Je suis né en janvier 1947, en Provence, aux Arcs sur Argens quelques mois après la fin de la seconde guerre mondiale. Dès l’enfance, j’ai été plongé dans la lourde atmosphère de cette guerre. En effet, mon père Justin, né le 20 octobre 1920 à Marseille sera, après l’école, employé à la SNCF puis mobilisé dans la marine. Il racontait toujours avec passion son parcours pendant la guerre.

Au début de la guerre en 1940, il a 20 ans, il est mobilisé dans la marine à Toulon et est affecté sur une batterie de D.C.A. Côtière (Défense Contre les Avions). C’était la toute première fois que l’armée française s’équipait de canons antiaériens. Il parviendra à repousser les premières attaques aériennes des Italiens quelques jours avant l’armistice.
Il racontait souvent ce triste souvenir, celui de ce sous-officier français qui venant en avion des pistes du Cannet des Maures a contribué à abattre quelques avions italiens avant, lui-même, d’être frappé par l’artillerie ennemie. Il gardait surtout en mémoire les images de son passage en feu au-dessus des Arcs avant de s’écraser.

dans la Marine française
Il décide le 22 mars 1941 de s’engager pour 3 ans et va rejoindre les unités régulières de la marine française. Il est immédiatement muté à Bizerte puis Sidi Abdhalla en Tunisie ce qui lui évite de connaître le sabordage de la flotte française le 22 novembre.
Après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, il participe au premier affrontement entre les troupes alliés et les allemands : la bataille de Kasserine, ville située au cœur de l’Atlas en Tunisie.
Son régiment est placé sous les ordres du Maréchal Juin, il sera désormais entraîné et armé par les Américains.
En 1943, on le retrouve en Corse où il combat au col de Teghinne avec le support des troupes indigènes marocaines, les « tabors »
La Corse sera la première terre française complétement libérée le premier octobre 1943.
En septembre 1943, il débarque en Italie et participe aux combats du Monte Cassino avec son camarade Norbert Bauer (20 ans). Au cours d’un assaut, Norbert est grièvement blessé à la poitrine et c’est Justin Bergogne qui se charge de son évacuation vers l’arrière. Norbert va mourir de ses blessures le 25 décembre 1944. Cet épisode douloureux, restera ancré dans la mémoire de Justin toute sa vie.

Justin Bergogne au premier rang à droite
Après la campagne d’Italie, il est intégré au groupe naval d’assaut de Corse. En novembre 1943, Comme ses compagnons d’arme, Justin Bergogne s’est spécialisé dans la mise en œuvre de canots pneumatiques (les rubber boats )
Après plusieurs coups de main sur les côtes italiennes, ce groupe de 67 marins, engagés volontaires, est prêt à participer au débarquement en Provence.
Dès qu’ils auront débarqué dans la nuit du 14 au 15 aout 1944, une mission très précise leur est confiée : ils auront la charge de couper les réseaux de chemin de fer et routiers de la nationale 7 entre Théoule et Le Trayas.
Dans la nuit du 14 aout, ils débarquent dans les rochers de l’Esterel qui étaient censés ne pas avoir été minés. Malheureusement, les Allemands avaient posé des mines deux jours auparavant. Le groupe de marins va sauter sur ce champ de mines, il y aura onze morts et vingt cinq blessés. Enfin, certains d’entre eux seront faits prisonniers dont mon père, Justin Bergogne. Le groupe de prisonniers est emmené vers Grasse par les Allemands mais en route, le groupe est surpris par un groupe de résistants, venant de Cannes, commandé par un certain Francis Tonnerre. Les résistants vont parvenir à libérer les prisonniers français.

Bombardier américain B-24 surnommé Liberator
Les marins libérés vont parvenir à regagner le Dramont à travers bois puis repartir vers la Corse.
Mon père sera de retour en France un mois plus tard, à la mi-septembre 1944, et, va retrouver son père dans Marseille libéré. Il gardera en mémoire cette phrase d’accueil de son père : « Tu es là ! je te croyais mort… » qui montre combien la communication était difficile pendant cette période.
Il reprend du service sur les dragueurs de mine à Toulon et va participer au nettoyage de Port Vendre vers l’Italie. Son bateau sautera sur une mine vers Gènes mais heureusement, cet accident n’entraînera aucune conséquence pour lui. N’oublions pas qu’à la fin de 1944, le nord de l’Italie restait sous le contrôle de Mussolini, des Allemands et du Prince Borghèse, cette région portait le nom de « La République de Salo » .
La guerre mondiale terminée, Justin Bergogne est rendu à la vie civile et s’installe aux Arcs après son affectation à la SNCF. Il se marie en 1946 et aura trois fils dont moi-même Claude en 1947.
Il racontait, toujours avec passion, les différents épisodes de son parcours de combattant et en particulier de marin. Il ne manquait jamais l’occasion d’évoquer son admiration pour la Marine Française et répétait à l’envie : « Ne me faîtes jamais baisser la tête, pensez à la Marine = sur chaque bateau sont inscrits ces quatre mots « honneur, patrie, valeur et discipline » ».

Je deviendrai apprenti boucher dès l’âge de 15 ans. A 19 ans, je répondrais aux appels de la Marine Nationale. Je ferai mes classes à Hourtin dans la région de Bordeaux puis départ dans la marine à Dakar. Le service militaire terminé, je redeviens boucher avant, deux ans plus tard, de m’engager dans l’Armée de Terre. Je passerai au total quinze ans au service de l’Armée Française et finirai sous-officier.
A partir de 1970, je vais vivre avec Elise Valeriano avec laquelle j’aurai deux garçons. C’est ainsi que je rencontrerai son père Charles Valériano qui fut un des valeureux résistants lorguais : il portait le numéro matricule 61844 attribué à Alger considérée à l’époque comme la capitale de la France Libre. C’est grâce à lui que je me suis passionné pour l’histoire de la résistance de Lorgues et de la région.
Rendu à la vie civile en 1983, je vais me marier avec Annie Baudé , nous aurons deux enfants Magali et Guillaume. Installé à Lorgues, je vais devenir boucher au magasin Casino pendant vingt deux ans avant de prendre la retraite.
Propos recueillis par François Lenglet, Octobre 2023