, le chauffeur de la camionnette dans laquelle mon père avait pris place à l’avant de celle-ci. Je m’abreuvais de tous ces détails dont ma mère ignorait certainement une grande partie.

René Jassaud m’a donc raconté comment, ce 15 août 1944, tous deux grièvement blessés, mon père Denis Gaston, qui avait reçu une rafale dans le ventre, et lui-même, blessé au visage et au bras, se sont trainés dans la vigne,  « tous les deux cul-à-cul »

Denis Gaston a réussi à sa cacher derrière une ferme, sur un tas d’immondices, appelés « la suie » à l’époque. Les personnes de la ferme ne purent rien faire pour lui. Lorsque les secours sont arrivés, ils le trouvèrent agonisant. Il décéda sur Draguignan où il fût amené. Son épouse le reconnu à son ceinturon.

« Voilà comment j’ai connu René. Chaque 15 août et depuis longtemps, je vais aux cérémonies et je le rencontre chaleureusement. D’ailleurs à l’inauguration de l’espace René Jassaud, j’étais à ses côtés, il y tenait, il m’a pris gentiment la main, j’en avais les larmes aux yeux. »

René JASSAUD nous a quitté le 21 mars 2020.

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